Syrie : Ansar al-Tawhid, l'autre groupe djihadiste affilié à al-Qaïda

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Matteo Puxton, édité par Maxime Macé.
Publié le 05 avril 2019 - 16:15
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Les djihadistes d'Ansar al-Tawhid sont proches de l'idéologie d'al-Qaïda.
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Les djihadistes d'Ansar al-Tawhid sont proches de l'idéologie d'al-Qaïda.
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Parmi les nombreux groupes djihadistes présents dans la poche d'Iblid, Ansar al-Tawhid est l'un de ceux qui rejette l'accord de Sotchi signé entre la Turquie et la Russie. Matteo Puxton, observateur de référence du conflit irako-syrien, revient en détail pour France-Soir sur cette organisation proche d'al-Qaïda, comme c'est le cas pour son "grand frère" Tanzim Hurras ad-Din.

Ansar al-Tawhid (أنصار التوحيد) fait partie de ces groupes djihadistes nés dans l'enclave d'Idlib à la suite des tensions ayant traversé Hayat Tahrir al-Cham. Bien que les origines de la formation restent obscures, Ansar al-Tawhid est désormais en pointe des éléments djihadistes rejetant l'accord de Sotchi et harcelant les positions du régime syrien depuis l'automne dernier.

Le groupe se serait formé à Sarmin, au sud-est de la ville d'Idlib, le 2 mars 2018, autour d'anciens cadres du groupe Jund al-Aqsa. Il comprendrait 300 à 350 hommes dirigés par Abou Diyab Sarmin, un des membres fondateurs de Jund al-Aqsa (on cite aussi parmi les chefs du groupe Abou Muhammad Zour). Début mars, Hayat Tahrir al-Cham (HTC) aurait libéré dans la ville d'Idlib plusieurs dizaines de prisonniers de Jund al-Aqsa (40 à 50). Ansar al-Tawhid aurait réussi à attirer des combattants ne souhaitant pas ou plus faire partie d'HTC, dont des membres du Parti Islamique du Turkistan (PIT), notamment dans la partie de la province de Lattaquié contrôlée par les djihadistes. Mais le groupe aurait pourtant été créé avec l'accord de Abou Muhammad al-Jolani, le chef d'Hayat Tahrir al-Cham -ce qui expliquerait d'ailleurs la libération des prisonniers. Le mouvement pourrait donc bien être un choix stratégique d'HTC essayant de canaliser une partie de la contestation interne, notamment chez les djihadistes étrangers, pour les garder d'une façon ou d'une autre sous son aile, et éviter aussi les défections vers les cellules clandestines de l'Etat islamique dans l'enclave d'Idlib.

Pour rappel, Jund al-Aqsa était au départ une brigade du front al-Nosra, dirigée par Abdul Aziz Qatari; le groupe est devenu indépendant en 2013, probablement sur ordre de Jolani qui souhaitait en faire un réceptacle pour les combattants étrangers dans le cas où Abou Bakr al-Baghdadi chercherait à reprendre le dessus sur son groupe en Syrie, comme cela se produit effectivement en avril 2013 avec la naissance de l'Etat islamique en Irak et au Levant. Le groupe est actif dans les provinces d'Idlib et de Hama. En mars 2015, il fait partie de la coalition Jaysh al-Fateh aux côtés du Front al-Nosra pour s'emparer de la province d'Idlib, mais sa présence suscite des oppositions. Jund al-Aqsa se retire de la coalition en octobre 2015, refusant pour partie de combattre l'Etat islamique et étant déjà en conflit aussi avec d'autres formations. Beaucoup considèrent à cette époque que la formation n'est qu'un paravent de l'EI, avec lequel Jund al-Aqsa collabore militairement lors de plusieurs opérations en 2016. Après avoir lancé une offensive dans le nord de la province de Hama contre le régime en août, Jund al-Aqsa s'en prend à Ahrar al-Cham en octobre. Jolani cherche à protéger la formation, qui est sa création, mais celle-ci n'a d'autre choix pour survivre que d'intégrer Jabhat Fateh al-Cham. Cependant, avec la formation d'Hayat Tahrir al-Cham en janvier 2017, Jund al-Aqsa retire son allégeance, se renomme Liwa al-Aqsa en février 2017 et affronte les rebelles syriens et HTC, qui l'accusent d'avoir prêté allégeance à l'EI. Jund al-Aqsa exécute des dizaines de prisonniers avant d'être balayée par la contre-offensive d'HTC: un accord négocié par l'entremise du PIT évacue des centaines de combattants vers les territoires de l'Etat islamique dans la province de Raqqa, mais des cellules sont probablement restées dans les provinces d'Idlib et de Hama.

