Covid-19 : Une épidémie déconcertante, Retour vers le futur
L’épidémie fait couler beaucoup d’encre, déchainant les passions tel une guerre de chapelle, alimentant les débats télévisés d’experts spécialisés vantant les mérites de telle ou telle solution, ou s’épanchant sur les sujets d’actualité comme l’obligation du port du masque ou d’une éventuelle seconde vague. Un débat amène un autre débat, sur une étude qui succède à une autre. A plusieurs reprises ont été évoqué les positions normatives et le cherry picking sur les sujets traités par les médias. La parole étant donnée à certains plus qu’à d’autres, établissant des incohérences et faisant naître des questionnements parmi les citoyens. A l’étranger, les Allemands, les Espagnols, notamment, ont déjà manifesté pour demander des comptes à leur gouvernement respectif. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce 29 août est prévu une manifestation à Londres.
Laurent Toubiana, docteur en physique et épidémiologiste, chercheur INSERM, est Directeur Général de l’IRSAN. L’Institut de Recherche pour la valorisation des données de SANTE regroupe des experts issus du monde des études en santé, des médecins, des bio-statisticiens, des épidémiologistes, des data-scientists, des spécialistes du numérique en santé. L’IRSAN propose des éléments d'information en santé, générés en temps réel à partir des données issues des recherches méthodologiques du groupe Systèmes Complexes et Epidémiologie (SCEPID). Il nous a semblé approprié de recueillir son point de vue sur la situation actuelle et de faire un retour en arrière avec lui sur la crise que nous vivons.
Le site de l'Irsan donne beaucoup d'information sur l'épidémie Covid.
Cette courte analyse ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas une analyse rétrospective de ce qui se passait à l’époque. Cette analyse a été conçue fin février et rédigée le 11 mars 2020 par Laurent Toubiana au moment ou peu d’information était disponible sur l’épidémie. Combien d’émissions de télévision ont donné voix à l’IRSAN qui représente un des pôles de recherche sur la santé ? Peu pour ne pas dire aucune.
Il y décrivait déjà la peur, la seconde vague, les raisons d’avoir les nerfs solides devant l’incidence des chiffres. Pourquoi le Comité Scientifique ou le ministère de la Santé n’ont-t-ils pas intégré des expertises telles que celle de l’IRSAN ?
Voilà ce qui a été écrit le 11 mars par l'Irsan et qui est passé inapercu
Au cours des premières semaines après l’annonce des premiers cas en Chine de ce qui allait être appelé le COVID-19, nous avons préféré ne pas réagir précipitamment face à ce phénomène émergent. Les chiffres rapportés, les grandeurs utilisées, les calculs peu rigoureux, mais pourtant publiés dans des revues sérieuses, nous indiquaient qu’il était urgent de prendre du recul vis-à-vis de la question.
Les jours, les semaines ont passé. Des bulletins égrenant chaque jour le décompte alarmant et macabre ont renforcé notre impression initiale. Désormais, nous disposons d’un historique de 50 jours de données diffusées par l’Organisation Mondiale de la santé (OMS). Nous posons comme hypothèse forte que ces données sont fiables. Comment en serait-il autrement ? Ce sont sur ces données que se fonde la connaissance épidémiologique de ce qui est désormais qualifié de pandémie.
Fiables ou non, tout dépend de la manière de les utiliser. Par exemple, en déduire des taux de reproduction de base (nombre de cas secondaires à partir d’un cas primaire) pour un modèle de prédiction épidémique est délicat car les erreurs commises sont cumulatives et engendrent très rapidement des valeurs aberrantes. En revanche, utiliser des ordres de grandeur certes peu précis peut donner matière à réflexion sur des tendances ou mettre en perspective les phénomènes.
L’incidence, c’est à dire le nombre de nouveaux cas dans un lieu donné par unité de temps, est utilisée pour décrire l’évolution des épidémies. Cet indicateur est paradoxalement très peu utilisé dans le cadre du COVID-19. La valeur cumulée moins efficace en l’espèce (et plus dramatique) semble avoir toutes les faveurs. Nous avons utilisé pour notre part l’incidence quotidienne afin de déterminer la date du pic épidémique en Chine. L’incidence culmine à une valeur d’environ 27 000 nouveaux cas lors de la semaine centrée sur le 8 février 2020 (voici plus d’un mois). Sur la figure 1, cette valeur correspond au triangle sur la courbe bleue en semaine 3 (sem3). Ces derniers jours (sem7), les valeurs d’incidence sont inférieures à 50 cas par jour sur l’ensemble de la Chine (1,7 milliard d’habitants) et ne cessent de décliner. Nous considérons que cette épidémie est terminée en Chine. Bien sûr, d’aucuns prédisent un possible rebond épidémique en Chine. Tout est possible mais ce sont des conjectures, rien ne permet pour l’instant de croire à une telle hypothèse. Certains lanceurs d’alerte n’hésitent pas à prédire les pires situations nonobstant les conséquences économiques, sociales et anxiogènes.
