Le Macronisme n’est pas encore la réponse aux problèmes auxquels la France est confrontée pour Chris Bickerton
INTERVIEW EXCLUSIVE : Chris Bickerton est professeur de politique à l'Université de Cambridge et a publié de nombreux livres, dont « Le guide du citoyen de l'Union européenne » en 2016. Son prochain livre s'intitule « Technopopulisme : The New Logic of Democratic Politics »; il sera publié à la fin de l'année. En septembre 2017, dans une Tribune d’Opinion très controversée (OP-ED) du New York Times, il avait titré : « Emmanuel Macron sera lui aussi un président raté ». Entrainant de maintes réactions de la classe politique dont celle de Christophe Castaner qui a tenté de le qualifier de représentant du Front national. Chris, tout en réfutant tout lien avec le Front National, a dit dans Libération : « nous pouvons être de gauche, pro-brexit et pas nécessairement associés au racisme ou à la xénophobie »
FranceSoir : Suite à la montée de l’insatisfaction des Français sur la gestion gouvernementale de la crise, associée à une récente vague de tweets liés à son article, nous avons demandé à Chris quel était son point de vue, deux ans plus tard, et s'il avait des doutes sur les mots utilisés à l’époque.
Chris Bickerton : Tout d'abord, je dois préciser que la situation est allée au-delà de la norme avec beaucoup de confusion. La controverse a éclaté parce que beaucoup ont pensé initialement que c'était la position officielle du New York Times. Quand il a été révélé que c'était un article de moi, le Gouvernement a agi de manière défensive, essayant de « tirer sur le messager ».
Deux ans plus tard, je dirais deux choses : Tout d'abord, la pandémie a introduit une nouvelle série de problèmes, impossible à envisager en 2017. Certains dirigeants ont connu une « très bonne crise », d'autres « une moins bonne ». Merkel en Allemagne a connu une bonne crise, tout comme Kurz en Autriche. Je ne suis pas sûr que Macron ait eu une bonne crise.
De mon point de vue, Macron a lutté avec sa cote de popularité depuis son élection, surtout avec le mouvement protestataire prolongé des « gilets jaunes ». Son projet politique était d’un côté de transformer la France au niveau national, et de l'autre de transformer l'Europe.
La situation actuelle n’a pas permis la mise en œuvre de son programme lié à la transformation de l'Europe, en conséquence, l'attention fut inévitablement tournée sur sa politique intérieure et sur la gestion domestique du gouvernement. En 2017, j’ai essayé de comprendre ce qu’était cette nouvelle force politique émergente, le Macronisme, que j’ai qualifiée de « coquille vide »
FS : Dites-vous que nous voyons le vrai Emmanuel Macron ?
CB : La conviction affichée d'Emmanuel Macron est que les choses devaient être faites au niveau européen et ses propos mettaient en avant la souveraineté européenne. Depuis 2017, l’ambition européenne n'a pas pu être tenue. En 2022, pour les élections présidentielles, il aura en face de lui des candidats euro sceptiques. Ils ne manqueront pas de l’attaquer sur de nombreux sujets, y compris sur la pandémie et la position de la France fervente supportrice des euro-obligations (Covid bonds), qui n’arriveront probablement pas. Il sera également défié sur son impact au niveau européen auquel il aura du mal à répondre.
FS : Quelle était pour vous la promesse du président Macron ?
CB : En 2016-2017, le message politique d'Emmanuel Macron comportait deux volets :
• Tout d'abord, je suis différent des autres élites politiques et ne fais pas partie de ce sérail politique.
• Deuxièmement, je serai plus efficace pour résoudre vos problèmes.
« Je suis différent d'eux et je ferai avancer les choses » sont les deux messages générés par En Marche en 2016.
J'ai du mal à croire que les Français soient convaincus actuellement par l'un ou l'autre de ces messages.
