Jusqu'où saisir des emails ? La justice américaine tranchera
Dans un monde numérique où les données personnelles sont stockées de plus en plus loin, jusqu'où peut aller un policier américain ? La Cour suprême des Etats-Unis a accepté lundi d'examiner cette question opposant le gouvernement de Donald Trump à Microsoft.
Les autorités américaines exigent du géant informatique qu'il leur remette des emails dans le cadre d'une enquête sur un trafic de stupéfiants.
Mais Microsoft refuse de communiquer ces messages, en affirmant que le mandat de saisie des agents chargés des investigations ne couvre pas l'Irlande, où ils sont stockés sur un serveur de la société.
Depuis les révélations sur les vastes programmes d'écoute des communications privées réalisés par les agences d'espionnage américaines, les grands groupes de la Silicon Valley sont devenus nettement plus réticents à collaborer avec le FBI.
D'où l'enjeu de ce dossier arrivant devant la Cour suprême, dont la décision devra trouver un juste équilibre entre le nécessaire respect de la vie privée et les impératifs des enquêtes policières.
Ce combat judiciaire lancé en 2013 s'est déroulé en deux manches: une juge new yorkaise avait en première instance ordonné à Microsoft en 2014 de remettre aux autorités policières tous les emails relatifs à cette affaire.
La société s'était exécutée pour toutes les informations stockées aux Etats-Unis, mais avait refusé de le faire pour les emails hébergés à Dublin.
Le géant informatique avait obtenu sa revanche en juillet 2016 devant une cour d'appel fédérale à New York.
- Extraterritorialité... réciproque? -
Les juges avaient notamment été sensibles à l'argument de Microsoft selon lequel si on autorisait à saisir des emails à l'étranger, rien n'empêcherait en retour des policiers étrangers d'exiger des données stockées aux Etats-Unis.
Les autorités américaines dénoncent la position de refus de Microsoft et regrettent le jugement d'appel lui ayant donné raison.
"Cette décision cause un dommage immédiat, grave et durable à la sécurité du public, à la sécurité nationale, et à la bonne application de nos lois", a souligné le ministère de la Justice.
"Selon ce principe, des centaines si ce ne sont des milliers d'enquêtes pénales --allant du terrorisme à la pornographie infantile en passant par les fraudes-- sont ou seront entravées par l'incapacité des autorités à obtenir des éléments de preuves", a-t-il ajouté.
L'acceptation du dossier par la Cour suprême représente donc une victoire d'étape pour le gouvernement de Donald Trump. L'audience devrait se dérouler en début d'année prochaine, pour un jugement rendu d'ici fin juin 2018.
- Loi de l'époque pré-internet -
L'avocat du ministère de la Justice fait valoir un autre principe légal, selon lequel une personne visée par une citation à produire des documents exigés par les autorités "a l'obligation de fournir les pièces précisément sous son contrôle".
D'un clic de souris les emails peuvent être rapatriés d'Irlande par un technicien de Microsoft, et donc ces données sont bien "sous son contrôle", assure le ministère.
Microsoft réplique que la loi en cause, le Stored Communications Act, remonte à 1986, époque où personne n'imaginait ce que le World Wide Web permettrait en termes de communications électroniques.
"Les lois actuelles ont été écrites pour l'époque de la disquette souple et non pour celle du cloud (informatique dématérialisée, NDLR). Nous pensons que, plutôt que de débattre d'une vieille loi au tribunal, il est temps que le Congrès passe à l'action et adopte une nouvelle loi", a réagi lundi Brad Smith, le directeur juridique de Microsoft.
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