Esthétique : boom alarmant d'injections clandestines d'acide hyaluronique

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Par Alexandre HIELARD, Arthur CONNAN, Nicolas KIENAST - Paris (AFP)
Publié le 09 février 2022 - 11:05
Mis à jour le 14 février 2022 - 16:00
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Moins lourdes que les opérations de chirurgie esthétique classiques, les injections clandestines séduisent de plus en plus de femmes
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© BRENDAN SMIALOWSKI / AFP/Archives
Moins lourdes que les opérations de chirurgie esthétique classiques, les injections clandestines séduisent de plus en plus de femmes
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Quatre piqûres dans les fesses aux douleurs "insupportables" suivies d'un long calvaire. Comme Sandra*, de plus en plus de femmes recourent à des injections clandestines d'acide hyaluronique, un acte de médecine esthétique potentiellement dangereux.

Complexée par ses hanches et ses fesses, Sandra a contacté en mai une femme se faisant passer pour un médecin sur Instagram. Le réseau social regorge de comptes proposant sous le manteau ce type d'injections, qui ne peuvent être effectuées en France que par des professionnels.

Rendez-vous est pris dans un appartement parisien sommairement meublé, notamment d'une "table avec une alèse", témoigne la trentenaire auprès de l'AFP.

L'opération, mal exécutée, vire au cauchemar.

"Au total, on m'a enlevé trois abcès jusqu'en octobre, trois autres se sont résorbés avec les antibiotiques. Ces infections ont été créées par un staphylocoque doré. J'ai été sous antibiotiques pendant quasiment cinq mois. Et une infirmière venait tous les soirs pour mécher (nettoyer, ndlr) les cavités", raconte-t-elle.

En janvier, Sandra a porté plainte contre son "injectrice" mais beaucoup de victimes n'osent pas, déplore l'avocate Laëtitia Fayon: "très souvent, elles ont honte de la démarche qu'elles ont faite d'aller voir quelqu'un dans l'illégalité".

Moins lourdes que les opérations de chirurgie esthétique classiques, comme la pose d'implants, les injections clandestines séduisent de plus en plus de femmes.

Il s'agit pour l'essentiel de piqûres d'acide hyaluronique - un gel qui donne du volume - ou de toxine botulique, vulgarisée sous le nom de Botox, qui détend les muscles. Pratiqués sans aucune qualification, ces actes présentent de nombreux dangers.

- Nécroses -

"Il y a d'abord les risques d'infections et d'hématomes", détaille le Dr Adel Louafi. "Si vous piquez n'importe où, vous pouvez l'injecter en plein milieu d'une artère et donc la boucher. Or certaines artères dans le visage irriguent la lèvre, le nez, qui subissent alors une nécrose. Il faut alors amputer".

"D'autres artères irriguent l'œil et communiquent avec le cerveau. Là, vous risquez de perdre la vue, voire l'accident vasculaire cérébral", ajoute le président du Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE), qui alerte sur une pratique en forte augmentation depuis "deux-trois ans".

Le danger peut aussi venir du contenu injecté.

Les injectrices n'étant "pas médecins, elles n'ont pas accès officiellement aux réseaux de revente de ces produits, donc elles se fournissent sur internet et là, on a des vrais produits ou des contrefaçons", décrypte le commissaire William Hippert, chef du Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée.

Qu'elles aient été bernées, aient péché par méconnaissance de la loi ou soient sciemment tombées dans l'illégalité, "certaines patientes venant nous voir pour +réparer+ les complications ou horreurs nées d'injections illégales ne connaissent même pas ce qu'on leur a injecté !", précise le Dr Lydia Houri, la présidente de la Société française de médecine morphologique et antiâge.

Selon Valentin Chabbi, médecin esthétique à La Madeleine (Nord), la demande est croissante, surtout depuis le début de l'épidémie de Covid.

"La période est plus anxiogène, les gens ont besoin de prendre soin d'eux. Et face à la difficulté de répondre rapidement à la demande, vu qu'on n’est pas nombreux, certaines se tournent vers l'illégalité", développe-t-il.