Emmanuel Macron s'est montré comme une personnalité distante à l'Elysée, entrainant certains à le considérer comme un « leader arrogant ». Sur sa seconde promesse (sa capacité à faire avancer les choses), il a essayé beaucoup de choses, mais cela a généré beaucoup de résistances, de pressions et de protestations. Ces deux problèmes sont connectés : comme il n’a pas de véritable ancrage dans la société à travers un parti ou un mouvement traditionnel, il a décidé d'introduire certaines politiques (comme la taxe sur le carburant), qui ont déclenché le mouvement des Gilets Jaunes et mis les gens très en colère.
FS : Pouvons-nous critiquer ou condamner quelqu'un pour essayer ?
CB : Vous ne pouvez pas critiquer quelqu'un pour essayer, mais vous pouvez challenger la manière dont cela a été fait.
Une partie du problème vient du fait qu'Emmanuel Macron a donné le sentiment qu'il avait toutes les réponses et voulait juste mettre en œuvre le programme qu'il avait identifié. Confrontée à la vraie réalité des gens, cette approche technocratique du haut vers le bas, a fini par rencontrer beaucoup de résistance.
Cette résistance se transfère rapidement en une évaluation du gouvernement et plus particulièrement à Emmanuel Macron lui-même. Il a rendu la politique « très personnelle », les initiales d'En Marche étaient les mêmes que les siennes. Donc toute résistance sur la politique se transfère inévitablement vers lui en personne.
FS : Quels seraient vos conseils ?
CB : Ma description de Macron est celle d'un techno-populiste : Il donne à la fois l'impression qu'il a les solutions en tant qu'expert, mais aussi qu’il est populiste en mettant en avant qu’à lui seul il peut directement comprendre la France et ses problèmes. Sa relation avec la population est personnelle et directe, mais il se présente comme un solveur de problèmes. Macron est "la solution aux problèmes du peuple".
Le techno-populisme n’est pas une bonne façon de faire de la politique, et j’avancerais les conseils suivants :
1. Définir et donner de la substance au Macronisme : Quels sont ses buts ? Qu’est-ce qu’il essaie d’atteindre contrairement à ce que l’opposition pourrait vouloir réaliser
2. Transformer « En Marche » en un vrai parti politique qui accepte le débat et la critique et n’est pas seulement une étiquette.
FS : Vous parlez de techno-populisme, pour vous quelle différence existe-t-il entre un politicien et un technocrate ?
CB : Un politicien croit en certaines choses, un ensemble d’idées (la liberté individuelle ou la réalisation d’une certaine égalité) mais ce sont des valeurs. Une autre personne peut avoir un point de vue différent, il n’est pas dans le faux, ils ont juste des différences d’idées et de valeurs. En politique, il n’y a pas de vérité, il n’y a pas une bonne réponse. Tout ce que vous pouvez faire est de construire un groupe politique qui partage ces idées pour gagner une élection, afin d’essayer une mise en œuvre de ce que vous pensez être la meilleure façon de gérer la société.
Pour un technocrate il y a un sens de vérité, qu’il s’agit de la bonne politique. Il y a des politiques qui fonctionnent et d’autres qui ne fonctionnent pas. L’un des problèmes de Macron est qu’il donne l’impression de savoir les politiques qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas et il transfère cela en politique.
Lorsque vous apportez la vérité et les contre-vérités en politique, il est très difficile d’avoir un véritable débat politique: l’opposition n’a plus une différence de point de vue, d’idées ou de valeurs mais vous en concluez qu’il ou elle est tout simplement dans le faux et cela tue le genre de débat dont les démocraties ont besoin.
FS : Impliquez-vous que le Macronisme est plus un modèle de premier ministre ?
CB : En France, traditionnellement, à moins d’avoir une cohabitation, le premier ministre exécute la volonté et le programme du président. Ce dernier incarne une vision particulière de la France, de la conception de la société française et de ce que le gouvernement doit essayer de faire. Il représente la souveraineté française et c’est avec lui que réside l’autorité ultime. Le gouvernement met en œuvre la volonté souveraine. C’est ainsi que la Ve République a été dessinée.
FS : Comment percevez-vous le gouvernement en France ?