Ansar al-Tawhid serait surtout présent à Sarmin, Nayrab et dans la partie de la province de Lattaquié encore contrôlée par les djihadistes et les rebelles syriens. Dès le 29 avril 2018, le groupe s'associe à la faction loyale à al-Qaïda apparue en février 2018, Tanzim Hurras ad-Din, pour former une coalition baptisée Nusrat al-Islam. Une source, aussi, décrit  Ansar al-Tawhid comme le réceptacle d'anciens combattants de l'EI ayant réussi à rejoindre l'enclave d'Idlib. Le 29 juin, alors qu' d'Hayat Tahrir al-Cham s'est lancé dans une vaste opération contre les cellules de l'EI actives à Sarmin et aux alentours, dans le "triangle de la mort", HTC conclut un accord avec le conseil de Sarmin sur les questions de sécurité, où un représentant d'Ansar al-Tawhid fait office de témoin.

Le 10 septembre, Ansar al-Tawhid bombarde les positions du régime syrien dans la province de Hama. En octobre, le groupe djihadiste, aux côtés de Tanzim Hurras ad-Din, d'une autre formation liée à al-Qaïda, Ansar al-Din, et du groupe djihadiste Ansar al-Islam, fait partie d'une nouvelle coalition: Wa Harid al-Mumimin ("Inciter les croyants"), qui rejette l'accord de Sotchi conclu pour l'enclave d'Idlib en septembre. La première attaque de cette nouvelle coalition contre les forces du régime a lieu le 13 octobre dans la province de Hama, dans la plaine d'al-Ghab, en bombardant le camp de Jurin.

Le canon 2A31 de 122 mm monté sur camion Zil 131 tire sur le village de Mahardah, province de Hama.

Le 5 décembre, les combattants d'Ansar al-Tawhid et d'Hayat Tahrir al-Cham repoussent une tentative d'infiltration du régime à Tal Tuqan, au sud-est de la province d'Idlib.

Le 7 décembre, Ansar al-Tawhid diffuse une vidéo intitulée "Les décideurs". Le montage filme une escouade de 10 hommes à l'entraînement. En fond sonore, on trouve un nasheed de l'Etat islamique, Qad Tasama, bien que plus loin des nasheeds d'al-Qaïda soient aussi utilisés – ce mélange est assez fréquent dans ce genre de formations. Un des fantassins tient une AK-74 avec une crosse repliable roumaine; les autres sont armés d'AKM; il y a aussi un mitrailleur sur PKM. Pendant l'entraînement, le passager d'une moto utilise un lance-roquettes RPG-7 avec roquette PG-7. Un autre tire à la mitrailleuse lourde W85 (12,7 mm). Un pick-up Land Cruiser transporte sept hommes de l'escouade qui débarquent, couvert par le tir d'une mitrailleuse PKM montée sur la cabine du pick-up. Suivent des exercices de tir, de combat au corps-à-corps et des entraînements physiques. La branche médiatique du groupe est assez développée puisque cette vidéo est filmée pour partie avec un drone, et pour une autre partie avec des caméras GoPro fixées sur les combattants, en plus des membres de l'équipe média au sol.

Tir à la mitrailleuse W85.

Le 17 décembre, Ansar al-Tawhid lance un raid sur le village d'al-Dhabia, à l'est de l'enclave d'Idlib. Le 22 décembre, le groupe publie un reportage photo de ses pièces bombardant les positions du régime à l'est de l'enclave d'Idlib. Une vidéo suit: on peut y voir une batterie de cinq roquettes de gros calibre tirées sur les positions du régime; une batterie de trois mortiers (82-120 mm) ouvre le feu; deux pièces montées sur deux camion Ural 4320 pilonnent également les positions du régime en tir tendu (il s'agirait d'un canon D-10T démonté d'un char T-54/55 et d'un canon U-5TS démonté d'un char T-62); de même qu'une mitrailleuse lourde W85 (12,7 mm) protégée derrière une position de sacs de sable, et un ZPU-2 (2x14,5 mm) monté sur pick-up.

Ce camion Ural 4320 semble muni d'un canon de char T-54/55, un D-10T, démonté et fixé sur le camion (100 mm).

