COVID-19 : Le microbiote et Prevotella, derrière la corrélation observable, un lien de causalité avec le coronavirus ?
Précision du directeur de la publication :
Le contenu d'actualité et l’approche de la science collaborative nous incitent à couvrir ce sujet. En confinement, les personnes ont eu du temps pour approfondir leurs recherches et se plonger dans la littérature scientifique. Ils ne remettent nullement en cause l'état de la science, mais se permettent de sortir des sentiers battus pour émettre des hypothèses et chercher à les valider. Nous sommes encore une fois dans la thèse initiale d'internet qui mettait en avance la recherche collaborative et la contribution à la résolution d’un problème médical. Les travaux de ces personnes sont publiés pour montrer leur désir de contribution. La matière grise existe et il est intéressant d'en faire usage.
La plus belle de toutes les sciences, celle du nombre. Eschyle
Plusieurs personnes, mues par l’inquiétude pour leurs proches et soucieux de contribuer au débat scientifique [1], se sont interrogées sur la corrélation observable entre certains aspects du Covid-19 et la bactérie Prevotella. La bactérie Prevotella et ses sous-espèces (Prevotella spp.) trouvent en effet un écho dans les profils épidémiologiques et les tableaux de symptômes du Covid-19 [2]. Toutefois, un peu comme le dicton populaire qui précise que « comparaison n’est pas raison », le lien de corrélation ne peut être assimilé à un lien de causalité. Autrement dit, ce n’est pas parce que les symptômes du Covid-19 évoquent Prevotella que cette bactérie en est précisément la cause. C’est pour cette raison d’ailleurs que la piste Prevotella a été classée un peu trop rapidement au rang de « Fake News ». En toute rigueur, avant de la classer comme telle, l’hypothèse à valider est : existe-t-il un lien possible de causalité ?
A notre connaissance, ce travail n’a pas été fait. Nous proposons seulement d’alerter le lecteur et les chercheurs sur l’éventualité d’un lien de causalité entre Covid-19 avec Prevotella (et le microbiote en général) au travers de son interaction avec l’enzyme de conversion de l'angiotensine 2 (ACE2 pour l’abréviation anglaise que l’on utilisera par la suite), la porte d’entrée du SARS-COV2 (ce terme désigne le virus, le Covid-19 la maladie) dans l’organisme. Une enzyme est un type particulier de protéine qui a des propriétés catalytiques, c’est-à-dire des propriétés permettant de transformer une molécule de départ en une autre molécule finale (plus précisément elle accélère cette réaction).
Nous avons cherché à étudier cette possibilité de causalité
Tastuo Hashimoto, Thomas Perlot et leur équipe ont publié en 2012 dans la prestigieuse revue Nature, une étude concernant l’enzyme ACE2[3]. L’hypothèse retenue est la suivante : l’apparition et la gravité des symptômes du Covid-19 est indirectement influencée par le microbiote, car ce dernier influence l’expression de l’enzyme ACE2. Dès lors, il n’est pas interdit de penser que la bactérie Prevotella peut jouer un rôle dans le Covid-19.
L’enzyme ACE-2 est la porte d’entrée principale du Covid-19
Sans entrer dans les détails de la biologie moléculaire des cellules, on a identifié deux protéines qui permettent au virus de se lier avec des molécules [4]. La première qui semble anecdotique pour le moment (peut-être que l’avenir le démentira) est la protéine hémagglutinine esterase (HE). La seconde qui permet au virus de se lier avec d’autres molécules est la protéine Spike (ou protéine S). Le terme Spike signifie « spicule » en français (une sorte de pointe). Il renvoie à l’idée que le virus vient littéralement harponner ou se ficher dans la protéine (molécule) de la cellule qu’il va attaquer.
Dans le cas du Covid-19, la protéine Spike vient se lier à une protéine de certaines cellules humaines qu’on appelle « enzyme de conversion de l'angiotensine 2 » (ACE2 pour l’abréviation anglaise).
Dans notre cas, les enzymes ACE2 sont présentes sur les épithéliums, tissus cellulaires que l’on retrouve dans certaines parties du corps. Ces épithéliums peuvent être de plusieurs natures : épiderme (épithélium de la peau) , épithélium intestinal, épithélium des voies respiratoires, épithélium de la vessie et du système urinaire. La répartition des enzymes ACE2 fournit une base d’explicative de la symptomatologie du Covid-19.
