Paroles de flics : Didier, CRS. “Un métier passionnant”, mais “la police en a ras le bol” !
TÉMOIGNAGE - Didier (le prénom a été changé, ndlr), CRS depuis plus de vingt ans, a accepté de raconter son métier, de partager avec nous ses réflexions et de témoigner des doutes et du malaise qui monte dans sa profession. Chez les CRS, comme chez les autres flics de terrain, le ras le bol se fait de plus en plus pesant. Avec des velléités de révolte. On n’y est pas encore, mais l’idée progresse, à bas bruit. Le sentiment unanimement partagé est que ça ne peut pas continuer comme ça.
Un métier passionnant, des missions multiples
Didier est loin de faire partie des grands insatisfaits de cette profession qui connaît des départs massifs et un taux de suicides dramatiquement élevé. D’aussi loin qu’il se souvienne, le policier a toujours eu une vocation pour les métiers ayant trait à la sécurité. Il explique qu’il aurait tout aussi bien pu être pompier et que finalement, c’est la police qui lui a "ouvert grandement les portes". Il s’en félicite : il trouve son métier passionnant.
Un métier qui ne se résume pas à l’encadrement des manifestations. Les compagnies républicaines de sécurité emploient des spécialistes de la montagne, des maîtres-nageurs sauveteurs, des motards qui traquent les chauffards sur les autoroutes… Et ces professionnels du maintien de l’ordre assurent des missions extrêmement variées, telles que la garde de bâtiments publics ou religieux, le renfort auprès d’autres services et la sécurisation de quartiers difficiles.
Ils peuvent être déployés à Calais, pour appuyer leurs collègues qui tentent de lutter contre l’émigration illégale ou dans des cités pour tenter de freiner les trafics. Une unité de CRS peut être envoyée n’importe où en France. L’éloignement a parfois pour avantage d’éviter qu’un fonctionnaire croise en bas de chez lui un individu avec qui il aurait eu maille à partir lors d’une opération.
Quand nous le rencontrons, Didier est en mission loin de chez lui. Toute sa compagnie est déployée dans des cités du sud de la France pour lutter contre le trafic de drogue. Il nous explique que les trafiquants méridionaux semblent plus réfléchis que ceux des cités franciliennes. Après quelques années passées en région parisienne, le policier a obtenu une mutation le rapprochant de sa région d’origine, mais il sait de quoi il parle.
Quand une unité de CRS débarque, en uniforme, en renfort de leurs collègues en civil, les délinquants du sud préfèrent se barricader et se cacher plutôt que de venir au contact. Ils préfèrent éviter des affrontements violents qui risqueraient de déclencher l’arrivée d’effectifs policiers en nombre beaucoup plus importants. Les forces de l’ordre font leur maximum pour tenter de ralentir les trafics.
Mais Didier déplore que le "reste de la société" et notamment la justice, ne suivent pas. Alors, "après certains moments particulièrement durs, avec les collègues, on se demande si ça vaut encore le coup. On voit l’évolution de la société et on se pose beaucoup de questions", explique-t-il.
Un équipement pas toujours adéquat
Depuis les attaques de 2015, tout service de police a vocation à être "primo intervenant" en cas d’attentat, c’est-à-dire à agir une fois rendu sur place, sans attendre l’arrivée des unités spécialisées comme le RAID, la brigade anti-commando ou le GIGN. À ce détail près que cette possibilité demeure théorique dans la mesure où de nombreux services ont reçu un complément de formation extrêmement succinct, voire pas de formation du tout, et n’ont pas l’équipement adéquat.
Concernant les CRS, c’est un peu différent : des "Sections de protection et d’intervention" (SPI) ont été créées, renommées par la suite "Sections de protection et d’Intervention de 4e génération" (SPI4G). Chaque Compagnie républicaine de sécurité comprend de telles unités, qui ont reçu une formation renforcée pour intervenir lors des tueries de masse.
Malheureusement, l’équipement n’a pas suivi. Certes, il a été amélioré, mais pas suffisamment.
