Du "quartier rouge" à "SoPi", Pigalle entre mode et nostalgie

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Par Simon VALMARY - Paris (AFP)
Publié le 01 septembre 2018 - 18:58
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Des clients dans un bar de Pigalle, le 31 août 2018 à Paris
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© Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP
Des clients dans un bar de Pigalle, le 31 août 2018 à Paris
© Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

La nuit tombée, les enseignes de néons bleus ou roses éclairent toujours les rues autour de la place Pigalle, au coeur du sulfureux quartier de Paris. Mais au comptoir du "Dirty Dick", du "Lipstick" ou du "Pile ou Face", les "mixologues" -experts en cocktails- ont remplacé les hôtesses.

Des bars à hôtesses devenus bars à cocktails, une clientèle populaire et discrète remplacée par une jeunesse branchée: Pigalle devient un lieu tendance et chic, au grand dam de certains résidents et habitués un brin nostalgiques.

Ces bars sont l'emblème de la transformation du quartier rebaptisé "SoPi" (pour South Pigalle), acronyme branché inspiré du SoHo (South of Houston Street) new-yorkais.

"C'est une des +place to be+ à Paris !", lance David, cadre commercial trentenaire, qui redécouvre Pigalle "depuis quelques années". "Ça a toujours été un quartier festif mais ça craignait un peu à une époque. Aujourd'hui, ça reste festif mais plus classe, avec toujours un côté coquin, même érotico-chic".

Au Pile ou Face, on sirote son cocktail sur un tabouret haut ou dans un fauteuil en velours rouge. La lumière tamisée des lampes d'époque s'évanouit dans les murs et plafonds noirs pailletés de rose. A côté du comptoir, une barre de pole dance patiente devant un miroir.

"On a voulu garder le lieu dans son jus", explique Julien Trollet, qui a repris en 2014 avec deux associés ce bar chargé d'histoire, immortalisé dans le film "Bob le Flambeur" de Jean-Pierre Melville.

Sous divers noms, il fut successivement bar à jeux prisé par la Gestapo, un repaire du milieu corse qui a tenu le quartier durant des décennies, puis bar à hôtesses.

"On cherchait un bar", raconte Julien Trollet: "Quelqu'un nous a suggéré d'aller voir au Pile ou Face. Ça nous a plu immédiatement mais la propriétaire, Marie-France, nous a dit: +Je ne suis pas vendeuse, peut-être d'ici deux ans+".

"Quelque temps plus tard, elle nous a rappelés: la police mettait une certaine pression pour fermer ces endroits et une propriétaire d'un bar en face est tombée pour proxénétisme. Marie-France nous a dit: +Je vends, je ne vais pas tout risquer pour deux ans+ de plus", détaille-t-il.

- "Coquille vide" -

"A partir des années 1990, il y a eu un souci de moralisation, de +nettoyage+ de le part des autorités un peu partout dans Paris", confirme Claude Dubois, auteur d'une "Histoire du Paris populaire et criminel".

Pigalle, quartier d'artistes, de femmes et de gangsters, incarnation du "gai Paris", n'y a pas échappé.

Parisiens, provinciaux ou étrangers y venaient s'encanailler, voir "les petites femmes de Pigalle" ou "pour affaires". Bars à filles ou bistrots, cabarets, boutiques de vêtements et fourrures, magasins d'instruments de musique jalonnaient le pied de Montmartre.

"C'était très animé. Il y avait plus de bars, de la musique... C'était plus sympathique. Maintenant c'est mort", se souvient Gérard (prénom modifié), 83 ans, accoudé au comptoir du Cotton Club.

Lynda, patronne de ce lieu emblématique, assiste elle aussi avec méfiance et nostalgie à cette transformation.

Cette ancienne barmaid, présente dans le quartier depuis trente ans, a pris en 2013 la gérance de l'établissement, ancienne galerie d'art devenue club de jazz, puis une brasserie tenue par les frères Zemmour, figures du milieu juif, et enfin bar à hôtesses.

Elle n'en a pas fait un bar branché. Au milieu des verres de collection, des bibelots et meubles anciens, elle revendique un bar "authentique, pas aseptisé", entretenant l'esprit de Pigalle dont il ne reste, selon elle, "plus rien".

"Il n'y a plus l'ambiance, la solidarité que j'ai connues. Même dans le business, on était concurrents mais solidaires", explique-t-elle, en déplorant également les nuisances sonores, l'insécurité et "le retour de la drogue" dans le quartier.

Les devantures sont restées mais "Pigalle est devenu une coquille vide, sans caractère", lâche Claude Dubois.

"Je ne sais pas si ça durera", soupire Lynda, en contemplant la rue Frochot où s'alignent les bars à cocktails: "Mais une chose est sûre, Pigalle a toujours ressuscité. Après la Première Guerre mondiale, après la Deuxième, toujours".

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