Contre le déni de justice, des victimes de prêtres pédophiles unies à l'international

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Par Lucie PEYTERMANN - Paris (AFP)
Publié le 19 février 2019 - 07:45
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Des victimes d'agressions sexuelles commises par des prêtres posent devant la place Saint-Pierre à Rome le 18 février 2019, (de G à D) Maniuse Mileiosky, Benjamin Kitobo, Peter Saunders, Jacques, Mare
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© Alberto PIZZOLI / AFP
Des victimes d'agressions sexuelles commises par des prêtres posent devant la place Saint-Pierre à Rome le 18 février 2019, (de G à D) Maniuse Mileiosky, Benjamin Kitobo, Peter Sau
© Alberto PIZZOLI / AFP

Marek, 50 ans, agressé sexuellement dans son enfance par un prêtre en Pologne, a derrière lui "des années d'antidépresseurs" et d'alcoolisme, "trois tentatives de suicide", un divorce, et neuf ans de combat judiciaire pour que son agresseur soit finalement "suspendu" trois ans et condamné à lui "présenter des excuses". Ce qu'il n'a pas fait.

"J'ai été forcé de devenir adulte à 13 ans", lâche-t-il aujourd'hui amèrement.

Jacques, pris au piège dès 14 ans de la "toile d'araignée" et des viols d'un prêtre suisse, a lui aussi lutté des années pour obtenir la reconnaissance par l'Eglise catholique de la gravité des abus subis. Plus de 20 ans après son traumatisme, José Andrés Murillo a contribué à dénoncer le prêtre influent qui l'a agressé, un scandale qui a ébranlé toute l'Eglise chilienne.

Leur vie a été bouleversée à jamais par ces abus, mais c'est après de longues années qu'ils commencent à obtenir des bribes de justice, une réalité insupportable selon eux qui les a poussés à devenir des militants et à provoquer des avancées sans précédent dans leurs pays sur ce sujet.

En juin dernier, ils ont décidé de fédérer leur combat et lancé, avec d'autres victimes, l'organisation Ending Clerical Abuse (ECA, Pour en finir avec les abus du clergé). Première du genre au niveau mondial, elle rassemble des victimes de 21 pays et plusieurs continents.

"C'est un mouvement historique (...) pour parler d'une seule voix", déclare à l'AFP Peter Saunders, 61 ans, lui même agressé sexuellement à 12 ans par deux prêtres jésuites et devenu une figure de ce combat en Angleterre. Son frère Michael, agressé par l'un de ces prêtres et dans la même école six ans avant lui, a sombré dans les addictions. Il en est mort à 55 ans.

"Pendant des années, l'Eglise catholique a résisté à tout changement, mais elle commence à céder à la pression exercée par les victimes, les médias et les opinions publiques", commente ce cofondateur d'ECA.

Objectifs affichés d'ECA: parvenir à la "tolérance zéro" en matière de pédophilie, mettre fin à la prescription de ces crimes et à la "dissimulation" des abus sous prétexte de préserver l'institution, et apporter un soutien aux victimes où l'omerta est encore plus forte (Afrique, Asie, Amérique du Sud ou centrale).

- "Contre-sommet" -

De mercredi à dimanche, ECA organise à Rome des actions de victimes, sorte de "contre-sommet" au moment où le pape François a convoqué au Vatican les présidents des conférences épiscopales du monde entier pour plancher sur la lutte et la prévention des abus sexuels sur mineurs.

Après une année 2018 marquée par la révélation de scandales d'agressions sexuelles commises par le clergé, le pape a fait plusieurs déclarations fortes. Mais sur le terrain, le combat de ces survivants d'abus contre la mécanique du silence, favorisée par des siècles d'autorité morale de l'institution sur ses fidèles, reste très complexe, dénoncent des victimes de plusieurs pays qui ont accepté de témoigner ces derniers mois auprès de l'AFP.

"Soit je me suicidais, soit je le dénonçais, mais cela a été une lutte longue et angoissante", lance Jacques, Suisse de 70 ans, agressé et violé de 14 à 20 ans par un prêtre suisse, et aujourd'hui membre d'ECA. Après des années de thérapie, Jacques finit par prendre contact en 2009 avec un évêque pour tenter d'obtenir une "justice réparatrice".

