Défense, politique étrangère : où nous mène la Commission européenne ?
TRIBUNE/ANALYSE - Un article précédent décrivait la dérive prise par les institutions européennes et en particulier par la Commission, depuis la crise Covid-19. La récente crise sanitaire a permis de mettre en lumière l’absence de mandat dans le domaine de la santé de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Ce qui a donné lieu à la signature du plus gros contrat jamais signé par l’Union européenne (UE), sans garde-fou, de façon opaque.
Aujourd’hui intéressons-nous au mandat dont Ursula von der Leyen disposerait en matière de défense et de politique étrangère, alors qu’elle est très présente dans ses actions et sa communication belliciste en faveur de l’Ukraine.
À l’heure où le conflit ukrainien menace de s’étendre à tout moment, il semble nécessaire de revenir sur cette question et d’examiner les compétences réelles de l’UE et de ses institutions en matière de politique étrangère et de défense.
Une fois de plus, nous serons surpris par la nouvelle place prise par la Commission et sa présidente.
Que disent les Traités européens en matière de défense ?
Les règles fondamentales qui régissent l’UE sont dans deux textes, dont la dernière version est le Traité de Lisbonne de 2008, copié/collé de la Constitution européenne rejetée par référendum en 2005 : le Traité de l’Union européenne (TUE) et le Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Ils définissent la Politique européenne de sécurité commune (PESC).
Le TUE évoque une "définition progressive de défense commune qui pourrait conduire à une défense commune, conformément aux dispositions de l'article 42, renforçant ainsi l'identité de l'Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde".
Cette déclaration d’intentions, qui traduit l’esprit du traité, signifie que la PESC est une action dynamique en devenir, progressive. La "défense commune" est une simple possibilité envisagée dans un avenir indéterminé. L’objectif est de promouvoir la paix et ambitionne une compétence mondiale.
Les dispositions concrètes de la PESC sont essentiellement regroupées dans la section 2, article 42 de ce texte, mais l’on retrouve de nombreuses autres dispositions dans des articles précédant celui-ci (1).
On retiendra que les pouvoirs sont dévolus aux seuls exécutifs des États membres (le Conseil européen des chefs d'États ou de gouvernements et le Conseil qui réunit les ministres). Sauf exceptions prévues au traité, les décisions sont prises à l’unanimité et sont élaborées par les Conseils, proposées par le haut représentant ou à l’initiative d’un État membre. La politique ainsi décidée est exécutée par le haut représentant, nommé à la majorité qualifiée du Conseil européen (72 % des États membres représentant 65 % de la population totale). Actuellement, il s’agit de l'Espagnol Josep Borell.
De ces articles liminaires on peut relever que cette politique relève clairement des exécutifs des États membres, l’UE et son haut représentant n’étant que des exécutants. On relèvera que le parlement est absent à ce niveau et que la Commission ni son président ne sont cités à aucun niveau de responsabilité.
L’article 42 pose le principe de la PESC en ces termes : "Elle assure à l'Union une capacité opérationnelle s'appuyant sur des moyens civils et militaires (…) afin d'assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale ".
Mais l’article pose le principe du respect des obligations du Traité de l’Atlantique Nord "pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN)".
Il est patent que tant le Parlement que la Commission ne sont pas compétents en la matière. La compétence relève des deux Conseils, le haut représentant n’a qu’un rôle secondaire. On notera l’importance de l’OTAN, le texte précisant que celle-ci ne concerne que les États membres qui se sont mis dans son orbite. Dans la pratique, ne sont pas membres de l’OTAN : l’Autriche, l’Irlande, Malte, Chypre et (plus pour longtemps) la Suède et la Finlande.
L’article 43 prévoit la possibilité d’avoir recours à des moyens civils et militaires visant à des "actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de conseil et d'assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits".
L’article 44 précise que ces missions peuvent être confiées à un groupe d’États membres. Il ne mentionne pas de fournitures d’armes à un État en guerre, qui en outre ne relèverait ni de l’UE ni de l’OTAN. Les actions concernent la gestion des crises ou le maintien de la paix, pas l’entretien de la guerre ni des actions clairement bellicistes.
Le TFUE prévoit que pour la PESC, le Conseil est "assisté par le comité politique et de sécurité". La compétence nationale en premier lieu est ici de nouveau affirmée. Le rôle de la Commission est très accessoire. Le Protocole n° 10 sur l’article 42 du TUE, annexé au TFUE, apporte certaines précisions. Dans son introduction, celui-ci réaffirme le respect des obligations OTAN découlant du Traité de l’Atlantique Nord "pour certains États membres".