"On a reçu un équipement de niveau 2", explique Didier. "Ça signifie que les boucliers qu’on nous a donnés ne sont pas efficaces. Des policiers du RAID nous l’ont dit. 10 impacts sur un de nos boucliers, on n’a plus de bras. Or, pendant l’attaque du Bataclan, le gros bouclier en a reçu 27... !"
"Alors certains collègues se posent la question de savoir si on aurait vraiment nécessité à y aller, parce que la protection est insuffisante. Certains sont réfractaires. On n’est pas une unité faite pour lutter contre le terrorisme. Bon, ça n’arrive pas tous les jours et s’il fallait y aller, on serait prêts à le faire, mais avec quel degré de motivation ?"
Une gestion problématique des manifestations
Question encore : la gestion des manifestations. D’après Didier, elle soulève beaucoup d'interrogations.
Déjà, le rythme de travail peut générer des problèmes. Les policiers peuvent être rappelés tous les samedis pendant des semaines. Lors de manifestations contre la réforme des retraites, le CRS a connu des "journées" de travail durant de 20 à 24 heures. Or, "nous ne sommes pas des machines", plaide-t-il, "des gestes mal interprétés peuvent être le résultat de la fatigue, du stress et de la pression accumulés en fonction des évènements".
Par ailleurs, le policier ne voit pas d’un bon œil l’appel massif, pour encadrer les manifestations, de fonctionnaires formés pour d’autres missions. "Quelqu’un qui n’est pas fait pour une spécialité n’a pas à intervenir", assène Didier.
Il rappelle cependant que si un CRS n’est pas à l’abri d’un mauvais geste dû à l’intensité de certaines manifestations, cela demeure très exceptionnel. Les fonctionnaires sanctionnés pour usage abusif de la force lors des manifestations n'émanent que très rarement d'unités spécialisées comme les CRS ou les gendarmes mobiles.
"En matière de maintien de l’ordre, nous avons une formation très avantageuse par rapport à certains collègues, explique Didier, et nous sommes formés avant tout pour assurer la sécurité des gens et pour nous défendre, quand nous sommes attaqués. Les images que nous avons vues, pour un mauvais usage du LBD, montraient, pour beaucoup, des policiers qui avaient été peu ou parfois, pas formés. On a aussi un système de grenades où il ne faut pas faire d’erreur".
"Effectivement, on a besoin de renforts, on a besoin de monde, commente-t-il encore, mais tu ne peux pas donner une arme à quelqu’un qui ne sait pas s’en servir et lui dire 'tu vas aller là et l’utiliser quand même' !"
Or, ce cas de figure risque d’autant plus de se multiplier que la formation des nouveaux arrivants semble laisser à désirer. Le regard de Didier est très sévère sur ce point.
"La formation est devenue catastrophique", estime-t-il. "Avant, il y avait un an de formation. On faisait un stage par mois en commissariat et on bossait, beaucoup ! Maintenant, ils n’ont plus que huit mois d’école et ils passent la moitié de ce temps sur des consoles de jeux ou à regarder la télé !".
Le CRS estime aussi que les critères de recrutement sont à revoir. On accepte des candidats à un niveau beaucoup trop bas et les motivations des aspirants policiers ne sont pas assez étudiées. Si certains veulent encore intégrer l’institution par vocation, et "ceux-là on les repère rapidement", commente Didier, d’autres candidateraient pour des motifs beaucoup moins louables.
Ordres absurdes : "mêmes conneries que pendant les gilets jaunes!"
Le policier s’interroge aussi sur les situations où des manifestants reçoivent des ordres de dispersion alors qu’ils sont encerclés dans des nasses qui les empêchent, de fait, d’obéir. Ces situations extrêmement anxiogènes et violentes sont connues pour être sources d’affrontements et génératrices d’animosité de la part de la population envers les forces de l’ordre.
"Nous avons déjà eu le problème avec les gilets jaunes, le 1er décembre, sur la place de l’Étoile à Paris. Toutes les forces de police avaient fermé la place et on disait aux gens de sortir !", se rappelle Didier.
