Grèce : flottements face au parti néonazi Aube dorée
Acteurs politiques de plein droit ou malfrats à bannir? L’ambiguïté prévaut en Grèce sur le statut des députés du parti néonazi Aube dorée, dont 13 sont jugés depuis près de deux ans pour formation de "bande criminelle".
Le renvoi devant la justice de la direction d'Aube Dorée (AD) avait constitué le premier coup de frein sérieux à cet ex-groupuscule extrémiste, propulsé au Parlement avec 21 élus en 2012 par la crise socio-économique.
Ce sursaut judiciaire avait suivi la mort du rappeur Pavlos Fyssas, poignardé en 2013 par un militant du parti. Auparavant, l'apathie officielle prévalait face aux violences xénophobes et politiques dont la hiérarchie d'AD doit désormais répondre.
Mais le procès, ouvert en avril 2015 contre un nombre record de 69 accusés, a tardé à trouver son rythme.
Entretemps, 18 députés d'AD ont été réélus aux législatives de septembre 2015, dont le trio-phare des accusés: le chef d'AD Nikos Michaloliakos, son lieutenant Ilias Kasidiaris et le responsable opérationnel Yannis Lagos.
La durée du procès "maintient la pression pénale" sur AD, "mais envoie aussi le message que les institutions ne sont pas très attentives au problème", analyse Costas Papaïoannou, secrétaire général sortant du ministère de la Justice.
"Savoir que faire d'un parti entré au Parlement dont la direction est jugée pour crimes est de fait très complexe, il n'y a pas de réponse et de lignes définies", ajoute ce vétéran de la défense des droits de l'homme en Grèce.
- Regain d'activité -
Pour un des avocats de la partie civile, Me Thanassis Kabayannis, cette situation "donne une marge de manoeuvre aux accusés, tandis que les victimes attendent toujours que justice soit faite".
De fait, AD a recommencé à jouer des mécaniques, avec notamment des raids musclés emmenés par Yannis Lagos contre des écoles accueillant des enfants réfugiés.
Non content de ne pas avoir été stoppé par la police, il a porté plainte contre une présentatrice télé l'ayant traité de "brute" dans cette affaire.
En compagnie d'extrémistes de droite flamands, Ilias Kasidiaris est de son côté allé galvaniser le camp des anti-réfugiés sur les îles aux avant-postes migratoires.
Quand à Nikos Michaloliakos, la télévision publique ERT lui avait offert une tribune de choix à l'automne, en retransmettant intégralement et en direct son grand discours annuel.
D'abord placé en détention provisoire, le trio avait entamé le procès sous un contrôle judiciaire excluant la participation à des activités politiques.
Mais la justice a progressivement levé ces conditions, à la demande des accusés, un assouplissement que Me Kabayannis juge "inacceptable".
M. Papaïoannou pointe aussi un "manque de cohérence" de la réponse étatique, dans un pays où la rhétorique xénophobe et haineuse échappe traditionnellement aux rigueurs de la justice.
- 'Cordon sanitaire' -
La classe politique réagit également en ordre dispersé.
Le ministre-adjoint à la Santé, Pavlos Polakis, vient de signifier son refus de répondre aux questions parlementaires d'AD, invoquant le procès en cours et "l'ordre constitutionnel".
Mais son collègue de la Défense, le souverainiste Panos Kammenos, a embarqué Ilias Kasidiaris pour une visite "patriotique" sur les îles proches de la Turquie.
Pour la politologue Vassiliki Georgiadou, le procès a pourtant permis de "stopper la dynamique" d'AD, qui semble se stabiliser autour d'un noyau dur d'environ 7% de l'électorat.
"Pour la première fois, on voit se mettre en place une sorte de cordon sanitaire" autour de cette formation, se félicite cette spécialiste de l'extrême-droite.
Parmi les signaux en ce sens, elle cite la décision de ERT de ne plus couvrir qu'en différé et au cas par cas les manifestations d'AD.
Le tribunal de Patras vient aussi de relaxer le maire de cette troisième ville du pays, accusé d'abus de pouvoir pour son refus de concéder des locaux électoraux à AD.
Autre première: lors d'une manifestation de policiers contre l'austérité, la fédération syndicale unitaire a demandé aux élus néonazis accourus de quitter les lieux.
Pour les spécialistes d'AD, ses dernières gesticulations sont donc plutôt un signe de faiblesse, témoignant de tensions et rivalités croissantes dans l'attente du verdict.
Cette thèse est renforcée par la défection au début du mois d'un député d'AD. Aube Dorée y a perdu sa troisième place au Parlement au profit du PASOK (socialiste).
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