Il précise que le Danemark "ne participe pas à l'élaboration et à la mise en œuvre des décisions et actions de l'Union qui ont des implications en matière de défense." Le Protocole réaffirme que les dispositions relatives à la PESC "ne portent pas atteinte aux responsabilités des États membres" et ne confèrent pas de nouveaux pouvoirs à la Commission de prendre l'initiative de décisions ni n'accroissent le rôle du Parlement européen.
La prééminence de l’OTAN doit être soulignée, cette organisation étant clairement au service des États-Unis. Elle dispose de structures permanentes sur tout le territoire de l’Union : états-majors, bases essentiellement armées par des personnels et équipements US.
L’OTAN, initialement alliance défensive créée en 1949 au début de la Guerre Froide, s’est réorientée à l’occasion de la chute de l’URSS et de la disparition de son pendant, le Pacte de Varsovie, pour englober de plus en plus d’États. Tous ces pays sont potentiellement et généralement, dans les faits, autant de nouveaux clients pour l’industrie d’armement US.
Ursula von des Leyen, la Commission et la guerre en Ukraine
De l’étude des textes fondateurs, sans entrer dans le détail de la profusion de règlements, rapports et autres décisions, il apparaît clairement que la responsabilité en matière de politique étrangère et de sécurité reste de compétence nationale, de préférence coordonnée. La compétence de la Commission est plus que marginale pour ne pas dire inexistante. Le protocole le rappelle très clairement.
Les récentes décisions de la présidente de la Commission relative à l’Ukraine (interdictions de médias, fournitures d’armes, transferts de fonds) doivent être fondées sur des décisions du Conseil européen ou du Conseil selon les cas, ou bien elles sont assimilables à un coup d’État.
Comme elle l’a fait en matière de santé, ses diverses interventions ostentatoires dépassent de loin ses prérogatives et son mandat, alors que le haut représentant qui devrait être seul à communiquer dans ce domaine, reste étrangement transparent.
Formellement, les décisions ont bien été prises par le Conseil et non par la Commission, contrairement aux apparences. Cependant on peut se poser la question de la légitimité desdites décisions, eu égard à l’esprit et à la lettre des traités, tels qu’exposés plus haut, car alimentant le conflit.
On est bien en présence d’un basculement des institutions européennes vers une forme impériale sans en avoir demandé aux peuples, leur avis. Ensuite cela n’explique pas l’attitude de la présidente de la Commission qui se comporte comme une véritable dirigeante d’un empire plus ou moins fédéral, compétence qu’elle n’a pas.
Même prises sur la base de décisions des Conseils, les prises de position de la présidente de la Commission excèdent largement ses compétences prévues par le TUE et le TFUE et représentent une ingérence directe dans les prérogatives des États membres. Enfin l’esprit (et même, la lettre) de la PESC qui vise explicitement à encourager la paix et non la guerre, est violé.
Les positions actuellement prises par l’UE (en particulier par la présidente de la Commission qui n’a aucune compétence en la matière, il convient d’insister sur ce point) concernant le conflit ukrainien où nulle part l’UE n’encourage des pourparlers de paix mais au contraire fait tout pour entretenir la guerre et l’hostilité en ayant clairement choisi un camp belligérant, dans le sillage de l’OTAN. Le silence des chefs d’États des vingt-sept serait surprenant si l’on ne distinguait pas l’ombre de "l’ami américain".
Cela tend à prouver que la PESC et la souveraineté des États membres ne sont que des leurres, l’initiative et le dernier mot revenant dans la pratique à l’OTAN, c’est-à-dire aux États-Unis, la présidente de la Commission se comportant de fait comme un ministre de l’administration US et servant les intérêts non pas de l’UE, mais des États-Unis.
Les mesures prises "par l’UE" sont des sanctions (qui ont démarré en 2014 et se sont accrues en 2022) et "un soutien sans faille à l’Ukraine". En outre, des décisions relatives à l’aide financière l’ont bien été par le Conseil, qui dans sa décision du 16 septembre 2022 relatif à une "assistance macrofinancière exceptionnelle à l’Ukraine", vise une "proposition de la Commission européenne", alors même que les Traités ne lui confèrent pas cette prérogative qui n’est donnée qu’au haut représentant et aux États membres individuellement (2).
