Exclu - Syrie : la guerre des ombres entre les groupes djihadistes à Idlib (1/4)

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Matteo Puxton, édité par Maxime Macé.
Publié le 13 août 2018 - 14:38
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Les djihadistes d'Hayat Tahrir al-Cham mènent une guerre secrète contre ceux de l'organisation Etat islamique.
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Les djihadistes d'Hayat Tahrir al-Cham mènent une guerre secrète contre ceux de l'organisation Etat islamique.
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Alors que la menace d'une grande offensive du régime de Damas plane sur la région d'Idlib, les frères ennemis du djihad, l'Etat islamique et Hayat Tahrir al-Cham, se déchirent. En exclusivité pour France-Soir, Matteo Puxton, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit syrien, raconte les dessous de cette guerre secrète entre les deux puissantes organisations djihadistes.

L'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) avait été chassé des provinces d'Idlib et d'Alep (ouest de la Syrie) dans les premiers mois de 2014, par une coalition de groupes rebelles épaulés plus tard par le Front al-Nosra. Toutefois, le groupe avait maintenu des cellules clandestines dans le secteur qui commettaient des attaques et assassinats ciblés. Depuis maintenant plus d'un an, Hayat Tahrir al-Cham (HTC), le successeur du Front al-Nosra né en janvier 2017, est ciblé par des assassinats visant notamment ses cadres, mais aussi ses combattants, et ceux de son allié le Parti islamique du Turkistan (PIT). Ces attaques ciblées ont été attribuées au régime syrien et à ses alliés russes, à la Turquie, à des acteurs locaux hostiles à HTC, et à des cellules se revendiquant de l'Etat islamique. Ces dernières en particulier se sont montrées actives depuis le mois de mai. Hayat Tahrir al-Cham a répliqué en intensifiant ses opérations de contre-espionnage pour démanteler l'appareil des cellules de l'EI dans la province d'Idlib et les alentours encore contrôlées par les rebelles et les djihadistes.

Le 5 juin 2018, l'agence médiatique Ebaa News du groupe Hayat Tahrir al-Cham diffuse une vidéo de 3 minutes 40 secondes intitulée "Reportage sur l'assaut d'un camp du gang de Baghdadi par les moujahidin d'Hayat Tahrir al-Sham aux environs de Salqin". Les images de la vidéo correspondent à un reportage photo diffusé le même jour par la chaîne Telegram d'Ebaa News, et montrant la même opération.

Reportage photo du 5 juin, les combattants d'HTC grimpent sur le toit de la bâtisse.

HTC réplique à l'activité des cellules de l'EI par des opérations de sécurité pour déloger celles-ci. Une attaque avait été lancée autour de Salqin, au nord-ouest de la ville d'Idlib, non loin de la frontière turque. Salqin était connue depuis plusieurs mois pour abriter des anciens de Liwa al-Aqsa, groupe djihadiste pro-EI chassé de la zone rebelle en février 2017, et dont des prisonniers avaient été relâchés il y a quelques mois, d'autres s'étant aussi évadés des prisons d'Hayat Tahrir al-Cham. Certains ont probablement repris contact avec l'Etat islamique. D'autres ont créé à Sarmin, juste à l'ouest d'Idlib, le nouveau groupe Ansar al-Tawhid qui a récemment fusionné avec Tanzim Hurras ad-Din, le groupe des loyalistes d'al-Qaïda, au sein d'une nouvelle coalition: Nusrat al-Islam. Lors de cet assaut, le 28 mai, un combattant étranger, Abou Jamal Azari (Azéri?), qui aurait dirigé une cellule de Daech sur place, est tué. Le 21 mai, Ebaa News avait diffusé la photo d'un engin explosif improvisé désamorcé dans le même secteur.

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La vidéo montre les combattants d'Hayat Tharir al-Cham encercler une bâtisse où se cache la cellule de l'EI, dans le village de Kafr Hind, au sud de Salqin. L'opération démarre au crépuscule et le premier groupe n'hésite pas y mettre les moyens, puisqu'un pick-up Land Cruiser avec ZU-23, arborant le drapeau de l'organisation, stationne non loin. L'équipe média interroge Azzam al-Mouwahhid, responsable de sécurité au sein de HTC. Il appelle toujours les membres de l'EI "khawarij", selon l'expression consacrée au sein de son groupe.

