L'industrie chimique en eaux troubles : "Dark Waters", un palpitant thriller
Sorti en février dernier, traitant d'un scandale écologique majeur, ce film réalisé par Todd Haynes, est une oeuvre d’utilité publique.
Crise sanitaire oblige, il est aujourd’hui disponible sur le réseau Canal+ à la télévision. Le film relate la lutte inégale entre un avocat et une multinationale de la chimie, DuPont de Nemours.
Depuis plusieurs années, la famille Tennant, qui cultive ses terres à Parkersbourg en Virgine Occidentale, commence à perdre son bétail dans des circonstances obscures. Les bêtes deviennent folles et agressives, leur pelage est couvert de lésions érosives, leurs yeux sont enfoncés et cerclés de rouge, leurs dents sont noircies.
Wilbur Tennant (Bill Camp) fait appel à Rob Bilott (Mark Ruffalo), un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques.
Ce dernier a passé une partie de son enfance chez sa grand-mère voisine de l’exploitation des Tennant à Parkersbourg. Il va découvrir que celle-ci est empoisonnée par une usine du groupe chimique Dupont qui est aussi le premier employeur de la région. Il comprend que DuPont a délibérément empoisonné la région depuis quatre décennies en versant dans l’Ohio ses déchets toxiques.
La substance en question est l’acide perfluoro-octanoïque ou PFOA, qui date de 1951. DuPont savait depuis longtemps que le PFOA pouvait avoir des effets considérables et mortels. Selon l’article de Nathaniel Rich, paru en janvier 2016 dans le New York Times Magazine et qui sera à l’origine du film, l’entreprise avait déposé 7100 tonnes de PFOA dans le centre d’enfouissement de Dry Run jusqu’aux années 1990. Les substances se sont ensuite infiltrées dans les terres où les Tennant faisaient paître leur bétail.
Afin de faire éclater la vérité, pour obtenir justice pour les Tennant, pour tous les habitants exposés au PFAO, Rob Bilott affronte l’hostilité de ses collègues avocats; il risque sa carrière, sa famille et même sa propre vie.
Nous rappelons que l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), connu sous les noms de C8 et de perfluorooctanoate, est un acide carboxylique perfluoré qui persiste quasi-indéfiniment dans la nature. Il sert à fabriquer des polymères fluorés, de la mousse anti-incendie, des revêtements anti-adhésifs, en particulier un matériau qualifié de révolutionnaire qui sert de revêtement à nos ustensiles de cuisine : le Teflon .
Selon Santé Canada, le téflon émet des vapeurs potentiellement cancérigènes, comme l’ammonium perfluorooctanate (C-8) à partir de 300°C. On ne connaît pas encore les conséquences du C-8 sur le long terme, en revanche on sait déjà qu’une personne qui inhale du C-8 peut rapidement développer les même symptômes que la grippe, à savoir frissons, maux de tête et fièvre.
Récemment, plusieurs reportages et publications ont tiré la sonnette d’alarme et se sont demandé si cuire un œuf ou saisir un steak pouvait être dangereux pour la santé. Le PFOA, toxique pour l’homme, a été interdit outre-Atlantique ; Selon un texte de la Commission européenne de juin 2017, le PFAO ne pourra plus être fabriqué et commercialisé à partir du 4 juillet 2020. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le film se termine sur un carton qui nous explique que le C8 est présent dans le sang de la quasi-totalité des habitants de la planète - nous sommes tous concernés !
On ne peut s’empêcher de penser aux victimes de ces produits chimiques, qui attendant les réponses de la justice, alors même qu’elles sont emportées par le cancer ou des affections neuro-dégénératives, les enfants nés sans bras, les victimes des pesticides, des fongicides-SDHI ( inhibiteurs de la succinate déshydrogénase), le rôle des ondes électro-magnétiques etc
On ne peut s’empêcher de penser au combat du Pr Gilles-Eric Séralini, du groupe Criigen, contre Bayer-Monsanto, le producteur du glyphosate.
REVELATIONS
Ce film n’est pas sans rappeler celui réalisé par Michael Mann, Révélations ("The Insider" en VO - "l'Initié" au Québec), sorti en 1999. Ce film raconte l’enquête menée par Lowell Bergman, journaliste d'investigation à CBS, et Jeffrey Wigand, un scientifique travaillant pour Brown et Williamson, le troisième fabricant de cigarettes des Etats-Unis.
Ensembl, ils font éclater l'un des scandales les plus retentissants de l'histoire du tabac, ils dénoncent les pratiques des cigarettiers qui multiplient les transformations chimiques pour accroitre la dépendance des fumeurs à la nicotine, tout en niant ou minimisant la dangerosité du tabac, avec la complicité de scientifiques « maison ».
Un combat inégal qui va coûter au journaliste sa place, sa famille et sa réputation, mais qui va porter un coup très dur aux multinationales du tabac sur le terrain juridique.
Le film mené comme un véritable thriller lui vaudra sept nominations aux Oscars, dont celle de meilleur acteur pour Al Pacino.
A regarder de tels films, on a un goût amer en bouche, et ce n’est pas seulement celui de la nicotine ou du téflon. C’est celui du constat que les multinationales et les industriels sont prêts à tous les mensonges pour défendre leurs intérêts, que le pouvoir en place, ne demande pas d’autres comptes aux entreprises que celui des milliards qu’elles injectent dans l’économie chaque année.
Un espoir subsiste, le combat reste possible face à ces monstres industriels, mais le prix de la victoire est très lourd pour ceux ou celles qui se lancent dans cette entreprise audacieuse et à haut risque.
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