Les contes, fondements de l’être-ensemble


L’éducation est une préoccupation de toute société. Depuis la modernité et la prévalence d’un rationalisme fonctionnaliste, nous tentons de construire « un avenir » à nos enfants, fait comme le prétendent certaines organisations internationales d’un bien-être matériel et d’un allongement de la durée de vie. D’autres sociétés, celles qu’on dit primitives, ou tout simplement pré-modernes avaient à cœur plutôt une initiation des jeunes, c’est-à-dire une transmission d’une connaissance non seulement intellectuelle et rationaliste, mais également spirituelle et concrète.
Aujourd’hui les enfants apprennent peu par imitation de gestes concrets de leurs parents (cuisine, arts domestiques, bricolage) et moins encore des rites et croyances transmises par les ancêtres. En tout cas, il en est ainsi dans la France dite chrétienne, c’est-à-dire chez les familles dont les grands-parents suivaient encore les rites chrétiens de diverses obédiences.
Les contes, ces « histoires » universelles peuvent-elles aider à transmettre un peu d’âme à nous enfants ?
Les contes sont un genre littéraire, écrit ou oral, immémorial et universel.
Ils font aujourd’hui partie de la littérature dite Jeunesse, (inscrits au programme de français des élèves des collèges), mais ils ne recoupent pas l’ensemble de la littérature Jeunesse. Celle-ci est en effet très abondante et très diversifiée depuis que l’enfance a acquis une place spécifique dans la société moderne. (Cf Philippe Ariès).
Toute une part de cette littérature Jeunesse même fantastique (type Harry Potter) n’appartient pas au genre conte.
Le conte a été étudiée du point de vue de sa structure narrative par les spécialistes qui y distinguent bien la succession « situation – perturbation – action – nouvelle situation » qui peut être répétée et enrichie de sous-séquences diverses. Le conte comprend aussi bien sûr le héros ou l’héroïne, l’ennemi ou le méchant (la marâtre, le monstre, la sorcière), et divers modes d’intervention, d’objets : l’épée, la pomme.
Sa particularité anthropologique et psychologique est son universalité. Selon la grande spécialiste psychanalyste jungienne des contes, Marie-Louise Von Frantz, « Le conte est l’expression universelle des structures fondamentales de la psychè humaine. »
Universalité dans le temps, depuis la nuit des temps et universalité géographique, civilisationnelle. Quiconque aime les contes a constaté la profonde ressemblance entre des contes africains, asiatiques, européens, américains etc. José Corti, le grand éditeur de recueil de contes a ainsi publié « Sous la cendre. 50 Cendrillons originaires d’Europe, d’Orient, d’Afrique, d’Amérique. Le conte n’est donc pas spécifique à une époque, même si les attributs des héros, les environnements peuvent différer. La structure du récit et celle des personnages restent identiques, reconnaissables.
Universalité dans le temps aussi. L’écrivain et ethnologue africain (1901-1991), grand défenseur du recueil des productions orales de l’Afrique, Amadou Hampaté écrivait : « Un conte c’est le message d’hier destiné à demain et transmis à travers aujourd’hui ».
Les contes reprennent les grandes figures du Mal auquel les humains sont confrontés de tous temps.
Il est vrai que certains contes ont été utilisés comme des « fables » dans une visée moraliste. Néanmoins c’est la plupart du temps l’intervention du merveilleux, qui permet aux héros de triompher des méchants : les bottes de Sept lieux du Petit Poucet, la marraine Fée de Cendrillon, le vœu de la dernière fée pour la Belle au bois dormant, ou la venue du Prince charmant pour Blanche Neige.
Quels sont les grandes structures de l’inconscient collectif (Jung) ou de l’imaginaire (Gilbert Durand) auxquels les humains de tous temps sont confrontés ? Les oppositions entre masculin et féminin, animus et anima chez Jung, le glaive et la coupe pour Durand. Les grandes structures de la parenté et le tabou universel de l’inceste (Claude Lévi-Strauss) ; la mort qui est présente dans presque tous les contes ; l’amour bien sûr et le désamour, la jalousie ; les oppositions entre pauvreté et richesse, pouvoir et domination etc.
