QatarGate : le Parlement européen prend des mesures, le Qatar avertit contre leur “impact négatif” sur la coopération énergétique
En attendant les résultats de l’enquête sur le scandale de corruption qui a éclaboussé l’Union européenne, le Parlement européen, dont l’ex-vice-présidente, la Grecque Eva Kaili, est soupçonnée d’avoir été corrompue par le Qatar et a été écrouée par la justice belge, prend déjà des mesures à l’égard du pays du golfe. Ce dernier a vivement averti l’institution européenne des retombées de telles décisions, notamment leur “impact négatif” sur la “sécurité énergétique” du Vieux Continent.
Les eurodéputés ont voté jeudi 15 décembre à Strasbourg à la quasi-unanimité un texte, dans lequel ils demandent “instamment la suspension des titres d'accès des représentants d'intérêts qatariens (...) jusqu’à ce que les enquêtes judiciaires fournissent des informations et des éclaircissements pertinents”. Ils ont fait part, dans le texte, de leur “consternation” quant aux "actes présumés de corruption et blanchiment d’argent, commis par des députés, d’anciens députés et des membres du personnel du Parlement européen en échange de leur influence sur les décisions du Parlement”. Ils ont également exprimé leur “vive inquiétude” et leur accord pour une “pleine coopération du Parlement avec l’enquête pénale en cours”.
Le régime des visas et l’accord UE - Qatar en suspens
La résolution “dénonce avec la plus grande fermeté les tentatives présumées du Qatar d’influencer” le Parlement européen “par des actes de corruption, qui constituent une ingérence étrangère grave dans les processus démocratiques de l’Union”. Le texte salue la décision de démettre Eva Kaili de ses fonctions et souligne “l’échec des mécanismes de contrôle et d’alerte internes” à l’institution.
Les eurodéputés décident également à travers cette résolution et son article 24 de “suspendre tous les travaux sur les dossiers législatifs relatifs au Qatar, notamment en ce qui concerne la libéralisation du régime des visas et l’accord UE-Qatar sur l’aviation, ainsi que les visites prévues, jusqu’à ce que les allégations aient été confirmées ou infirmées”. L’accord de ciel ouvert entre le Qatar et l'Europe, qui autorisait une desserte illimitée de l’Europe par Qatar Airways, avait suscité une controverse lors de sa validation par Bruxelles l'an dernier.
La décision d'appliquer ces sanctions est désormais entre les mains de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. Lors de son discours le 12 décembre dernier, la Maltaise a promis au “réseau derrière cette corruption présumée” de ne bénéficier “d’aucune impunité” et surtout pas d’un “balayage sous le tapis”. “Tous les faits liés au Parlement européen seront concernés par ces investigations”, avait-elle affirmé.
La résolution des eurodéputés a vite énervé le Qatar, qui a réagi par le biais d’un diplomate de la mission du pays à l’Union européenne, peu avant la finale de la Coupe du Monde, compétition qui s’est déroulée dans ce pays du Golfe. Le représentant a dénoncé “la décision d'imposer au Qatar une restriction aussi discriminatoire, limitant le dialogue et la coopération avant la fin de la procédure judiciaire”. Il a fermement rejeté les "allégations associant notre gouvernement à des comportements répréhensibles".
“Nous préférons avoir froid que d’être achetés"
Le Qatar a dit regretter “des jugements fondés sur les informations inexactes révélées par des fuites sans attendre la conclusion de l'enquête” et rejette le caractère exclusif de ces mesures à l'encontre du Qatar, cité au côté du Koweït par la justice belge.
Le pays du Golfe met en garde contre la décision du Parlement européen qui aura “un impact négatif sur la coopération régionale et mondiale en matière de sécurité, ainsi que sur les discussions en cours sur la rareté et la sécurité énergétiques mondiales”.
La réaction du Qatar a-t-elle été anticipée par Roberta Metsola ? À la fin de son discours le 12 décembre, elle avait promis “aux acteurs néfastes” de trouver “ce Parlement sur [leur] chemin. Nous sommes européens, nous préférons avoir froid que d’être achetés", avait-elle affirmé.
Le diplomate qatari a par la même occasion salué les “liens solides” qui lient son pays à des États membres de l’Union européenne, exprimant sa “gratitude à ceux qui ont démontré leur engagement envers ces relations face à la vague d'attaques actuelle”.
Les avertissements sur les conséquences des décisions européennes sur la coopération énergétique avec le Qatar interviennent, rappelons-le, au moment où le Vieux Continent est à la quête d’alternatives au gaz russe, en raison de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Fin novembre, l'Allemagne, qui figurait parmi les pays les plus dépendants de la Russie, a ainsi deux accords pour renforcer ses approvisionnements de GNL en provenance de l'émirat pour une durée de quinze ans.
L’annonce le 11 décembre par la justice belge de l’interpellation de deux eurodéputés, dont la vice-présidente du Parlement européen, la socialiste grecque Eva Kaili, ont été interpellés a provoqué une onde de choc au sein de l’Union européenne.
Au total, six personnes ont été interpellées. Outre la vice-présidente du Parlement européen, son compagnon Francesco Giorgi et son père, il s’agit d’un dirigeant syndical italien, Luca Visentini, et l'ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzeri.
Quatre de ces personnes ont été placées en détention provisoire pour "appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d'argent et corruption" et deux autres libérées par le juge. La vice-présidente du Parlement européen figure parmi les personnes écrouées.
Dans le cadre d’une enquête de quatre mois, menée par un juge financier bruxellois, la police belge a mené au moins 20 perquisitions dans diverses communes de Bruxelles, y compris dans le siège du Parlement européen. Elle a mis la main sur "environ 600 000 euros en liquide", ainsi que "du matériel informatique et des téléphones portables" dont les contenus seront analysés.
Ces “cadeaux ou avantages offerts pourraient être liés à la volonté du Qatar d'améliorer sa réputation décriée en matière de droits humains et de traitement des travailleurs étrangers”, notamment dans le cadre de l’organisation de la Coupe du Monde qui se déroule actuellement.
Peu avant le début du Mondial, Eva Kaili avait rencontré au Qatar le ministre qatari du Travail, Ali bin Samikh Al Marri. À l’issue de cette visite, elle avait salué “l'engagement du Qatar à poursuivre les réformes du travail”, selon un tweet de l'ambassadeur de l'Union à Doha, Cristian Tudor.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.