De l’importance de l’angle

Auteur(s)
Xavier Azalbert, directeur de la publication de FranceSoir
Publié le 30 avril 2022 - 21:35
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angle
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Ça dépend de l’angle sous lequel on regarde.
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ÉDITO — « Ça dépend de l’angle sous lequel on regarde », dit l’adage.

Dans le monde du journalisme, la notion d'angle est un terme évoqué quotidiennement au sein des rédactions. Elle renvoie au traitement d’une information, processus par lequel le producteur de l’information influe nécessairement sur la perception de son récepteur. Toute la fonction de la presse mainstream subventionnée consiste, par des tactiques de manipulation de la perception, à générer des interprétations favorables ou défavorables selon le sujet traité. Par les informations qu'il communique, par la manière dont il les communique, le journaliste guide donc la perception du lecteur et, de facto, son jugement.

La notion de perception renvoie à une forme de jugement. On peut dire d’un politique qu’il est mal perçu, c’est-à-dire que l’on se fait une mauvaise opinion de lui. On peut aussi dire qu’un discours n’a pas été perçu, c’est-à-dire qu’il n’a pas été compris. Si ces deux usages du terme « perception » signifient deux choses différentes, ils renvoient l’un et l’autre à un jugement, une opinion. En revanche, l’opinion n’est pas connaissance. La perception changeant d’un individu à l’autre, elle ne constitue pas un moyen fiable de connaître le monde : elle ne permet que de se le représenter. La perception est la vision du monde d’un individu singulier, elle ne peut donc répondre au critère d’universalité qu’exige toute connaissance.

La notion de perception constitue le premier rapport qu’entretient l’homme avec le monde externe. Elle est le préalable à toute connaissance, elle constitue même la toute première forme de connaissance possible. À toute personne, elle permet de capter les informations qui lui sont transmises par ses organes sensoriels, puis de les interpréter. Naturellement, en ce qui concerne l’actualité, le média grand public représente aujourd’hui le premier canal par lequel le citoyen réceptionne une information, qui lui est présentée partialement de façon à obtenir l’interprétation désirée. Une information partiale ou partisane rentre dans le champ de l’opinion. Une information objective, ou qui tend vers l'objectivité, rentre dans celui de la connaissance. « Le vaccin anti-Covid est le meilleur outil à notre disposition pour lutter contre le virus » est un exemple d'opinion qui n'appartient pas au domaine de la connaissance.

Dans le langage courant, donner son opinion, c'est faire part de sa « manière de penser », de « sa façon de voir les choses », autrement dit assumer la part subjective de son propos. À l’inverse, la vérité est la correspondance entre ce qui est dit et ce qui est. Elle est un jugement conforme à son objet ou bien un jugement non contradictoire, qui démontre une cohérence, une logique. Elle s’oppose à la fausseté. Détenir la vérité, c’est énoncer un discours objectif qui correspond à la réalité. Le socle de la réalité, ce sont les connaissances.

Quiconque veut trouver la vérité est confronté au défi de dépasser sa subjectivité - c’est-à-dire ses croyances, ses préjugés, ses opinions, car ils sont source d’illusions. La vérité n’étant pas révélée, il faut la rechercher. Dans le Ménon, dialogue dans lequel Ménon et Socrate tentent d’identifier une définition de la vertu, Platon observe que si nous savions ce qu’est la vérité, alors nous n’aurions pas besoin de la rechercher. Pour la trouver, l’homme doit exercer sa raison. Du latin ratio, « calcul », la raison est définie par Descartes comme la « puissance de bien juger et de distinguer le vrai d’avec le faux ».

La recherche de la vérité passe par une démarche critique. C’est le doute qui permet d’étayer et de confirmer une certitude. Le doute permet de sortir de l’opinion ou de la croyance pour avoir accès à la connaissance. « Le doute est le début de la sagesse », selon Aristote. Toute démarche scientifique passe par la démystification des croyances par le doute - poser des questions et discerner le vrai du faux en faisant usage de sa capacité à raisonner – dans le but de parvenir à la vérité. C’est la méthode de Descartes dans ses Méditations (1641).

