Et si tu n'existais pas  ? Sur la ratification du Traité de Lisbonne

Auteur(s)
Xavier Azalbert, France-Soir
Publié le 05 mai 2024 - 15:51
Mis à jour le 06 mai 2024 - 12:36
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Sarkozy
Crédits
AFP
Et si tu n'existais pas ? Sur la ratification du Traité de Lisbonne
AFP

Dans la vidéo ci-dessous, Patrick André, ex-Président de Tribunal administratif et ex-Président de Cour administrative d'appel, ayant démissionné quand dans l'exercice de sa dernière fonction, il y a dix ans, il constate que la Cour administrative d'appel qu'il préside n'était pas en possession d'une copie certifiée conforme à l'original du Traité de Lisbonne portant constitution européenne, ratifié par le président de la République en fonction à l'époque, à savoir Nicolas Sarkozy, conformément à l'article 52 de la Constitution. Une vidéo récente sur X a remis cette interview au centre de discussions sur les réseaux sociaux.


Dans la vidéo initiale, Patrick André poursuit son propos en disant qu'il a demandé au président de la République, au Premier Ministre et au Conseil d'état, que cette copie certifiée conforme à l'original lui soit fournie. Dûment fournie puisque telle est la règle :

« Toute juridiction française doit être en possession d'une copie certifiée conforme, à l'original, des textes normatifs sur le fondement desquels elle statue. »

A fortiori lesdits textes  « à valeur suprême » que sont la Constitution du 4 octobre 1958, texte à valeur suprême en droit interne français, et le Traité européen en vigueur, texte à valeur suprême en droit communautaire.

Sa demande était d'autant plus légitime, qu'à l'inverse, le Tribunal administratif et la Cour administrative d'appel qu'il a présidés, étaient bien en possession d'une copie certifiée conforme à l'original du traité de Maastricht ratifié par le président de la République de l'époque, François Mitterrand, à savoir le texte qui était le texte à valeur suprême en droit communautaire avant que le texte du Traité de Lisbonne ait été approuvé par le Conseil européen de Lisbonne (d'où son nom) le 19 octobre 2007, et signé le 13 décembre de la même année, là aussi à Lisbonne, par les 27 chefs d'État ou de Gouvernement, pour être ensuite ratifié par chaque État membre « selon ses propres procédures de ratification » ; à savoir, en France, article 52 de la Constitution, par le président de la République, c'est-à-dire par l'apposition de sa signature sur l'exemplaire original du Traité qui lui a été fourni à cet effet par le Conseil européen.

Or c'est précisément là que le bât blesse. Le « b.a.-ba », devrais-je dire.

En effet, toujours d'après ce Monsieur, Patrice ANDRÉ, ancien Président de Tribunal administratif et de Cour administrative d'appel, et désormais avocat, le Traité de Lisbonne n'a aucunement été signé par Nicolas Sarkozy.

Voici les éléments de fait qui selon lui en attestent.

Pour commencer, effectivement, un décret n° 2009-1466 du 1ᵉʳ décembre 2009 « portant publication du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, et de certains actes connexes » a été publié au Journal officiel de la République le 2 décembre 2009, l'exemplaire original du Traité de Lisbonne censé avoir été signé par Nicolas Sarkozy, lui, n'a jamais été publié au Journal officiel :

  • ni tout seul : pas davantage le 1ᵉʳ ou le 2 décembre 2009 qu'à une quelconque autre date.
  • ni à l'occasion de la parution de ce décret de publication n° 2009-1466 du 1ᵉʳ décembre 2009 : il ne figure pas parmi ces annexes, n'est pas plus cité comme y apparaissant.
  • ni à une quelconque autre occasion opérée sous cette forme indispensable pour qu'un texte puisse être opposé comme norme, à savoir publié seul au Journal officiel ou en annexe d'un document publié au Journal officiel.

De plus, les services du président de la République, comme ceux du Premier Ministre, n'ont pu fournir à Patrice André, une copie certifiée conforme à l'original du Traité de Lisbonne signé par Nicolas Sarkozy, et pareillement s'agissant du Conseil d'état.

Sur la base de ces éléments, on peut déjà résolument penser qu'il est possible que le Traité de Lisbonne n'ait pas été signé par Nicolas Sarkozy, et donc qu'il n'a pas été « ratifié » par la France (article 52 de la Constitution), hormis si un quelconque arrangement eut été prévu pour l'occasion. En conséquence, ce Traité ne serait donc pas applicable en France, aucunement opposable comme norme, ni par les autorités constitutionnelles (Parlement adoptant une loi, président de la République prenant un décret, Gouvernement prenant un décret ou adoptant une ordonnance, et Conseil constitutionnel rendant une décision), ni par la justice (juridictions judiciaires et juridictions administratives), ni par les autorités administratives (préfets, maires, etc.).