Un autre pick-up Land Cruiser ouvre le feu en tir tendu: celui-là embarque un ZPU-4 (4x14,5 mm). On observe ensuite un mitrailleur sur PKM, portant dans le dos un fusil d'assaut AK-74 avec lunette de visée. De nuit, les combattants d'HTC grimpent sur le toit de la bâtisse et jettent à l'intérieur une grenade de type F1. Ils tirent ensuite à l'intérieur avec leurs fusils d'assaut AK-47/AKM/AK-74, puis dans les décombres. Deux corps sont filmés de nuit, dont l'un semble porter une ceinture d'explosifs. S'exprime ensuite Abou Ahmad ash-Shami, combattant d'Hayat Tharir al-Cham. La caméra s'attarde ensuite sur les corps au milieu des décombres du bâtiment. On peut voir parmi les combattants victorireux le deuxième opérateur média, portant sa caméra en plus de son fusil d'assaut AKMS. Dans les ruines, une dizaine de fusils d'assaut en faisceau, encore en place. Il semble y avoir une dizaine de corps dans les décombres, difficile d'être plus précis. En revanche le groupe était bien armé: HTC aligne à l'extérieur des ruines des dizaines de fusils d'assaut de type AK et au moins une mitrailleuse. Le groupe aurait également saisi neufs gilets explosifs et deux véhicules préparés pour être des VBIED (véhicule kamikaze).

Hayat Tahrir al-Cham fait également quatre prisonniers lors de l'opération. La "confession" de ces derniers est diffusée dans une autre vidéo le même jour. Ces prisonniers se seraient évadés de prison et aurait participé à l'assassinat d'un cadre de l'organisation djihadiste dominante à Idlib.

Prisonniers capturés par HTC lors de l'opération (reportage photo du 5 juin).

 

Prisonniers capturés par HTC lors de l'opération (reportage photo du 5 juin).

Le 10 juin 2018, des photos sont mises en ligne sur les réseaux sociaux par un groupe se réclamant de l'Etat islamique:  elles présentent à la fois une scène d'exécution, où trois prisonniers en tenue orange, selon le code instauré par l'organisation terroriste, sont décapités, et montrent un corps pendu au pont al-Hadid dans la ville d'Ariha. Un autre corps a été jeté au bord de la route. Il s'agit d'hommes appartenant à Hayat Tahrir al-Sham . Le 9 juin, des sources faisaient état de l'enlèvement d'au moins 10 membres d'HTC par des cellules de l'EI.

La photo est légendée "Wilayat Idlib: en réponse au massacre de nos frères à Kaf Hind, et le pire reste à venir". On note la copie manifeste des photos de propagande de l'EI.

Ce reportage photo n'a pas été relayé par la propagande officielle du groupe dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi. Toutefois, les auteurs du reportage veulent qu'on rattache leur action à ce groupe: apparaît en légende la mention "wilayat Idlib", le fait que les décapitations sont des représailles après le raid d'Hayat Tahrir al-Cham sur la base des cellules pro-EI à Kafr Hind, au sud de Salqin, et que l'Etat islamique en est l'auteur.

Selon des sources locales, ces enlèvements et l'exécution montrées auraient eu lieu dans le secteur de Salqin, ce qui signifierait que l'opération de sécurité d'HTC n'avait pas réussi à éradiquer tous les partisans de l'Etat islamique dans le secteur. Il est alors probable, à ce moment-là, que les faits soient à attribuer à des cellules de l'EI encore actives, qui n'ont peut-être pas de contact avec le cœur de l'organisation, et qui opèrent de leur propre chef, en se revendiquant du groupe terroriste. La libération par Hayat Tahrir al-Cham en février dernier d'anciens membres de Liwa al-Aqsa, un groupe djihadiste pro-Daech chassé du secteur en février 2017, et l'évasion de prisonniers de l'EI suite à des opérations commandos contre des prisons ces dernières semaines, à Idlib et ailleurs, n'ont pas aidé HTC à sécuriser les secteurs qu'il tient dans les provinces d'Idlib et d'Alep: le groupe a par ailleurs fort à faire face à de multiples adversaires.

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