Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Partie 5) Objectifs, mécanismes et contexte de la loi "infox"
Enquête en plusieurs parties - Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d’une prison digitale.
- Retrouvez la partie 1) Politique et info, un vieux couple français
- Partie 2) La toute-puissance financière des Big Techs
- Partie 3) Algorithmes et dépendances
- Partie 4) La dépendance des médias et l'avènement du fact-checking
INTRODUCTION - Pendant la crise du Covid-19, les principaux médias français ont relayé, sans réelle distanciation, la communication gouvernementale et les positions de l'industrie pharmaceutique. La défense des confinements et du “tout-vaccin” est devenue un axiome inattaquable, défiant toute approche scientifique raisonnable et équilibrée. Au lieu d'enquêter, de vérifier et de varier les sources afin de nourrir un débat contradictoire, des cellules de "fact-checking", intégrées au sein des rédactions de presse et financées par les Big Techs, ont court-circuité le rôle du journaliste et ont torpillé tout débat critique et complexe. Sous prétexte de lutte contre la désinformation, ces partenariats invasifs ont été appuyés par l'Union Européenne, y compris avec des subventions. Ils font apparaître un nouveau mécanisme capable d’influencer les opinions publiques sur n’importe quel sujet. En coulisses, d’autres acteurs troubles modèlent l’information, des think-tanks mais aussi diverses agences internationales du renseignement. Au sein de ce décor, le journalisme se transforme peu à peu en un inquiétant outil de contrôle et de surveillance des idées, avec des velléités de museler la liberté d’expression. L'Europe est-elle en train de devenir une prison digitale de l'information ?
PARTIE 5 - Avec un tel faisceau d'emprises sur nos sociétés, le risque que les Big Techs et leurs "plateformes numériques" posent un problème de désinformation est on ne peut plus élevé.
La loi "infox" de 2018 se s’attaque pas à leur influence. Quand bien même son rôle n'est pas de s’en prendre à ces monopoles du numérique ou d’en réguler tous les aspects, elle ne se préoccupe aucunement de l'éventualité que les Big Techs ne deviennent non seulement un vecteur de l'information, mais un acteur agissant en la matière.
Le législateur n'a eu en fait que deux exigences envers les multinationales du numérique : d'une part, pouvoir demander l'accès aux "recettes de cuisine" en matière de gestion de données, autrement dit a) les fameux algorithmes, pour constater une diffusion "automatique, massive" d'informations douteuses ; d'autre part b) la mise en place d'outils de contrôle des utilisateurs.
a) Les algorithmes sont "le cœur du réacteur des plateformes". Ils permettent de cibler les utilisateurs avec de la publicité. Ils peuvent tout autant privilégier, selon leur code informatique, la diffusion de certains contenus informatifs au détriment d'autres. L’opinion publique peut en conséquence être sous influence d'une publication artificiellement mise en avant.
b) La mise en place d'outils de contrôle est imposée aux opérateurs, avec la mise en place de "boutons" de signalement et l'obligation de disposer des liens de renvoi vers des "sites reconnus" lorsqu'un sujet est sensible ou susceptible de contenir une fausse information. Ce système permet de transformer chacun en "surveillant-délateur" de contenus jugés hétérodoxes.
Si les services de renseignement du monde entier s'occupent déjà théoriquement des risques liés à l'usage des moyens de communication par des groupes terroristes, sectes ou autres organisations extrémistes, force est de constater qu'un tout autre profil inquiète le pouvoir politique et le législateur. Il s'agit du complotiste.
Devenu "cible idéale" pour illustrer les risques de la "désinformation", son portrait est répété d'une façon obsessionnelle comme pour mieux attiser la flamme du conformisme : soit une sorte de cancre, petit blogueur qui voudrait expliquer au monde que la Terre est plate ; soit un activiste animé par une cause qui serait dangereuse pour la société.
On remarquera que les "complotistes" décriés ont souvent pour première théorie de ne pas partager l'idéologie du pouvoir politique en place. Apparaissent alors les limites de la bienveillance de l'homme politique au pouvoir qui, au prétexte d'un danger qui menacerait notre société, cède à la tentation d'instrumentalisation.
La tentation est grande, en les marquant du sceau du complotisme, de compliquer la diffusion d'idées, pourtant argumentées et rationnelles, mais défendues par des oppositions, des acteurs sociaux aux pensées divergentes ou encore des "lanceurs d'alerte".
Contexte de l'avènement de la loi
La tentation est tout aussi grande de façonner un système de contrôle de l'information qui n'aille que dans un seul sens, jusqu'à produire lui-même de fausses informations pour autant qu'elles entrent dans le cadre de l'idéologie dominante ou d'un seul parti.
Les origines mêmes de la loi "infox" interrogent à ce propos. Car c'est un événement bien singulier qui a inspiré Emmanuel Macron et ses lieutenants dans la proposition de la loi : la polémique relative à l'intervention d'intérêts russes dans la campagne électorale des présidentielles américaine de 2016.
À l'époque, puis dans les années qui ont suivi, le spectre d'une influence russe qui aurait aidé Donald Trump à se faire élire président des États-Unis a hanté constamment les débats publics outre-Atlantique. Un opérateur de plateforme, Facebook, était d'abord pointé du doigt. Ce dernier aurait laissé ses algorithmes à la merci de forces manipulatrices étrangères.
Ensuite, Donald Trump lui-même aurait participé à l'affaire, en entretenant des liens troubles avec la Russie. Problème... L'implication du candidat Trump n'a jamais été démontrée à l'époque, ni aucun lien direct avec d'éventuels soutiens financiers de producteurs de "fake news" venant de Russie. En fait, il a même été établi que tout cela n'était qu'une fable.
Ce faux scandale a pourtant été relayé massivement par l'ensemble des médias français, restés bien moins curieux au sujet du rôle des Big Techs tel Facebook, qui pouvaient vraiment poser problème et pour plusieurs candidats.
Avaient-ils peur de perdre au passage quelques subsides ? Fin 2021, l'affaire Durham-Sussmann-Baker montre que cette hypothèse de liens russes avec Trump était complètement fantaisiste (voir ici). Elle émanait d'une violente lutte partisane entre Républicains et Démocrates, avec un surprenant espionnage de ces derniers de la campagne de Trump.
Quel que soit l'avis de chacun à propos de Donald Trump, d'Hillary Clinton et des guerres partisanes propres à la vie américaine (qui concernent donc les deux partis), un élément apparaît : l'extrême politisation des enjeux liés à l'information, le goût des médias dépendant des Big Techs à prendre position pour des bords politiques particuliers.
Et lorsqu’un exécutif veut, dans ce contexte, écrire des lois pour trier la "bonne" et la "mauvaise" information, la situation de la libre expression et du journalisme enquêteur paraît très délicate.
Dans son discours de vœux à la presse de 2018, sous couvert du maintien de la libre expression, Emmanuel Macron ne laissait aucun doute sur ses velléités de contrôle de l'information, notamment par sa "hiérarchisation". Qui décide en amont de la valeur d'une information ? Vers quel type de site "reconnu" est-on réorienté une fois que les Big Techs décident de repérer une "fake news" ?
Quid si cela est une page gouvernementale de "désinfox" ou un site web d'une antenne administrative sous la tutelle de son autorité ? L'engrenage menace l'exercice même de la libre parole politique. Le traitement médiatique du conflit russo-ukrainien en donne une autre illustration.
- Prochainement, partie 6 : Hiérarchisation et retour de la censure
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