En résumé, le SARS-COV2 vient se lier fortement à l’enzyme ACE2 des cellules humaines qui en présentent et se servent de ces cellules pour s’y multiplier, laissant ensuite la cellule morte.
On serait donc tenté d’en conclure que plus on a de cellules ACE2, plus il y a de portes d’entrées pour le Covid-19 et plus on sera touché sévèrement. Mais il n'en est rien. Autrement dit, les scientifiques n’arrivent pas encore à mettre en évidence des liens de corrélations quantitatifs logiques entre la quantité de cellules épithéliales (et donc d’enzymes ACE2) et la gravité des symptômes.
Il semble donc qu’on soit davantage dans un rapport qualitatif que quantitatif et que ce soit l’expression de l’enzyme ACE-2 qui explique les différences observées.
Le microbiote module directement l’expression de l’enzyme ACE2
Une expérience de l’étude précitée, nous intéresse plus particulièrement. Elle permet de mettre en évidence le lien de causalité directe entre microbiote et expression de cette enzyme ACE2.
Les chercheurs ont étudié deux souris, l’une mutante (malade), l’autre saine. La souris mutante présente des enzymes ACE2 dysfonctionnelles, ce qui provoque une dérégulation du système rénine-angiotensine (système de régulation des fonctions cardiovasculaires et pulmonaires). L’autre souris ne présente aucune dérégulation du système rénine-angiotensine et ses enzymes ACE2 semblent fonctionner correctement.
Les chercheurs ont ensuite transplanté le microbiote de la souris malade vers la souris saine : ils ont alors observé que l’enzyme ACE2 devenait dysfonctionnelle et entrainait une dérégulation du système rénine-angiotensine.
L’étude démontre aussi que l’ACE2, lorsqu’elle est dysfonctionnelle, joue un rôle dans certains phénomènes inflammatoires. En conséquence, l'étude permet de conclure que, vraisemblablement, le microbiote module directement l’expression de l’enzyme ACE2, ce qui peut provoquer des phénomènes inflammatoires.
On peut donc émettre l’hypothèse qu’il en soit de même dans la maladie du Covid-19 et on ne voit pas pourquoi l’infection d’une cellule humaine par le Covid-19 viendrait neutraliser l’influence du microbiote sur l’expression des enzymes ACE2.
Le microbiote pourrait donc avoir une influence sur l’infectivité, et on peut se demander également si l’effet réciproque n’est pas possible, à savoir : l’internalisation d’ACE2 lors de l’infection virale et la modification de son expression va-t-elle modifier le microbiote de l’hôte au cours de la maladie ?
Certaines bactéries ont une influence plus prononcée que d’autres dans l’expression de l’enzyme ACE2
Dans l’étude précitée, les chercheurs testent plusieurs hypothèses. Ils montrent ainsi que l’absence dans l’alimentation de l’hôte d’un acide aminé essentiel (une des briques fondamentales permettant la production des protéines, et que l’organisme ne peut pas synthétiser), en l’occurrence le tryptophane, perturbe l’activité de l’ACE2.
Ils observent également que lorsque l’activité enzymatique de l’ACE2 est perturbée, cela induit des phénomènes inflammatoires. Ils montrent que l’absence d’un acide aminé (une des briques fondamentales qui compose une protéine), en l’occurrence le tryptophane, perturbe la catalyse de l’ACE2. Dans le même temps, les auteurs ont constaté une dérégulation à la baisse de peptides anti-microbiens, éléments qui jouent un rôle dans la réponse immunitaire pour tuer les bactéries à Gram négatif et à Gram positif (le Gram positif ou négatif définissant un type de structure au niveau de la paroi d’une bactérie).
Autrement dit, la perturbation de l’activité enzymatique de l’ACE2 par le microbiote provoque à la fois des phénomènes inflammatoires, mais également une baisse de la réponse immunitaire face aux bactéries.
En revanche, la transplantation du microbiote de la souris mutante (malade) vers une souris saine n’a pas entraîné de baisse de la réponse immunitaire face aux bactéries. C’est donc bien la perturbation de l’activité enzymatique seule qui abaisse la réponse immunitaire face aux bactéries et non le microbiote.
En résumé, si nous transposons dans le cas du Covid-19, le virus est responsable de la mort des cellules et de la baisse des défenses immunitaires face à la bactérie.
Cependant le microbiote serait le principal responsable des phénomènes inflammatoires exacerbés.
