La suspension des brevets sur les vaccins : une mesure pas si extraordinaire que ça
Dans un article du New York Times de ce 5 mai 2021, on peut lire que :
« l’administration Biden s’est déclarée mercredi en faveur de la suspension temporaire des protections de propriété intellectuelle pour les vaccins contre le coronavirus, en s’accordant avec les efforts internationaux visant à renforcer la production sur fond de préoccupations concernant l’accès aux vaccins dans les pays en développement. »
Proposition de suspension de certaines protections de propriété intellectuelle
Rappelons que les États-Unis ont été un des obstacles majeurs à l’Organisation mondiale du commerce au sujet d’une proposition sur la suspension de certaines des protections de propriété intellectuelle. Cela pourrait permettre aux fabricants de médicaments du monde entier d’avoir accès aux secrets commerciaux étroitement gardés de la façon dont les "vaccins" viables ont été fabriqués afin d’en augmenter la production et par la même l’accès le plus rapide à la vaccination à la population (en faisant l’hypothèse de l’efficacité de ces thérapies). Le président Biden avait subi des pressions croissantes pour soutenir la proposition, rédigée par l’Inde et l’Afrique du Sud et soutenue par de nombreux démocrates du Congrès. De plus en plus de leaders ont soutenu cette initiative, comme Emmanuel Macron ce jour.
Katherine Tai, la représentante commerciale des États-Unis, a annoncé la position de l’administration mercredi après-midi, alors que la pandémie continue de sévir en Inde et en Amérique du Sud.
« Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale, et les circonstances extraordinaires de la pandémie covid-19 appellent des mesures extraordinaires », a-t-elle déclaré dans un communiqué. « L’administration croit fermement aux protections de la propriété intellectuelle, mais au service de la fin de cette pandémie, elle appuie la levée de ces protections pour les vaccins Covid-19. »
Des soutiens et des barrières
- Position des autorités : Le soutien de la Maison-Blanche n’est pas une garantie qu’une dérogation sera adoptée. L’article dit en outre que l’Union européenne s’est également mise en travers de la route, et les modifications apportées aux règles internationales en matière de propriété intellectuelle nécessitent un accord unanime. Mme Tai a déclaré que les États-Unis participeraient aux négociations à l’Organisation mondiale du commerce sur la question, mais qu’ils « prendraient le temps compte tenu de la nature consensuelle de l’institution et de la complexité des questions en jeu ».
- Position de l’industrie : De son côté, l’industrie pharmaceutique a répondu violement à cette proposition/décision extraordinaire. Stephen J. Ubl, président et chef de la direction de la Pharmaceutical Research and Manufacturers of America, a qualifié que cette « mesure sans précédent sapera notre réponse mondiale à la pandémie et compromettra la sécurité. » De plus il ajoute que « cette décision va semer la confusion entre les partenaires publics et privés, affaiblir davantage les chaînes d’approvisionnement déjà tendues et favoriser la prolifération des vaccins contrefaits » ainsi que de « remettre les innovations américaines aux pays qui cherchent à saper notre leadership dans la découverte biomédicale.
L’industrie pharmaceutique a fait valoir qu’une suspension des protections par brevet porterait atteinte à la prise de risque et à l’innovation. « Qui fabriquera le vaccin la prochaine fois? » a écrit Brent Saunders, l’ancien directeur général d’Allergan, qui fait maintenant partie d’AbbVie, sur Twitter.
- Position des organismes supra-nationaux : Les militants de la santé mondiale, qui ont fait pression pour la dérogation, ont salué la décision de l’administration Il s’agit d’une « étape véritablement historique, qui montre que le président Biden s’est engagé à être non seulement un dirigeant américain, mais un leader mondial », a déclaré Priti Krishtel, un directeur exécutif de l’Initiative pour les médicaments, l’accès et la connaissance.