La décision consacre des pouvoirs à la Commission, en dehors des Traités, dans le cadre de cette aide, ce qui permet à madame von der Leyen de se vanter récemment dans un tweet :
"Today we have disbursed another € 1.5 billion to Ukraine. Our support helps Ukraine maintain essential public services running while defending itself. We have now provided € 7.5 billions in budget assistance since the beginning of the year, and more will come ". (3)
Dans le même temps plusieurs affaires de corruption des élites dirigeantes ukrainiennes sont régulièrement dénoncées. Dans sa décision, le Conseil mandate la Commission pour contrôler l’utilisation des fonds versés. La Commission ne communique jamais sur ce point.
Les décisions ont été prises par le Conseil, ce qui est conforme aux Traités, la Commission et sa présidente n’ont été investies d’aucune compétence nouvelle, ce qui aurait nécessité de modifier les traités (TUE-TFUE).
Depuis le 22 février 2022, 10 trains de sanctions ont été décidés, le dernier en date du 25 février 2023.
Le document cité faisant apparaître les diverses sanctions et actions menées répond aux questions "quoi ?" et "comment ?", mais jamais à la question "pourquoi ? " : le soutien à l’Ukraine n’est pas motivé, non plus que ne sont citées les références des traités autorisant l’exportation d’armements vers un pays en guerre qui n’appartient ni à l’UE ni à l’OTAN (car ces dispositions n’existent pas dans les Traités). Pourquoi ce soutien à l’Ukraine et en même temps, le commerce entretenu avec l’Azerbaïdjan qui a envahi son voisin arménien, dans l’indifférence la plus totale de l’UE et avec l’appui actif d’un pays membres de l’OTAN (mais pas de l’UE), la Turquie ?
Quelles conséquences pour les Français ?
Ces décisions ont été prises par les exécutifs nationaux, les parlements nationaux n’ont pas été consultés. Si l’on prend le cas de la France, toutes les décisions concernant la livraison d’armes, la mise à disposition de l’avion présidentiel au président Zelensky pour se rendre au G7, l’envoi de troupes aux frontières de l’UE face à la Russie et à l’Ukraine, ont été prises par le seul président de la République.
Il n'y a eu aucun vote du Parlement, en dépit de l’obligation conférée par l’article 35 de la Constitution imposant un vote du Parlement pour prolonger une opération extérieure au-delà de quatre mois : cela fait plus d’un an que des soldats français ont été envoyés en Roumanie et dans les Pays baltes.
Les armées européennes sont des armées mexicaines, l’armée française est la seule véritable force militaire de l’UE. La plupart des pays membres de l’OTAN ont beaucoup d’officiers pour armer les états-majors de l’OTAN qui sont assez pléthoriques, mais disposent de très peu d’unités opérationnelles. Les principales forces opérationnelles sont celles des États-Unis, de la Turquie et dans une moindre mesure, de la France.
On ne reviendra pas ici sur l’état de l’armée française qui, malgré la valeur individuelle de ses membres, est une armée échantillonnaire qui a servi pendant des décennies de variable d’ajustement au budget de l’État et a servi les dividendes de la paix.
Donc si le conflit devait s’étende, la France serait au premier rang, dans un état de faiblesse certain. Toute mobilisation serait illusoire car les mobilisés n’ayant pas effectué de service militaire depuis sa suspension par Jacques Chirac en 1995, n’auraient aucune formation et plus aucune structure de mobilisation n’existe. Donc on peut dire que la situation serait pire qu’en 1940.
On peut constater que les deux récentes crises majeures, sanitaire puis militaire, ont été l’occasion pour la Commission d’accroître considérablement ses pouvoirs et ce, sans modification des Traités, pourtant indispensable. Et bien sûr, sans solliciter le consentement des peuples européen, avec une complicité active de l’ensemble des exécutifs des États membres, sans consultation non plus de leurs Parlements respectifs. À l’instar d’une haut-fonctionnaire de la Commission (4) qui se vantait publiquement de ne pas tenir compte des règles des traités que lui rappelaient pourtant les juristes travaillant avec elle, afin de "créer l’Europe" (sic), une Europe plus ou moins fédérale dotée d’un exécutif autoritaire et non élu est en train de s’implanter discrètement, mais cela commence à se voir.
Notes :
(1) Articles 24, 25, 26, 28, 30, 31, 32, 41
(2) Article 42 du TUE
(3) "Aujourd’hui nous avons débloqué encore 1,5 milliard d’euros à l’Ukraine. Notre soutien aide l’Ukraine à maintenir ses services publics essentiels tout en assurant sa défense. Nous avons à ce jour versé 7,5 milliards d’€ en assistance budgétaire depuis le début de l’année, et bientôt davantage".
(4) Il s’agit de Madame Sandra Gallina, dans un propos filmé et rapporté par le député européen Rob Roos
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