La grande différence entre le conte et les nombreux livres qui ont pour héros un enfant handicapé, adopté, hospitalisé, dont les parents divorcent, dont les grands-parents meurent, dont la mère attend un petit frère ou une petite sœur, c’est le caractère justement non réaliste des protagonistes. Le petit Poucet est certes un benjamin, mais c’est le plus malin et il use de pouvoirs extraordinaires pour réussir à sauver tous ses frères ; dans Hansel et Gretel, conte féministe s’il en est, c’est la faible et pleurnicharde Gretel qui sauve son frère et le sort de la cage de la sorcière ; c’est quoi qu’on en dise Cendrillon qui séduit activement le Prince en se rendant au bal et il faut bien se dire que face à Blanche Neige ou Cendrillon et surtout Peau d’Âne les Princes charmants sont quelque peu fats et bêtas ! Ceci dit le conte permet des identifications multiples, qui ne sont pas limitées par le genre, ou l’âge. Ce sont les situations, les grandes structures psychiques qui font la force des contes. En ce sens, dans leurs versions les plus proches de leurs origines orales, tels les contes des frères Grimm, les contes populaires italiens recueillis par Italo Calvino, les recueils de contes de différents pays, édités chez José Corti, ils sont une vraie initiation de l’enfant aux difficultés de la vie. De même qu’ils ont toujours été pour les adultes une littérature véritablement thérapeutique.
Le conte ne fait pas peur à l’enfant, il exprime des peurs archétypales
Dans un conte, au contraire d’un livre éducatif ou même d’un roman, il ne s’agit pas de s’identifier au héros, mais en quelque sorte à la situation. L’enfant n’est pas le Petit Poucet, il est le petit Poucet et l’ogre. Dans les contes de jalousie entre frères ou sœurs, il peut être chacun. Dans Boucle d’Or, il peut être la petite fille qui mange la bouillie du petit ours ou le petit ours qui se fait manger sa bouillie ou les deux.
Tous les enfants ont eu peur d’être abandonnés par leurs parents ou d’être des enfants trouvés, adoptés, nés d’une princesse chassée de son foyer etc. On remarquera que dans les contes la situation d’abandon est imposée autant à l’enfant qu’au parent présent. Abandon, marâtre, belle-mère ou beau-père privilégiant ses propres enfants à ceux de sa ou son conjoint, peut-on penser que les enfants n’ont pas connaissance de ces situations ? Dans une société ou seuls les deux tiers des enfants vivent avec leur deux parents, un quart en familles recomposée et un dixième avec un parent (mère à 94%) solo.
L’inceste est un tabou universel, justement parce qu’il est également une tentation universelle. Présent dans toute la littérature, pas seulement dans les faits divers et les études socio-psychologiques. Dans le conte Peau d’Âne (pas dans le film avec Catherine Deneuve), la jeune fille est un modèle de résistance à son père et de conquête de son indépendance qui passera par le fait d’aimer un autre homme que son père. Il n’y a pas besoin de morale explicite à un tel conte.
La peur du loup, du dragon, du lion etc. sont autant de symboles exprimant les peurs qui agitent les rêves et les cauchemars de tout un chacun.
Car le conte permet par sa structure de faire la partition entre la réalité et le merveilleux
Le conte recourt à des formules stéréotypées, différentes d’ailleurs selon les époques en introduction et en conclusion pour enclore l’histoire dans une aire et dans un temps lointains. « Il était une fois… et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. »
Les contes anciens, notamment sous forme orale usaient de formules « de mise à distance » plus efficaces : et je suis monté sur une selle et vous ai dit le conte ainsi… (Roumain) ; E crac, e cric lo conte es finit. E crac, e cric, lo conte es acabat (Occitan) ; Et voici un chat, et voici un chien et le conte s’est fondu (Espagne) etc.
Le conte n’est pas éducatif, il est plutôt thérapeutique et initiatique. Il permet à chacun, et notamment aux enfants, de se confronter aux grandes vicissitudes de la vie. Il est réaliste au sens où il parle du Mal, des méchants, du caractère animal de l’espèce humaine, de la Mort, de l’Injustice des destins. Mais il permet aussi à chacun de trouver dans sa psychè les modes de résilience face à ces situations.
Bien sûr que l’on préférerait que n’existent pas le péché, les pulsions incestueuses, les mauvaises pensées, la jalousie, la haine etc. La sagesse ancestrale des contes nous apprend que de tous temps les hommes ont été confrontés à cette finitude et qu’ils portent en eux, individuellement et collectivement les moyens de faire face.
En ce sens les contes sont un merveilleux instrument de réassurance. Parce qu’ils sont à la fois réalistes et spirituels, qu’ils nous permettent de mobiliser les forces de la vie, les forces de l’âme.
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