Analyse de fond juridique
Ce n’est pas la première fois que l’on parle de ce sujet. La professeur de droit civil Eleonora Rajneri, membre du groupe d’experts qui travaille pour la Commission européenne sur les faits des produits défectueux, s’interroge dans ces études de l’absence de contrepartie entre les investissements substantiels des États au financement de la recherche sur les thérapies géniques contre la Covid19, plus communément appelés « vaccins ». Cela représente environ 18 milliards de dollars de financement direct ou indirect reçus par les six laboratoires pharmaceutiques sélectionnés par Covax – en l'espèce, le financement direct représente les aides directement reçues par les bénéficiaires et les aides indirectes peuvent être illustrées par les appels de fonds irrévocables liés aux contrats d’achat sur des produits en cours de développement et à l’efficacité incertaine.
Le traité international sur la propriété intellectuelle –TRIPS, signé à Doha en 2001 prévoit une clause d’exception à l’art. 31 qui permet à chaque Etat de donner des licences obligatoires à des fabricants autres que les titulaires des brevets en cas d’urgence sanitaire.
La santé et le cas particulier des investissements Covid
Etant donné que la santé est un bien fondamental, jusque dans les années 60, les produits pharmaceutiques étaient considérés comme des biens communs et non brevetables. Les brevets sur les produits pharmaceutiques n’ont été autorisés, que bien après les autres produits industriels, afin de rémunérer les laboratoires pour leurs considérables investissements financiers dans la recherche.
Lorsque les investissements sont à la charge du secteur public (ne serait-ce qu’en partie), il n’y a plus de raison pour accorder aux laboratoires l’entière propriété du brevet, avec le privilège de l’exclusivité y afférant. La professeure Rajneri explique :
« les fabricants acquièrent de par cette exclusivité une position dominante les protégeant du système concurrentiel du libre marché. Cela leur permet par exemple de fixer unilatéralement le prix de vente puisque l’acheteur, qui a besoin, du vaccin a perdu tout pouvoir de négociation. »
Effets de la suspension envisagée
La suspension des droits de propriétés intellectuelles annoncée est une bonne nouvelle, qui rééquilibre un système gravement asymétrique, en conformité avec les dispositions normatives existantes et leur raison d’être. Tout en prenant en considération le cout du risque de l’investissement des laboratoires, qui parait déjà couvert par les bénéfices substantiels engendrés jusqu’ici.
La suspension des brevets devrait avoir comme conséquences directes :
- D’augmenter les quantités de vaccins mise sur le marché afin de subvenir aux besoins de toute la population cible le plus rapidement possible. La doctrine étant que la vaccination devrait se faire concomitamment afin de limiter autant que possible les mutations du virus.
- De diminuer les prix de vente – la pression sur la demande et la temporalité étant allégée par l’augmentation des quantités disponibles le prix s’équilibrera normalement à la baisse
De plus, cela diminue le jeu des prises de positions des « premiers acheteurs » , comme Israël au détriment des pays plus défavorisés.
Courage politique contre lobby juridique et économique
Le cadre juridique pour la suspension des brevets existe déjà. La complexité réside dans la nécessité de trouver un accord simultané entre tous les États pour la prise d’effet de cette suspension, afin d’éviter tout phénomène de rétorsion des laboratoires à l’encontre des états individuels.
N’en déplaise aux détracteurs qui ne manqueront pas d’opposer toutes formes de contraintes juridiques, d’intérêts économiques, de souveraineté nationale ou privée ou plus prosaïquement de problèmes d’approvisionnement de matières premières.
Cette mesure n’est qu’en apparence extraordinaire car elle est prévue dans le droit même si elle n’a jamais été appliquée dans le cadre d’une situation sanitaire planétaire.
Sa mise en place relève donc plutôt du courage politique, dans l’intérêt du bien fondamental qu’est la santé, que d’une quelconque considération juridique ou d’intérêt économique, sous l’hypothèse d’une efficacité à démontrer de ces thérapies.
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