Mais il mettra cinq ans pour que les responsables de la congrégation de son agresseur "comprennent la gravité des conséquences des actes de leur confrère et reconnaissent la responsabilité morale de leur institution", ou acceptent de lui fournir des informations: notamment que le responsable de la congrégation avait eu connaissance des penchants pédophiles du prêtre avant même son ordination, ou que ce prêtre avait plusieurs fois été "délocalisé" en France, pour se faire "soigner".

En 2010, Jacques a fondé le Groupe SAPEC (Soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse), qui conduira à la mise en place sans précédent d'une commission neutre qui permet aux victimes d’abus prescrits d'être écoutées et indemnisées.

En Pologne, pays très catholique, Marek Lisinski, cofondateur d'ECA, dit lui "avoir rêvé" d'une telle organisation, pour "montrer aux victimes polonaises qu'elles ne sont pas seules".

Il raconte avoir été "agressé pendant dix mois par un vicaire" alors qu'il n'avait que 13 ans. Ses démarches ont permis de confirmer la culpabilité du prêtre, mais les sanctions ne sont selon lui pas à la hauteur de sa "vie gâchée". Un tribunal ecclésial a suspendu ce prêtre trois ans. "Puis en 2018, le tribunal l'a condamné à me présenter des excuses, mais ne m'a pas accordé de dédommagement; je n'ai pas reçu d'excuses..."

- "Inertie" -

La fondation "N'ayez pas peur", qu'il a créée en 2013, a reçu environ 700 dénonciations de la part de victimes. "Il n’y a pratiquement pas un jour sans qu'une victime se manifeste à la fondation; la plus jeune est un garçon de 11 ans", précise-t-il.

Sa fondation a publié en octobre sur son site internet une carte choc, recensant notamment les endroits où des prêtres ont été accusés d'abus sexuels. En Pologne, "l'Eglise ignore les victimes, ne fait que déplacer les auteurs des abus (d'une paroisse à l'autre, NDLR), refuse de nous rencontrer, en dépit des directives du pape", déplore-t-il. "Officiellement, elle demande pardon (...) mais en tant qu'institution, elle n'a jamais reconnu sa responsabilité".

Pour le Chilien José Andrés Murillo, 43 ans, membre fondateur d'ECA et qui a créé en 2010 dans son pays une association de lutte contre les abus sexuels ("Pour la confiance"), le "rapport pathologique au pouvoir dans l'Eglise, fondement de l'abus sexuel contre les enfants, c'est ce qui doit être remis en question".

M. Murillo est l'une des victimes du charismatique ex-prêtre chilien Fernando Karadima, au centre d'un scandale de pédophilie, et finalement défroqué à 88 ans en 2018. Le combat de José et d'autres victimes a conduit à sa condamnation pour des abus sexuels perpétrés sur des mineurs dans les années 80 et 90.

"Il est nécessaire que la justice punisse ceux qui ont commis les abus mais aussi ceux qui les ont couverts; car l'ampleur des scandales dans l'Eglise catholique est aussi le résultat de cette impunité et de cette dissimulation", relève José.

En France aussi, des victimes font face à d'éprouvantes difficultés. Un tournant s'est produit en 2015 avec la mobilisation d'une association de victimes, La Parole Libérée, à l'origine de la médiatisation de l'affaire du père Bernard Preynat, qui a reconnu avoir agressé d'anciens scouts.

Pour François Devaux, victime de ce prêtre et cofondateur de l'association, "l'Eglise n'a pas du tout fait son examen de conscience". "Elle a pour elle son éternité, son autorité morale et son inertie, elle crée des commissions, des comités mais rien n'avance efficacement en interne".

Selon M. Murillo, ECA doit agir "pour créer des espaces de sécurité au sein de l'Eglise". "La foi est pour beaucoup de personnes quelque chose de positif, qui les aide à surmonter des moments difficiles, mais cela ne donne pas le droit à l'Eglise d'introduire le traumatisme dans la vie des gens".

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