Il essaie de comprendre : "On a une chaîne hiérarchique tellement dense. La chaîne d’infos peut être cassée ? Il y a le commandement au QG mais ça va aussi au-dessus et ça part dans plein de directions…".
Pour autant des questions demeurent. "On a revu le même cas de figure à la Concorde quand c’est parti 'en sucette' après le 49.3 pour la réforme des retraites. On s’est dit : 'c’est pas possible ! Ils recommencent les mêmes conneries que pendant les gilets jaunes ! Ils ont pas compris !' On avait beau faire des messages radios pour alerter les autorités du gros problème qu’il y avait, il n’y avait aucune réaction !"
Alors Didier émet d’autres hypothèses quant à l’origine du problème : "Est-ce la panique ? Est-ce que c’est voulu ? Est-ce que… En tout cas, il y a un problème quelque part".
Justement, le fameux "nous ne sommes pas dans le même camp, madame", de l’ancien préfet de police de Paris, Didier Lallement, interpellé par une pacifique gilet jaune, n’a pas manqué de poser un problème aux policiers.
"On vous impose, petit flicard sur le terrain, d’avoir une obligation de réserve, mais après on a une autorité qui se permet d’avoir un discours très ouvertement contre la population !", s’indigne Didier. "Donc, au bout d’un moment…", ajoute-t-il.
"L’obligation de réserve, c’est clairement pour qu’on se taise", conclut-il.
Ce silence imposé serait acceptable s’il y avait quelqu’un pour porter la voix des fonctionnaires, mais de l’avis du policier (et de nombre de ses collègues que nous avons rencontrés, ndlr), ce n’est pas le cas parce que les syndicats jouent très mal leur rôle.
"Les syndicats n’ont pas beaucoup de résultats", déplore le CRS. "Est-ce que c’est voulu ou pas ? Quel est leur intérêt à nous défendre avec autant de parcimonie ?", interroge-t-il. "J’ai ma petite idée…", renchérit-il encore, "et elle est partagée par beaucoup de mes collègues".
Alors, les policiers obéissent. "On défend notre gagne-pain", plaide Didier. Mais la tension monte et les doutes deviennent insistants.
"On se tire des balles dans les pieds", réfléchit le CRS. "Les gens nous disent 'mais on se bat pour vous aussi'. Même ma femme me dit 'qu’est-ce que vous attendez ? La population vous demande d’intervenir'. Mais quand on est seul ou très peu nombreux…". Il ajoute cependant, "on sent qu’à un moment donné, le réveil est réel".
"À un moment donné, va falloir prendre une décision"
Concernant la réforme des retraites, les policiers n’y sont pas plus favorables que les autres. Même pour ceux qui exercent encore cette profession avec passion, elle est usante.
"C’est un métier très prenant, fatiguant", explique Didier. "Quand on explique nos métiers à un médecin, il écarquille les yeux et se demande comment on tient, physiologiquement, psychologiquement et physiquement. Vous travaillez le matin, la nuit, les jours fériés. Il n’y a que les vacances où vous êtes sûr d’être tranquille. Vous ne pouvez pas prévoir un spectacle parce que vous pouvez être rappelé. On est rappelé un jour plus tôt pendant les jours de repos. Ou on est prolongé de deux jours quand on travaille...".
Alors, quand je cite une phrase de la lettre que quatre syndicats de police ont adressée à Emmanuel Macron, pour demander notamment une répression plus ferme des agressions contre les forces de l’ordre, "Voulez-vous avancer avec ces criminels sans les forces de l’ordre et les garants de la paix publique ?", et que je demande "ça peut sonner comme une menace, non ?", Didier me répond "oui. Est-ce que l’ensemble des policiers et des syndicats vont mettre face aux politiques? Parce que la police en a ras le bol. Les collègues se posent beaucoup de questions. Va falloir agir. À un moment donné, va falloir prendre une décision. Est-ce que la mayonnaise va monter ? Sinon, on a un moyen de pression qu’ils n’aiment pas : les arrêts maladies".
Et Didier de pronostiquer : "La sécurité, pour les JO, ça va être catastrophique !"
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