CB : Emmanuel Macron a cette position technocratique en lui. En fait, son gouvernement a une approche technocratique, y compris dans le style du premier ministre Edouard Philippe qui est très technocratique. Macron « a nommé », comme ses ministres, de nombreuses personnes reconnues comme des experts dans leur domaine de la société civile. Il en a fait un élément pivot de valeur de son programme, en nommant ces experts issus de la société et non de la politique.
De mon point de vue, le rôle d'un premier ministre sous la Veme république est d'être technocratique et le président plus politique.
FS : Vous aviez prédit que Macron rencontrerait des problèmes à l’exception de la pandémie. Que va-t-il se passer ? Comment voyez-vous la suite ?
CB : Le Macronisme et Emmanuel Macron ont un problème structurel. Il existe et ne disparaîtra pas. La dimension populiste de Macron s’exprime en essayant trop de plaire à tous, la stratégie utilisée ne conduisant pas à plaire à un groupe ou ne pas plaire à l’autre. Il a souvent dit : « je vais faire ceci et je vais faire cela » J’ai noté une réduction récente dans l’usage de cette approche. Cela représente « sa politique de généralités ».
En politique, un leader prend constamment des décisions qui auront un effet très important en sachant que certaines personnes en bénéficieront et d’autres non. La politique, c’est gérer les intérêts des "parts" de la société, tout en gardant une « vision d’ensemble ». Le discours politique doit être clair et permettre de justifier une position ou l’autre, par exemple : « je veux aider la classe moyenne ou je veux aider les entreprises ». Quand le discours politique essaie de plaire à tout le monde, il génère beaucoup plus de résistances et conduit à des difficultés que l’on devra traiter. Je crois que c’est le vrai problème que Macron a. Il n’y a pas d’équilibre entre les « parts » et « l’ensemble » avec Emmanuel Macron, tout est question "d’ensemble".
FS : Diriez-vous que la France est confrontée à des injonctions paradoxales ?
CB : Oui, bien sûr. La politique est une conception basique de choix, de redistribution et d’égalité. Dans le contexte actuel de croissance économique limitée, en essayant d’apporter réponse à tout et à tous, de plaire à tout le monde vous en arrivez à saper vos propres promesses. Vous rendez les gens malheureux, ce qui est le contraire de ce que vous avez entrepris et que vous voulez délivrer. D’une certaine manière, le techno-populisme est une forme autodestructrice de la politique, il se sape constamment de l’intérieur.
FS : Comment pensez-vous qu’Emmanuel Macron va se comporter ?
CB : Il faudra, bien sûr, regarder au-delà de la pandémie et des controverses de la crise (masques, tests...). Ce sont des crises transitoires.
La vraie question réside dans la manière dont Emmanuel Macron émerge de cette crise. Est-ce que les mêmes schémas vont se répéter ? Je pense que oui, car le Macronisme ne s’est pas vraiment développé au-delà de ce techno-populisme. Il doit avant tout donner de la substance à cette « coquille vide ».
De plus, je pense qu’il aura du mal s’il se présente à un second mandant. Ce ne sera pas facile pour lui.
FS : Quels éléments positifs auriez-vous à dire sur sa personne ?
CB : En regardant la position que j’ai prise en 2017, j’ai été un peu désobligeant. Nous avons tous les deux le même âge et peut-être que j’étais jaloux alors qu’il était Président au cœur de l’action, je n’observais de l’extérieur que comme un penseur, comme un intellectuel. Mes intentions n’étaient pas d’être désobligeant, mais simplement de comprendre et d’aller au cœur de ce que constitue le Macronisme, cette nouvelle force politique en Europe. La tâche de l’intellectuel, après tout, n’est pas d’essayer de se faire des amis, mais d’essayer de comprendre, d’aller au cœur de la question.
Je comprends bien pourquoi il essaie de mettre en œuvre certains aspects de son programme, la France n’est pas parfaite et a besoin de réformes structurelles. Je suis aussi très sensible à l’hostilité que les français avaient envers le système traditionnel des partis (parti socialiste, centre, droite).
Je reste convaincu que le Macronisme est encore:
une « forme indéfinie imprécise de politique », qui ne se connecte pas correctement avec la société française,
et que ce n’est pas encore la bonne réponse aux problèmes auxquels la France est confrontée.
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