RT et Sputnik interdits en Europe ? Et la liberté d'expression et d'information ?
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé hier, alors que les conflits russo-ukrainiens se poursuivent, vouloir faire interdire les médias russes "Russia Today (RT)" et "Sputnik" au sein de l'Europe. Une annonce qui interpelle sur l'information en temps de guerre.
Une guerre de l'information
Couvrir la guerre menée par la Russie à l'Ukraine, mission impossible pour un média affilié à la Russie ? Le journaliste Frédéric Taddeï, qui à son talent d'intervieweur ajoute un goût marqué pour le débat et tend son micro à un panel d'invités d'un éclectisme rare dans la plupart des médias français, a annoncé renoncer à la présentation de son émission sur RT : « La situation internationale étant ce qu’elle est, j’ai décidé ce matin d’arrêter d’animer "Interdit d’Interdire". Par loyauté envers la France, je ne peux pas continuer une émission de débat contradictoire à partir du moment où mon pays se retrouve en conflit ouvert avec la Russie ».
Mais ce choix individuel, accepté par sa direction, n'est qu'une péripétie au regard des menaces qui pèsent désormais sur la chaîne russe : des autorités veulent désormais la réduirent au silence. « Poutine ne veut pas seulement conquérir le terrain, il veut aussi conquérir les esprits », s'est exclamé Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne. De concert, la présidente de la Commission européenne n'a pas mâché ses mots : « Nous allons bannir les machines médiatiques du Kremlin. Les chaînes publiques Russia Today et Sputnik, ainsi que leurs filiales, ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine. Nous développons des outils pour interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe. », a lâché Ursula von der Leyen sur Twitter.
Une attaque à laquelle Xenia Fedorova, la présidente et directrice de l'information de RT France, a répondu :
La décision de bannir notre chaîne, dans laquelle travaille 176 salariés, dont plus de 100 journalistes, est une violation de l'Etat de droit et va à l’encontre des principes mêmes de la liberté d'expression. Rien ne peut justifier cette censure.
— Xenia Fedorova (@xfedorova) February 27, 2022
Interrogé par les Echos, son avocat déclare que « le bannissement d'un média est une notion inconnue du droit, et difficilement compréhensible s'agissant d'un média français qui emploie plus de 100 journalistes français encartés ! ».
La liberté d'information en temps de « guerre »
En France, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot s'est-elle aussi positionnée en pourfendeuse des médias « sous influence russe », propagateurs de « désinformation ». Laurence Beneux, journaliste indépendante qui travaille notamment pour France Soir, lui a vertement rétorqué : « L’interdiction de ces médias constitue un précédent et un recul démocratique intolérables ! Et "désinformation", qu’en savez-vous ? Vous êtes allés sur place ? Qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes apte à faire un tri que les citoyens seraient incapables de faire ? »
Roselyne Bachelot a décidément une conception toute personnelle de la liberté d'expression ; rappelons que fin janvier 2021, la ministre demandait à ce que soit réexaminé le certificat IPG (Information politique et générale) de FranceSoir — statut que nous sommes parvenus à conserver.
Xavier Azalbert, directeur de la publication de France Soir, a exprimé son « soutien total » face à la « violation d'un droit fondamental », précisant à l'intention des détracteurs n'avoir « jamais rencontré la présidente de RT France », ne pas y être intervenu, et que France Soir est « financé par ses lecteurs et contributeurs, indépendamment de toute influence ». Rappelant que la liberté d'expression est « un droit fondamental gagné de haute lutte par le peuple et que nous nous devons de la respecter », il invite « au Défi de la vérité les détracteurs de France Soir » et opposants à la liberté d'expression qui s'adonnent à « des attaques à charge, sans base factuelle ».
Ne pas trop aller à rebours de la parole officielle ?
En temps de « guerre », la première victime est l'information, dit l'adage. Ce passage d'une « guerre » à l'autre, du covid à l'Ukraine, avec quelques ressorts communs, illustre la difficile articulation entre la liberté et la responsabilité d'informer, dans un contexte où le consensus, réel ou fabriqué, est volontiers instrumentalisé, et la vérité difficile à discerner.
Une situation qui fait écho aux propos controversés tenus par la directrice de la rédaction de BFM TV Céline Pigalle fin janvier. Elle expliquait, lors d'un colloque autour du traitement médiatique des questions scientifiques : « Dans un moment où l'on vous dit qu'on est en guerre, et où toute la notion de la cohésion générale de la société est menacée, il ne faut pas non plus trop troubler les gens. Même si on tente de s'extraire de tout ça, il ne faut pas trop aller à rebours de la parole officielle, puisque ce serait fragiliser un consensus social. »
Mêmes causes, mêmes effets ? Et mêmes réactions choquées que des autorités - ou dirigeants de médias qui leur emboîtent le pas - décident en amont de l'information, ce qui est légitime - et ceux qui sont légitimes. N'est-ce pas justement dans ces situations de crise que le journalisme, plus que jamais, a besoin de pluralisme et d'équilibre ? Si les lecteurs et téléspectateurs savent « d'où l'on parle », pourquoi seraient-ils inaptes à se forger leur avis ? N'ont-ils pas besoin d'une information claire, loyale, et diversifiée ?
Rappelons la célèbre définition qu'Albert Londres donnait au journalisme : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »
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