La croissance de la demande a aussi été dopée par les réseaux sociaux, où des influenceuses arborant lèvres pulpeuses ou fesses rebondies font la promotion de certains produits.

- Manne financière -

"C'est la mode d'avoir des grosses lèvres. Mais les filles qui suivent ces influenceuses sont jeunes et n'ont pas beaucoup d'argent. Du coup, elles vont chez ces injectrices qui font des prix compétitifs", lance l'une d'elles, Luna Skye.

La jeune femme a elle-même reçu 80 doses d'acide hyaluronique dans les fesses pour 7.500 euros, deux fois moins cher que le prix du marché.

Piquée par un médecin mais en dehors "de tout protocole sanitaire", selon elle, elle a été hospitalisée pendant cinq mois après avoir contracté un staphylocoque doré puis une septicémie.

Sandra, elle, a payé 600 à 700 euros pour quatre injections, sept fois moins cher que le prix officiel.

Par appât du gain, certaines injectrices proposent des prix à peine en deçà de ceux du marché, selon les médecins interrogés, surtout si la piètre qualité du produit impose de nouvelles piqûres à intervalles réguliers.

Ces "fake injectors" lorgnent une part du gâteau du marché de l'esthétique, "en pleine expansion au niveau mondial".

"En 2019, il représentait près de 11 milliards de dollars, dont la moitié représentée par des produits injectables. Il y a une grosse manne à se faire", confirme le commissaire Hippert qui recense "des affaires tous les mois" impliquant des injections frauduleuses.

Début janvier, une femme de 22 ans a ainsi été arrêtée avec, selon une source policière, 5.000 euros en liquide et des boîtes de seringues neuves posés sur le siège passager de sa voiture.

Dans ses deux téléphones portables, les enquêteurs ont découvert des notifications Instagram avec les mots "injection.paris".

Elle a été inculpée à Paris pour "exercice illégal de la médecine", "travail dissimulé", "trafic de substance classée comme psychotrope" et "blanchiment", selon une source judiciaire.

- Russes ou indépendantes -

Dans une autre affaire, fin 2020, deux femmes ont reconnu devant les enquêteurs avoir effectué 1.000 injections sur un an, en région parisienne et en Suisse.

Elles avaient suivi "une téléformation de trois jours par un médecin russe et pensaient que c'était légal", raconte William Hippert.

Hormis certains réseaux de contrebande de produits, le policier ne note "pas à ce stade d'organisations très structurées".

Les "fake injectors", âgés comme leur clientèle de 25 à 40 ans, répondent à deux profils.

"On a eu plusieurs affaires avec des jeunes femmes russes (une méthode d'injection d'acide hyaluronique dans les lèvres est aussi appelée +Russian Lips+, ndlr), qui s'étaient déplacées en France et avaient monté des cliniques clandestines, bien souvent un local ou un appartement loué pour proposer ces prestations", énumère-t-il.

"Elles sont mobiles, elles ne restent pas forcément en France. Elles font un +botox tour+" et repartent pour un autre circuit, poursuit le commissaire Hippert.

Une de ces cliniques clandestines a ainsi été découverte en septembre à Marseille (sud-est).

Autre filière, décrit le policier, "des jeunes femmes qui se lancent dans une activité indépendante, parfois des esthéticiennes qui peuvent travailler dans un salon et, à côté de cette activité, voire au sein du salon, vont proposer des injections"

L'avocate Laëtitia Fayon a déposé neuf plaintes, dont six à Paris, au nom du SNCPRE contre des fausses injectrices pour "tromperie et exercice illégal de la médecine".

Sollicité par l'AFP, le parquet de Paris a confirmé avoir ouvert une enquête le 28 octobre du chef d'exercice illégal d'une activité réglementée, après la réception des six plaintes. D'autres enquêtes sont en cours pour ce genre de pratiques, a-t-il précisé.

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.

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