Rendez-vous manqué avec l'Histoire
EDITO — « Aujourd'hui, le seul parti qui réhabilite la politique, c'est le Front national. »
Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Jean-Luc Mélenchon, lors d’une interview accordée au Quotidien de Paris en 1991. Cette citation a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. En attestent les derniers articles de “fact-checking“ qui dénoncent ceux qui affirment que le chef de file de la France insoumise aurait fait l’éloge du Front national ! A-t-il vraiment proféré ces mots ? Pour ne pas être dénaturé, un cadeau de Noël doit être enveloppé dans du papier cadeau. Aussi, remise dans son contexte, cette citation est bel et bien de l’ami Jean-Luc, cependant, émise dans le cadre d’une critique du PS de l’époque.
Toujours est-il que ce joli cadeau de Noël fait à ceux qui le taxent de faire le jeu d'un système qu'il affirme combattre, lui revient en pleine figure de manière récurrente. Dès 2011, alors que l’insoumis était la cible de publications utilisant cette même interview de 1991, Jean-Luc Mélenchon avait dû se justifier en ces mots lors d’un entretien conduit par Valérie Trierweiler sur la chaine C8 :
« Ça voulait dire que les militants et les dirigeants du Front national croient que la politique peut changer le cours des événements et je le crois aussi. Et puis il y d’autres gens qui croient que non, que de toute façon il n’y a qu’une seule possibilité, qu’un seul ordre du monde est possible. »
Rebelote le samedi 2 juin 2012 sur France 3 Nord. Cette fois, c’est Marine le Pen qui lui ressortait cette déclaration.
Le patron de La France insoumise a eu beau s’en expliquer à plusieurs reprises et a beau avoir introduit cette déclaration en 1991 par « Je vais vous dire quelque chose d’affreux », celle-ci n’a pas manqué de lui revenir en boomerang jusqu’au terme du premier tour de la présidentielle de cette année, soit 30 ans plus tard, avec beaucoup plus de force et même de pertinence.
Peut-il se dédouaner de cette déclaration ? Pareil propos en décembre 1980, époque où Jean-Luc Mélenchon était membre de l’équipe « jeunes loups » de Mitterrand (comme François Hollande), eût pu être mise sur le compte du manque d’expérience. Cependant, en décembre 1991, le socialiste était désormais sénateur de l’Essonne. En d’autres termes, il était devenu un « vieux briscard » de la politique. Et c'est donc en totale conscience de la teneur et de la portée de ses mots qu'il a fait cette déclaration colorée du halo provocateur qui est le sien. Depuis lors, il n'a d’ailleurs eu de cesse d'user cette marque de fabrique, amplifiant toujours plus les décibels. Point d'orgue atteint en 2018 avec « La République, c'est moi ! », hurlé au visage du procureur de la République.
Cette affaire a le mérite de poser une question fondamentale : Jean-Luc Mélenchon est-il un homme politique qui dit ce qu’il pense, ou bien un simple politicien qui fait des déclarations à l’emporte-pièce ? Cette fois, en 2022, ce que même certains de ses sympathisants lui reprochent après cette fin de premier tour, c'est d’avoir manqué d'œuvrer à l’union de la résistance regroupant la mouvance populaire de gauche et de droite. Rester passif tout en appelant à ne donner aucune voix à Marine Le Pen, cela revient quasi expressément à laisser les clés du pouvoir à Emmanuel Macron.
Or, seule une telle coalition permettrait de répondre à la volonté de 70% de Français qui veulent changer de « monarque », cet Emmanuel Macron pourtant tant fustigé par le leader de LFI au cours de son mandat (voire à ce sujet « Troisième Tour », mon édito de lundi passé).
Si Marine le Pen était élue présidente de la République, le caractère monarchique du pouvoir serait réduit à sa partie congrue. Le Rassemblement national et ses soutiens politiques (Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan) ne pourraient pas obtenir la majorité absolue à l'Assemblée nationale, configuration requise pour pouvoir gouverner de la sorte.
Sous la Vème République, cette “alliance des extrêmes” constitue donc une occurrence unique de restaurer une démocratie véritable (« Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »). Marine Le Pen devrait composer avec une majorité hostile à l'Assemblée nationale, une majorité dont le leader, et dès lors son Premier ministre, serait nécessairement qui ? Jean-Luc Mélenchon.
Selon l’article 20 de la Constitution, c'est « Le Premier ministre (qui) dirige l'action du Gouvernement », et qui, pour ce faire, a l'initiative des lois. Cette alliance est donc la possibilité laissée à Jean-Luc Mélenchon de faire appliquer le programme politique qu'il a présenté à ses électeurs comme seul véritablement capable de servir les intérêts de la France et de ceux des Français.
Leur aurait-il menti ? Ou est-ce de l'orgueil mal placé ? Une attitude un peu gauche ou une vanité malvenue ?
Je vous laisse en juger.
Toujours est-il que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne sont pour l’instant pas convaincus puisque seuls 49% ont l’intention se rendre aux urnes, selon le sondage réalisé par BonSens.org ce 14 avril. 30% voteront Emmanuel Macron et près d’un électeur insoumis sur cinq prévoit de s’affranchir de la consigne de leur leader en votant pour Marine Le Pen. Un résultat corroboré par la consultation interne à LFI qui ne comprenait pas Marine Le Pen comme option. 33.4% des soutiens de l’insoumis glisseront dans l’urne le bulletin au nom du président-candidat tandis que 37.6% d’entre eux voteront blanc ou nul et 28.9% s’abstiendront.
En toute logique, je vais terminer cet édito, comme je l'ai commencé, par une citation du susnommé, elle aussi extraite de sa « fameuse » interview du 25 décembre 1991, qui illustre, à mes yeux, ce rendez-vous manqué avec l’Histoire.
« Les élus qui ont démissionné ont à mes yeux perdu toute perspective historique. »
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