"Tout a augmenté" : près de Paris, une boulangerie face à l'inflation
"Le drame absolu dans cette crise, c'est qu'elle pousse les artisans dans les bras des industriels" : malgré l'envolée du coût de l'énergie et de certaines matières premières depuis des semaines, Emmanuel Trotot, propriétaire de trois boulangeries bio à Paris et en proche banlieue, était parvenu à "maintenir le cap" jusqu'à maintenant.
Dans l'un de ces commerces, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), banlieue aisée à l'ouest de Paris, les étiquettes afficheront pourtant des prix en hausse de "5 à 10%, dès 2023". Il faudra alors débourser 1,45 euro pour une baguette tradition bio, contre 1,40 aujourd'hui.
Deux baguettes coincées sous le bras, un client de la boulangerie - qui a souhaité garder l'anonymat - assure qu'il viendra même si les prix augmentent.
"En supermarché, vous voyez des produits qui ont augmenté de deux, voire trois euros... Alors cinq centimes, ce n'est pas grand-chose", estime cet homme d'une cinquantaine d'années.
Pour le patron de cette boulangerie branchée, dont l'intérieur est orné d'un grand lustre en bois évoquant les racines d'un arbre, la situation est devenue "difficilement tenable" il y a plusieurs mois.
Avec l'inflation, qui a brusquement augmenté à l'été 2021, avant de prendre de nouvelles proportions à partir du début de la guerre en Ukraine, en février, les charges ont explosé et "les marges ont fondu": farine de blé, levure, sucre... "Tout a considérablement augmenté", déplore M. Trotot.
S'il a commencé à baisser cet été, le cours du blé a quasiment doublé entre février et mai en raison notamment de la chute des exportations ukrainiennes. "Les meuniers ont répercuté une partie de l'explosion de ces coûts sur la farine, qui est beaucoup plus chère qu'auparavant. Et le bond est encore plus fort sur le bio", indique Emmanuel Trotot.
Quant à la levure, essentielle pour la fabrication du pain, "ce n'est pas qu'elle a doublé... C'est qu'elle a triplé !", peste Ahmed Hadana, gérant de la boulangerie de Boulogne-Billancourt, qui dit "mener une bataille contre ses fournisseurs" pour tenter de faire baisser les prix.
À ces hausses, il faut encore ajouter celles du prix des œufs ou du beurre, que la boulangerie commande en grande quantité pour produire les tartes, flans et pâtisseries variées qui garnissent la vitrine.
"Un équilibre précaire"
La facture d'énergie de ce commerce a également gonflé d'environ "5 à 15%" en un an, ce qui représente "plusieurs centaines d'euros" à payer en plus tous les mois. La boulangerie devrait bénéficier des aides annoncées par le gouvernement fin octobre face à la flambée des coûts de l'énergie.
Ces mesures comprennent notamment un "amortisseur électricité", qui doit entrer en vigueur au 1er janvier, et prévoit que l'État prenne en charge une partie de la facture 2023 des moyennes, petites et très petites entreprises. "Ces aides viennent résoudre une toute petite partie du problème", regrette Emmanuel Trotot, estimant que les "pouvoirs publics doivent aussi davantage valoriser l'artisanat".
Pour une boulangerie bio, le problème posé par l'inflation paraît insoluble : en temps normal, les prix y sont déjà plus élevés qu'ailleurs en raison du coût des ingrédients et du travail nécessaire à la fabrication des produits.
"On est très embarrassés parce que le principal reproche que nous font nos clients, ce sont les prix", témoigne M. Trotot. "On est déjà plus chers que nos concurrents".
Craint-il que ces derniers récupèrent une partie de sa clientèle ? "Bien sûr", souffle-t-il.
"Le drame absolu dans cette crise, c'est qu'elle pousse les artisans dans les bras des industriels", ajoute-t-il. Pour économiser sur leurs achats auprès de fournisseurs et "maintenir un équilibre précaire", ils se tournent de plus en plus vers de grands groupes capables de les approvisionner à moindre frais mais avec des ingrédients de qualité "moyenne".
Emmanuel Trotot l'assure, il continuera quoi qu'il en soit de "faire le pari du naturel, avec des produits frais et certifiés bio", en comptant sur la "confiance des consommateurs".
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.