Ni d'ailleurs non plus par la Cour européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), la Commission européenne et le Conseil européen, en tout cas s'agissant des décisions que cette juridiction communautaire et ces autorités communautaires prennent, à savoir, respectivement, dans le cadre d'un litige opposant la France à une ou plusieurs autres parties porté devant la CEDH, d'une part, et enfin, par les décisions prises par la Commission européenne et le Conseil européen qui édictent des règles qui imposent à la France une obligation ou une interdiction.

Je traduis.

Tous les jugements, toutes les lois, tous les décrets, toutes les ordonnances ayant été rendus, adoptées ou pris sur le fondement du Traité de Lisbonne (c'est-à-dire avec lui pour base juridique) sont nuls et non avenus, strictement illégaux. De même pour les décisions du Conseil constitutionnel. Ainsi que pour toutes les décisions prises sur la base de ces jugements, lois, décrets, ordonnances, et décisions : redressements fiscaux, amendes, confiscations, saisies, droits accordés ou retirés, etc.

Tous ces actes doivent être considérés comme n'ayant aucune valeur juridique, n'ayant jamais existé, comme des actes dont les conséquences juridiques et matérielles intervenues sur leur fondement, doivent être annulées. Chaque fois qu'elles ont causé un préjudice, ce préjudice doit être réparé : et la personne qui l'a subi doit être indemnisée, à la hauteur du préjudice et avec les intérêts.

Aux éléments avancés par Patrice André pour justifier son propos, j'ajoute ceux-ci.

En l'état actuel de ce à quoi un journaliste peut avoir accès à ce sujet, en l'occurrence, rien de plus qu'un citoyen lambda, ceci s'avère pleinement effectif.

Tout d'abord, l'exemplaire du Traité de Lisbonne normalement revêtu de la signature de Nicolas Sarkozy, est introuvable sur internet, ni en image fixe, ni en vidéo, alors que, à l'inverse, il est aisé de trouver la Constitution du 4 octobre 1958 signée par René Coty (président de la République à l'époque) et le Traité européen de Maastricht du 7 octobre 1992 signé par François Mitterrand.

Alors que, d'ordinaire, pour un document d'une suprême importance comme ce Traité, la signature par le président de la République intervient en direct à la télévision (comme cela a été le cas pour la Constitution du 4 octobre 1958 et le traité de Maastricht), il n'en a pas été ainsi pour le Traité de Lisbonne.

Enfin, si les sites officiels d'information affirment que le Traité de Lisbonne a été signé par Nicolas Sarkozy, aucun d'eux ne fournit des images (vidéos, photos ou pdf) du Traité signé par l'intéressé. Il n'est pas si rare que les sites officiels d'information, affirment être patent quelque chose qui ne l'est nullement, légifrance.fr compris, on a pu hélas le constater durant la crise covid comme à d'autres occasions.

 

Tel est le cas de « Toute L’Europe » un site qui allègue sans preuve que la France ratifie officiellement le Traité de Lisbonne.  Ce site se présente comme un « GIE groupement d’intérêt économique (GIE) créé en 1992, défini comme un centre d’information sur l’Union européenne pour le grand public et les publics scolaires…, un centre de ressources sur l’Union européenne avec une expertise reconnue et une compétence élargie. Le GIE est constitué de deux membres : le Secrétariat général des affaires européennes et la SNCF. »  C’est donc un site reconnu et officiel !

Toute l'europe

Contacté par France-Soir, Touteleurope.eu n’a pas répondu.

Dès lors, compte tenu du fait que la preuve de la signature d'un Traité par le président de la République peut se faire uniquement :

  • soit par la production, par qui que ce soit (une personne physique, une juridiction ou une autorité constitutionnelle, administrative, judiciaire ou communautaire), de ce traité revêtu de la signature du président de la République ;
  • soit par une vidéo montrant le président de la République finissant de signer ce Traité ;
  • soit par une image fixe de ce Traité revêtu de sa signature ;
  • soit par la publication au Journal officiel de la République de ce Traité (seul ou en annexe d'un autre document) pareillement revêtu de sa signature.