Le 13 janvier, l'artillerie d'Ansar al-Tawhid tire à nouveau à l'est de l'enclave d'Idlib, sur al-Sukkariya. Le 3 février, deux cadres de l'organisation, Abou Hatem Hamawi et un autre, Turc, sont abattus près de Foua par des assaillants armés. Le 16 février, Ansar al-Tawhid diffuse une nouvelle vidéo intitulée "Réponse à Allah": en représailles des bombardements du régime syrien à Idlib, le groupe pilonne les secteurs tenus par le régime avec le camion Zil-131 muni d'une pièce 2A31 (122 mm) démontée d'un automoteur 2S1 Gvozdika. Le 22 février, le groupe tire des roquettes sur Jurin. Le 25 février, il tire sur al-Saqilabih, puis avec son artillerie sur les positions du régime dans le secteur d'Abou Douhour, à l'est d'Idlib. Le 25 février 2019, Ansar al-Tawhid annonce la mort de deux ses membres, Abou Ousama et Abou Zeid. La liste des signataires de l'éloge funèbre est intéressante: si on trouve beaucoup de Syriens d'Idlib, on trouve aussi les kounyas d'un Russe, d'un Algérien, d'un Yéménite, de deux Tunisiens, d'un Egyptien, d'un Afghan et d'un Tadjik. Le groupe comprend donc une certaine proportion de combattants étrangers.

Le 3 mars, Ansar al-Tawhid lance un raid inghimasi derrière les lignes du régime près de Masasneh, au nord de la province de Hama. Le raid tue 23 combattants du régime au prix de sept morts reconnus par les assaillants. Khamza Shishani, commandant adjoint et émir militaire du groupe Ajnad al-Kavkaz, qui participait de manière individuelle à l'opération, figure parmi les morts. Le 18 mars, l'artillerie du groupe pilonne les positions du régime au nord de l'aéroport d'Abou Douhour. Le 26 mars, Ansar al-Tawhid bombarde encore la zone de Tal Kalba à l'ouest d'Abou Douhour.

Les forces du régime syrien montrent l'emblème d'Ansar al-Tawhid récupéré sur l'un des corps de combattants tués pendant l'opération inghimasi du 3 mars.

L'emblème d'Ansar al-Tawhid comprend le nom du groupe, avec le drapeau noir marqué de la shahada (profession de foi musulmane) en blanc, ce qui indique le lien vers al-Qaïda.

La propagande du groupe se concentre surtout sur l'aspect militaire. Toutefois, les éléments rattachant Ansar al-Tawhid au djihadisme et à al-Qaïda sont bien présents. Ansar al-Tawhid dispose de plusieurs canaux sur le Telegram, qui sont régulièrement supprimés, ce qui oblige à un suivi quotidien pour ne pas en perdre le fil.

Sur le plan militaire, les premières images datées du 12 mars 2018 sont intéressantes: on y voit un mortier de 120 mm, un canon 2A31 (122 mm, venant d'un automoteur 2S1 Gvozdika) monté sur camion Zil-131, un canon avec un canon U-5TS de char T-62 démonté et modifié, avec frein de bouche notamment, monté sur camion KrAz-255 et un canon antiaérien ZU-23 sur pick-up Land Cruiser pilonner les enclaves chiites de Foua et Kafrayah. Le camion portant le M-46 est un véhicule du Parti islamique du Turkistan, selon un spécialiste, ce qui confirmerait que certains membres du PIT ont bien rejoint la formation. Le Land Cruiser avec ZU-23 a été vu auparavant dans les rangs d'HTS, toujours selon ce même spécialiste.

Depuis, les moyens militaires du groupe n'ont pas sensiblement augmenté. L'infanterie semble relativement peu nombreuse (camp d'entraînement avec une escouade de 10 hommes seulement), et dispose d'un armement standard pour le secteur. Le groupe aligne des technicals, des armes lourdes, et au moins quatre camions équipés de pièces récupérées sur des chars ou des automoteurs d'artillerie (ce qui semble une spécialité du groupe, en plus des deux premiers engins venus du PIT). Les canons semblent nommés dans les documents du groupe: Ansar-1 et Ansar 2.

La base d'Ansar al-Tawhid est à Sarmin, à côté d'Idlib. Les cercles montrent les différents fronts où le groupe a procédé à des tirs d'artillerie ou à des incursions récemment.

Ansar al-Tawhid reste donc, pour le moment, une épine dans le pied des accords de Sotchi, à l'image de la coalition dont le groupe fait partie, "Inciter les croyants". Les attaques menées par cette formation djihadiste pourraient un jour servir de prétexte à Damas pour lancer un assaut sur l'enclave d'Idlib.

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