Bernard Tapie : six vies en une
Bernard Tapie, qui est décédé dimanche, a été pendant plus de 40 ans une figure marquante de l'histoire politique, économique et sociétale de la France, de par son charisme, ses éclats mais aussi ses coups tordus.
"J'ai eu un parcours extraordinaire" ou "Je suis plus qu'heureux !", s'exclamait dans les médias, en dépit de la maladie, celui qui a connu au moins six vies publiques : entrepreneuriale, politique, sportive, artistique, médiatique et judiciaire.
Atteint depuis 2017 d'un cancer métastasé, il était apparu toujours battant mais amaigri et pâle, les cheveux blancs et les cordes vocales affaiblies lors d'une interview-confession diffusée par BFMTV en janvier 2020.
Incarnation de la réussite sociale et de la flamboyance des années 80, "Nanard", que les Guignols de Canal + qualifiaient de "sévèrement burné", était devenu le symbole de l'homme d'affaires sulfureux à partir du match de football truqué Marseille-Valenciennes en 1993. Un épisode qui lui valut six mois de prison en 1997 pour corruption et subornation de témoin.
Grande gueule aux serments faciles, il avait le teint hâlé, les cheveux drus et les mâchoires fortes. Son plus gros défaut, admettait-il, était de ne pas "prendre le temps" d'expliquer ses actions. Il assumait aussi le fait d'avoir été un "emmerdeur" parce que, disait-il, "je ne lâche pas les gens".
Daniel Cohn-Bendit, qui l'a côtoyé au Parlement européen, évoquait un "enchanteur", un amateur d'"histoires abracadabrantesques" qu'il "ne faut pas toujours croire".
- Le débat Tapie-Le Pen -
Né le 26 janvier 1943 à Paris, il est le fils d'un ouvrier-chauffagiste. Brièvement membre des Jeunesses communistes, le petit prolo "aux yeux trop grands" (titre d'un de ses livres) pilote des voitures de course, vend des télés, se lance dans la chansonnette.
En 1977, il se spécialise dans la reprise et la revente de sociétés en difficulté. Surnommé le "Zorro des entreprises", il s'illustre en 1990 avec le rachat d'Adidas, géant allemand de l'équipement sportif. Il se bâtit un empire et une fortune qui lui permettent de s'offrir un hôtel particulier à Paris et un luxueux voilier, le "Phocéa".
En 1983, Bernard Tapie investit dans les activités sportives, d'abord en montant une équipe cycliste, "La Vie claire", puis en reprenant le club de foot de l'Olympique de Marseille. En 1988, il bat le record de la traversée de l'Atlantique nord en monocoque à bord du "Phocéa" sur lequel il se trouve en tant qu'armateur : "ce fut le plus beau jour" de ma vie, a-t-il assuré en 2020.
Mettant à profit sa notoriété, il se lance en politique. Défenseur des jeunes de banlieue, il frappe les esprits en acceptant un débat télévisé en 1989 face à la "bête médiatique" qu'est Jean-Marie Le Pen: il ne se démonte pas, le leader du Front national ne gagne pas.
Il devient député ("Majorité présidentielle") des Bouches-du-Rhône en 1989 et enchaîne les succès: aux régionales de 1992, aux législatives de 1993, aux européennes de 1994. Dans ce scrutin, sa liste MRG taille des croupières à celle de Michel Rocard (PS) et met fin, sous l’œil ravi du président François Mitterrand, séduit par son abattage, aux ambitions présidentielles de l'ex-Premier ministre.
Au printemps 1992, il est nommé ministre de la Ville dans le gouvernement Bérégovoy mais doit démissionner au bout de deux mois pour abus de biens sociaux. Après un non-lieu, il revient à ce poste pour trois mois fin 1992-début 1993.
En 1993, c'est quelques jours avant la victoire de Marseille en Coupe d'Europe des clubs champions qu'éclate l'affaire de corruption du match OM-VA.
Dès lors, les foudres de la justice vont s'abattre sur lui, se soldant par de la prison, une mise en liquidation judiciaire personnelle et la perte de ses mandats électifs.
- "Commissaire Valence" -
Ce père de quatre enfants va se replier sur sa famille, autour de sa seconde épouse Dominique -son roc-, faire du cinéma ("Hommes, femmes, mode d'emploi", de Claude Lelouch), de la radio et du théâtre. Sur TF1, il tient le rôle du "Commissaire Valence", de 2003 à 2008. Après être revenu aux affaires en 2009, il met en 2012 la main sur les derniers titres du groupe Hersant, dont "La Provence", à Marseille.
En 2008, il empoche les quelque 400 millions d'euros que lui octroie l'arbitrage dans son vieux conflit avec le Crédit lyonnais sur la vente d'Adidas. Mais, neuf plus tard, il est condamné définitivement à rendre l'intégralité des sommes.
Pourtant, dans le volet pénal de cette saga judiciaire, le tribunal le relaxe en juillet 2019 des accusations "d'escroquerie". "Mon cancer vient de prendre un sale coup dans la gueule ! C'est bien la preuve qu'il faut toujours, toujours, se battre jusqu'au bout", avait-il réagi même si le parquet a ensuite fait appel.
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