Du fait que cette preuve, tant « en l'état » (de fait) que « en l'état » (au sein de l'administration), personne n'est en capacité de la produire, on est en droit de penser qu'il est tout à fait possible, voire hautement probable ou carrément établi, que le Traité de Lisbonne n'ait jamais été ratifié par la France, et qu'il n'est donc pas « opposable » en droit français, ceci avec toutes les conséquences juridiques dont je vous ai fait état plus haut. (1)

En outre, rappelons que Nicolas Sarkozy avait enfreint la volonté du peuple puisque au référendum de 2005, avec un taux de participation de 70 %, 55 % avaient voté contre le traité constitutionnel européen.  Le gouvernement français de l’époque avait donc refusé d’écouter le peuple.

Referendum 2005

Des conséquences catastrophiques pour les français et la démocratie, auxquelles il convient d'ajouter cela.

Toute personne dépositaire de l'autorité publique qui, dans l'exercice de ses fonctions, a fait application du Traité de Lisbonne, alors qu'elle savait que ce Traité n'a pas été signé par Nicolas Sarkozy, s'est rendue coupable du crime de faux et usage de faux commis par personne dépositaire de l'autorité publique agissant dans l'exercice de ses fonctions, crime défini et puni de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 500 000 euros d'amende par les dispositions combinées des articles 441-1 et 441-4, dernier alinéa, du Code pénal.

Hormis Nicolas Sarkozy, responsable de cet acte à caractère criminel, s'il n'a pas signé ce traité, comme président de la République au moment des faits, et qui bénéficie de l'immunité pénale constitutionnelle du président de la République, il y a François Fillon, Premier Ministre (puisqu'il a cosigné avec Nicolas Sarkozy le décret de publication du Traité de Lisbonne), puis le responsable du Journal officiel en date du 2 décembre 2009, jour où ce décret a été publié au journal officiel (le Traité de Lisbonne n'étant pas signé par Nicolas Sarkozy, le responsable du journal officiel avait interdiction d'y publier ce décret de publication).  France-Soir a posé la question au Secrétariat Général du Gouvernement qui n'a pas encore répondu.

Dans tous les cas, ces personnes ont opéré une transposition perfide au possible pour l'État de droit, des paroles ci-dessous de la chanson de Joe Dassin dont j'ai repris l'intitulé en titre de cet édito :

« Et si tu n'existais pas, dis-moi comment j'existerais ?
Je pourrais faire semblant d'être moi, Mais je ne serais pas vrai ! »

Cependant, une question subsiste : le gouvernement Sarkozy, à l'époque, ayant pris note du vote des Français et ayant décidé d'aller contre le vote des Français, s'est-il octroyé une porte de sortie au cas où la situation se serait mal passée ? En ne ratifiant pas ce traité, il gardait une possibilité de sortir de ce traité sur la base d'une « erreur matérielle ».  Des questions en découlent : quelles conséquences aujourd'hui et y a-t-il prescription ?

 

A la lecture de l’article, une lectrice fait l’observation suivante :

"La loi constitutionnelle 2007-238 avait fait disparaitre opportunément le crime de haute trahison qui figurait dans la constitution jusqu’au 24 février 2007. Soit quelques mois avant les évènements que vous relatez. 

Je me suis souvent demandé pourquoi cette modification en profondeur de l’article 68. A la lecture de votre article je trouve peut-être des éléments de réponse ! Cette réforme de la constitution s’est faite avant l’élection de Nicolas Sarkozy mais par un gouvernement auquel il appartenait." (2)

CQFD

 

(1) D’après le site « L'informateur », il est dit que « d'après Patrice ANDRÉ » cette non-signature du Traité de Lisbonne n'aurait pas de conséquence juridique véritable « puisque le Traité de Lisbonne a été adopté par le Parlement en février 2008. »

Toutefois, ceci est en contradiction totale, à la fois avec ce que Patrice ANDRÉ dit dans la vidéo objet de cet édito, et avec ce que Patrice André dit dans cette vidéo : vidéo dans laquelle, il décrit, arguments à l'appui, d'autres actes attentatoires à l'État de droit et à la démocratie en relation avec le Traité de Lisbonne, à savoir d'une part, les manœuvres politiciennes par le truchement desquelles Nicolas Sarkozy l'a fait adopter par le Parlement français, et d'autre part, le contenu du Traité lui-même.

Un livre, que l’on ne trouve plus en librairie, avait même été écrit à cet effet :
https://www.recyclivre.com/products/1176055-mini-traite-europeen-la-constitution-par-la-force

Mini Traité

 

(2)  Pour mémoire la rédaction précédente de l’article 68 était :

« Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice. »

Elle est devenue en février 2007 :

« Modifié par Loi constitutionnelle n°2007-238 du 23 février ... - art. unique
Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.

La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.

Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article. »

 

 

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