La réponse immunitaire jouant également un rôle essentiel dans la maladie et ses complications, il serait donc intéressant de déterminer la part de responsabilité bactérienne à l’inflammation, par rapport à la part virale. Dans leur étude, les scientifiques essaient de voir quelles bactéries sont le plus susceptibles de profiter de façon opportune de cette baisse des défenses immunitaires.
Pour ce faire, ils utilisent au cours de leur expérience de la rapamycine (un immunodépresseur) pour les besoins de l’expérience. Ils concèdent que cela introduit un biais d’analyse dans le microbiote et que pour ces raisons l’analyse n’est pas complètement fiable. Les chercheurs en concluent que certaines bactéries peuvent devenir plus abondantes que d’autres, en l’absence d’activité ACE2, que ce soit avec ou sans tryptophane dans l’alimentation de l’hôte.
Les chercheurs ont principalement recensé : des bactéries Limibacter : bactéries aérobies (elles ont besoin d’oxygène pour survivre) Gram négative, des bactéries Plaudibacter : bactéries anaérobies (elles se développent à l’abri de l’oxygène) Gram négative, des bacteroidales non classées
Toutefois les biais de l'analyse et le cas d'espèce étudié ne permettent pas d'affirmer que ce sont nécessairement ces bactéries qui sont en cause dans le cadre du Covid-19.
Prevotella copri est une piste à privilégier car elle a été identifiée comme bactérie discriminante du microbiote
Le SARS-COV2 contribue à perturber l’activité de l’enzyme ACE2 en s’y liant. Mais, chaque situation est différente et l’expérience décrite, même si elle permet de tirer certaines conclusions, ne peut valoir de cas général. En l’occurrence, compte tenu du fait que le SARS-COV2 a un matériel génétique particulier et provoque une réaction immunitaire spécifique, il semble impossible de pouvoir faire des analogies sur cette étude pour en tirer des enseignements sur les bactéries à l’œuvre chez l’hôte dans le cadre de cette maladie.
Cependant, l’expression des ACE2 dépend directement du microbiote, il apparait que le microbiote peut vraisemblablement être le facteur discriminant des tableaux de symptomatologies du Covid. Or Prevotella, bactérie discriminante des entérotypes (profil bactérien du microbiote) en première approximation, peut-être une bactérie candidate et jouer un rôle majeur dans le Covid-19. Elle permet en effet d’expliquer assez bien le profil de l’épidémie et certains symptômes rencontrés [1].
SARS-COV2 pourrait également préparer un terrain propice à des infections bactériennes de type Gram négatif (sans pour autant que ce soit nécessairement des bactéries Prevotella).
Il semblerait donc utile de chercher dans cette voie et d’adapter les antibiothérapies en ce sens afin de ne pas généraliser les antibiotiques à large spectre et inférer des antibiorésistances dans la population. En l’état, l’utilisation des antibiotiques visant les bactéries à Gram négatif semble une piste intéressante.
Par ailleurs, si la piste de Prevotella spp. venait à être confirmée, les traitements de fond utiles contre ce type de bactéries pourraient être:
- anti-inflammatoires contre l'arthrite rhumatoïde (Tocilizumab, Hydroxychloroquine…)
- contre la mucoviscidose (antibiothérapies)
- des maladies de Crohn ciblant cette bactérie
- à base de probiotiques visant à stimuler la compétition bactérienne
Plus simplement encore, un changement de régime alimentaire.
Références et remerciements :
[1] Notamment Bio Moon et Sandeep Chakraborty
[2] https://medium.com/@igaalhanouna/une-s%C3%A9quence-g%C3%A9n%C3%A9tique-de-prevotella-pourrait-%C3%AAtre-un-facteur-d%C3%A9terminant-de-la-s%C3%A9v%C3%A9rit%C3%A9-des-807a7c36a05e
[3] « ACE2 links amino acid malnutrition to microbial ecology and intestinal inflammation » https://www.nature.com/articles/nature11228#Sec20
[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1521661620303181?via%3Dihub
[5] Remerciement à Alexander Samuel, Docteur en biologie moléculaire (et auteur de plusieurs publications en lien avec le neurodéveloppement), pour m’avoir accompagné dans ma démarche et m’avoir permis d’exprimer mon hypothèse dans un langage précis.
A propos de l'auteur : Igaal Hanouna est un passionné de biologie, diplomé de Sciences Po et Sup de Co Paris.
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