Un pesticide à ARNi autorisé aux États-Unis : bientôt en Europe ?

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Axel Messaire, pour France-Soir
Publié le 11 août 2024 - 17:20
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Epandage de pesticides, le 11 mai 2018 dans la Sarthe
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© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP/Archives
© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP/Archives

Plus discrètement que dans l’univers médical, l’ARN s’est aussi immiscé dans le paysage agricole, et ce depuis quelques années déjà. Si bien que l’agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) a autorisé en avril dernier l’utilisation de Calantha, un nouveau pesticide à ARNi luttant contre le célèbre doryphore de la pomme de terre. Les débats sont lancés : quelle efficacité, quels risques pour la santé, quid de la biodiversité ? Voilà les questions et les idées que les vents d’ouest risquent d’apporter en Europe très bientôt.

Ce n’est un secret pour personne : le paysage agricole mondial est en pleine transformation, avec l'émergence de nouvelles technologies visant à accroître les rendements tout en réduisant les impacts environnementaux. Sur le papier, en tout cas. Parmi ces innovations, les pesticides à ARNi se sont récemment positionnés comme une alternative aux produits chimiques traditionnels et aux OGM, dont le seul nom peut susciter une levée de boucliers.

Calantha, ni premier ni dernier sur le marché

Contrairement à ses prédécesseurs, qui agissent en empoisonnant les insectes nuisibles, ces nouvelles substances utilisent une approche plus subtile : l'interférence par ARN (ou ARN interférent, ARN-i). Cette méthode consiste à introduire dans l’organisme cible quelques molécules d'ARN conçues pour interférer avec l'expression de certains gènes spécifiques, provoquant ainsi la mort ou l'incapacité de l'insecte à se reproduire. L’idée derrière tout ça, en théorie, c’est de pouvoir cibler spécifiquement le gêne et/ou l’espèce qui dérange sans affecter le reste, en s’appuyant sur un mécanisme somme toute relativement naturel, puisque les plantes elles-mêmes réagissent comme ça lorsqu’elles sont en danger.

Le terrain est glissant, donc les entreprises se font discrètes, mais n’investissent pas moins. Il existe déjà des tomates qui ne vieillissent pas, des pommes qui ne brunissent pas, et des champs de maïs qui se défendent seuls contre les vers en produisant des gènes capables de les tuer, grâce à un insecticide à ARNi créé par Monsanto et autorisé en 2017. Sans grande surprise, l’entreprise américaine, alors fraîchement rachetée par l’allemande Bayer, n’a pas attendu une seconde pour s’enraciner dans le marché. Elle n’a pas oublié non plus les bonnes vieilles méthodes de lobbying. Comme le rapportait Usbek&Rica en 2018, pendant que Bayer nouait ça-et-là des accords avec de jeunes pousses spécialisées dans la confection de matériel ou de produits phytosanitaires, Monsanto se fendait d’une lettre de 81 pages à l’EPA pour éviter « une régulation semblable à celle sur les OGM ».

Sept ans plus tard, voici venu Calantha, créé par l’entreprise GreenLight Biosciences. Ce dernier a pour objectif d’être pulvérisé sur les cultures de pomme de terre pour en éliminer le plus grand destructeur : le doryphore. En théorie, la séquence d’ARNi ainsi épandue entrerait en contact avec le nuisible, agirait sur les séquences d’ADN envoyées à la surface de ses cellules et en modifierait la production de protéines pour qu’il ne puisse pas survivre. Le hic, c’est qu’on ne sait pas encore ce que cette pulvérisation va enclencher à côté de ça.

Qui vivra verra

Si les promesses associées aux pesticides à ARNi sont alléchantes, notamment parce qu’ils éviteraient l'utilisation de substances chimiques nocives, la technologie n'est pas sans soulever son lot d’inquiétudes. Les critiques pointent du doigt le manque de recul scientifique sur les effets à long terme de ces produits, tant sur l'environnement que sur la santé humaine.

L'un des principaux points de controverse concerne le potentiel impact des pesticides à ARN sur les espèces non ciblées. En effet, bien que les molécules d'ARN soient conçues pour être spécifiques à une espèce donnée, il existe un risque que des séquences génétiques similaires soient présentes chez d'autres organismes alentour, provoquant des effets secondaires non désirés. Comme l’explique Usbek&Rica, les séquences ARNi étant très courtes, « il est fort possible qu’elles soient communes à plusieurs espèces. En ciblant le doryphore, on va ainsi peut-être s’attaquer sans le savoir à la coccinelle ». Il faudrait donc, comme l’image Olivier Lemaire, directeur de recherches à l’Inra, « passer au crible le génome de toutes les espèces hors cible ». Et vous pensez bien que Bayer-Monsanto n’a pas le temps pour ça, pas plus que GreenLight Biosciences, qui rachète leurs brevets de technologies. D’ailleurs, l’EPA elle-même n’hésite pas à opacifier un peu tout ça, ne révélant que partiellement les étapes du processus d’évaluation du produit.

Certains chercheurs craignent donc que cette technologie puisse avoir des conséquences écologiques imprévisibles, perturbant les équilibres naturels de manière irréversible. De plus, l'idée que les molécules d'ARN puissent être absorbées par les plantes et éventuellement se retrouver dans la chaîne alimentaire humaine soulève des préoccupations sanitaires. Bien que les études préliminaires n'aient pas encore démontré de risques clairs pour la santé humaine, les détracteurs de cette technologie réclament davantage de recherches avant une commercialisation à grande échelle. Voilà qui n’est pas sans rappeler les débats qui ont eu lieu autour du vaccin anti-Covid à ARNm, ou encore les nombreux scandales sanitaires que Monsanto traîne à ses pieds comme des boulets.

Pour se défendre, l’entreprise à l’origine de Calantha assure sur son site Internet que le pesticide « se dégrade rapidement dans le sol et dans l'eau et ne nuit pas aux abeilles, aux papillons et aux autres insectes ou mammifères non ciblés ».

Quoi qu’il en soit, il y a fort à parier que l’Europe soit le prochain champ de bataille pour ou contre les pesticides à ARNi, Bayer étant étroitement connecté aux États-Unis, via Monsanto notamment. Affaire à suivre, donc.

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