Aussi, dès lors qu’un angle journalistique est « fermé », le lecteur se retrouve enfermé dans une vision du monde biaisé, qui l’empêche d’accéder à la connaissance, l'ensemble des faits qui permettent de raisonner et de se faire un jugement approprié. L’information partiale, partisane, sous influence, influençant la perception, maintient donc l’homme dans une illusion. À l’inverse, quand l'angle est « ouvert », offrant ainsi une vision proche de 180 degrés, le lecteur est en possibilité de connaître la vérité. C'est dans ce cadre que Thomas Jefferson, principal rédacteur de la Déclaration d'indépendance des États-Unis en 1776, écrivait : « Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue. »

Le journaliste a donc un rôle : rechercher la vérité et aider le lecteur à y accéder. Comme l’énonce l’article 1 de la Charte de Munich, le devoir du journaliste est de « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ». Cela étant, encore faut-il que le lecteur soit prêt à l’entendre, cette vérité. Comme nous l’avons constaté au cours de la crise du Covid-19, de nombreux Français préfèrent l’opinion à la raison, le récit au réel. Un problème qui ne date pas d’hier. Comme le disait Voltaire : « On la nomme (l'opinion) la reine du monde ; elle l'est si bien, que quand la raison veut la combattre, la raison est condamnée à mort. »

L’opinion est synonyme de croyance. La croyance est une persistance dans l’illusion par préférence personnelle. Cette conception se veut donc opposée au caractère universel de la raison. La croyance peut aussi être formée par l’émotion. Bien conscient de sa capacité à annuler la raison, le pouvoir médiatique sait user de cette ficelle pour cristalliser les perceptions, les rendre immuables. Dans son Anthropologie du point de vue pragmatique, Kant l’explique en ces termes : « L'émotion est le sentiment d'un plaisir ou d'un déplaisir actuel qui ne laisse pas le sujet parvenir à la réflexion. Dans l'émotion, l'esprit surpris par l'impression perd l'empire sur lui-même ».

À l’instar de Voltaire, Tocqueville aussi se lamentait de la domination de l’opinion sur la raison. « L’opinion publique mène le monde », disait le philosophe, qui estimait qu’elle fragilisait la démocratie en exerçant sur les individus une « tyrannie de la majorité ».

La philosophie de Platon, premier homme à avoir thématisé l’opinion, insiste fortement sur cette distinction entre, d’une part, le monde sensible, perçu par les sens, et d’autre part, le monde intelligible, la réalité du monde, ce qui est stable et que seule la raison peut appréhender. Pour lui, si la perception se fonde sur l’illusion des sens, alors la connaissance se fonde sur la libération des illusions. Une conception qu’il traduit par sa célèbre allégorie de la Caverne, sans doute le texte le plus connu de toute la philosophie occidentale. Si la vérité est préférable à l’illusion, alors le savoir doit guider l’homme. La raison, qui libère de l’opinion en ouvrant la voie de la connaissance, permet d’accéder au monde intelligible. Placée au plus bas de l’échelle du savoir, l’opinion ou « doxa » est une croyance adoptée sans examen critique. Dans La République, Platon défend l'opposition de la doxa (l'opinion) et de l'épistémè (le savoir).

Malheureusement, les bonnes pratiques journalistiques, censées éclairer la raison du plus grand nombre, semblent s'évanouir. Sans les subventions qui leur sont versées par l’État, un intervenant sous influence qui réduit la démocratie à peau de chagrin, les médias officiels seraient en faillite depuis longtemps. Nous connaissons cette règle d’or officieuse : « Ne jamais mordre la main qui te nourrit. » Crise sanitaire, guerre en Ukraine, campagne présidentielle… l’actualité récente a donc été traitée sous un angle partisan. Doit-on s’en étonner ? Orwell nous avait prévenus : « La dictature s’épanouit sur le terreau de l’ignorance ».

Le tout nouveau propriétaire de Twitter, Elon Musk, même s'il reste encore un mystère, affiche son intention de vouloir remédier à cette situation. C’est en ces termes qu’il a justifié le rachat de l’oiseau bleu : « La liberté d'expression est le socle d'une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où les sujets vitaux pour le futur de l'humanité sont débattus ». Sans liberté d’expression, pas de confrontation d’opinions. Sans confrontation d’opinions, pas d’accès à la vérité. Mais, sans surprise, la Commission européenne, composée de technocrates non-élus, a immédiatement rétorqué que cette place publique, qui pourrait devenir une nouvelle agora des peuples, « devra se plier aux règles européennes ».

Pour autant, elle devrait savoir que le mensonge visant à masquer leurs agissements est une voie sans issue. Albert Camus le savait : « La vérité jaillira de l'apparente injustice ». La vérité ne saurait être éternellement confinée.

Voir aussi : Vrais mensonges et fausses vérités : les nouveaux standards de la propagande

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