Le COVID-19 a un mode de contamination (projections « aérosol » de virus) et un tableau clinique similaire à ceux des pathologies virales en périodes hivernales telles que les épidémies de syndromes grippaux (grippes saisonnières). Dans l’état de nos connaissances, malgré ce qui est écrit émanant de scientifiques connus, il n’est pas inconvenant de comparer la dynamique connue de ces épidémies hivernales avec celle du COVID-19 en Chine que nous connaissons maintenant.
La figure 1 montre l’évolution comparée des incidences hebdomadaires de COVID-19 en Chine (Source OMS) et de syndromes grippaux en France au cours de 7 semaines d’épidémies (Source Santé Publique France). Nous constatons que le profil dynamique est comparable. Il commence en une phase ascendante rapide, atteint un pic en 3 à 4 semaines puis reflue de manière quasi symétrique pendant les 3 à 4 semaines suivantes. Ce profil épidémique est celui observé depuis plus de 30 ans par les équipes de santé publique en France et depuis 50 jours en Chine. En revanche, les amplitudes sont très différentes. Entre le 21 janvier 2020 et 9 mars 2020 soit environ 7 semaines, le COVID-19 en Chine a touché 80 904 personnes. Pour une période équivalente de 7 semaines d’épidémie, le nombre de personnes atteintes par un syndrome grippal en France avoisine en moyenne 2,2 millions de cas. Ce qui veut dire qu’en France, la grippe touche tous les ans près de 20 fois plus d’individus que le COVID-19 en Chine. Ce calcul relativise considérablement la supposée « violence » de cette nouvelle épidémie.
Le cas de l’Europe
L’Italie puis la France et l’Allemagne connaissent actuellement une phase de croissance rapide de l’épidémie de COVID-19. Avons-nous si peu confiance en notre réponse sanitaire pour penser que la dynamique observée en Chine sera différente en Europe ? Il est bien sûr trop tôt pour faire des pronostics.
Cependant, dans l’hypothèse forte et risquée que la dynamique de cette épidémie reste identique partout, alors il est très possible d’espérer que l’épidémie atteigne son pic en Europe avant la fin mars et avec une fin de l’épidémie vers la fin avril 2020.
Même si cette hypothèse s’avère exacte, il faudra avoir les « nerfs solides » car pendant cette période, l’incidence va s’accroître de manière « exponentielle » comme pour toutes les épidémies de ce type et comme ce que nous avons constaté en Chine, sans pour autant atteindre des niveaux très important ; rappelons que la Chine n’était qu’à 27 000 nouveaux cas par semaine au moment du pic, à comparer aux 350 000 cas de la grippe en France.
Mortalité
Dans son dernier rapport sur le COVID-19, du 10 mars 2020, l’OMS fait état de 3 140 morts en Chine en 50 jours alors que, selon toute vraisemblance et sauf rebond, l’épidémie semble terminée. Oui, en période épidémique des gens meurent. 4 012 morts sur toute la planète, c’est beaucoup, oui bien sûr, mais nous sommes très loin des ravages annoncés au début de l’épidémie (soit depuis 2 mois). Pendant la même période, 90 000 personnes sont décédées en France toutes causes confondues certes, mais la surmortalité attribuable aux épidémies de grippes est de l’ordre de 5000 décès en moyenne (estimation basse sur les 10 dernières années). Pendant le seul mois de janvier 2017, au passage de la grippe, 15 000 décès supplémentaires ont été enregistrés (source INSEE) par rapport au nombre attendu (surmortalité) ; ce qui est l’équivalent de la canicule de 2003. Ceci nous permet tout de même de relativiser considérablement les 33 morts du COVID-19 cumulés à ce jour en France.
Certes nous avons raison d’avoir peur. Nous avons raison de prendre toutes les mesures à notre disposition pour endiguer les épidémies de maladies émergentes. La Chine semble avoir appliqué ces mesures et d’après les chiffres de l’OMS, a réussi à endiguer l’épidémie.
Par définition, la démarche scientifique est fondée sur l’incertitude. La communauté scientifique dispose de méthodes et de ressources permettant de corriger en permanence cette incertitude voire de se remettre en question radicalement. Nous tentons ici, à notre mesure, de corriger légèrement la perspective.
Laurent Toubiana répondra à nos questions dans un prochain article.
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