Éric Dupond-Moretti : d’avocat contradictoire à ministre des contradictions... sans contradicteur
PORTRAIT CRACHE - C'est le Dupond d’Isigny, le Dupond d’Isigny...
Éric Dupond-Moretti, c’est tout un personnage. Un avocat peu orthodoxe, controversé, de notoriété nationale, admiré par des magistrats et des confrères pour ses succès retentissants et ses plaidoiries, haï par d’autres, pour ses méthodes, son verbe provocateur et querelleur. La carrière de ce pénaliste, affublé du surnom “Acquittator” pour des dizaines d’acquittements, est jalonnée de succès judiciaires, mais surtout de polémiques et de tensions avec le système judiciaire. Une trajectoire sinueuse qui culmine avec une mise en examen inédite puis un procès retentissant, qui témoignent des contradictions de l’actuel ministre de la Justice.
De défenseur en accusé... d'avocat à garde des Sceaux
Comment Éric Dupond-Moretti est-il devenu avocat ? La mort suspecte de son grand-père maternel, un immigré italien, sans qu’aucune enquête ne soit ouverte, “y participe à l’évidence”. Plus tard, dans un livre, il expliquera être devenu avocat par “détestation de la peine de mort”, après l’exécution de Christian Ranucci en 1975, accusé du meurtre d’une fillette. “Ce jour-là”, à 15 ans, en pensionnat chez les frères, “j'ai su que je serai avocat”.
Fossoyeur un jour...
Pendant ses études de droit, il multiplie les petits boulots : maçon, serveur, assistant d’éducation et même... fossoyeur. Dès l’obtention de son diplôme, il participe à l'examen d'entrée à l'école d'avocats. Il est lauréat de la Conférence du stage, le concours d’éloquence des avocats du barreau.
Eric Dupond prête serment le 11 décembre 1984 et s'inscrit au barreau de Lille. Il tente de rejoindre des cabinets réputés mais ne parvient pas à les convaincre. “Il en voulait, mais à l'époque, pour être franc, il ne m'a pas marqué plus que ça”, raconte un pénaliste parisien. “Si, son physique ! Il avait un gabarit qui convenait bien à quelqu'un qui veut défoncer les portes fermées”. Il commence finalement sa carrière dans les prud’hommes puis dans les commissions d’offices, sous la houlette de Jean Descamps et Alain Furbury, deux ténors. “Le soir, je prenais des commissions d'office à tour de bras. J'ai commencé à faire de la procédure, ce qu'à Lille personne ne faisait à l'époque. J'ai obtenu quelques relaxes et acquittements spectaculaires”, raconte-t-il. C’est à cette époque qu’il décide d’accoler le nom de sa mère à son patronyme, similaire à celui d’un confrère.
Blanchi jusqu'à la narine...
Son premier acquittement, il l’obtient en 1987, à 26 ans, trois ans après avoir prêté
serment. Son ascension commence, et ce, malgré une perquisition et une garde à vue en 1993 — en raison de traces de cocaïne trouvées dans son véhicule — ou la condamnation de nombreux de ses clients. Il est de plus en plus célèbre, se charge d’affaires médiatisées et ses succès tout comme ses plaidoiries et son talent d'orateur lui valent les surnoms de “L’Ogre du Nord” et surtout, “Acquittator”.
En 1993, il défend Jacques Glassmann, le footballeur qui a dévoilé la tentative de corruption de joueurs de Valenciennes (VA) de la part des dirigeants de l’Olympique de Marseille (OM), présidé par Bernard Tapie. C’est la fameuse affaire VA-OM. Mais c’est le procès d’Outreau en 2004, à l’issue duquel la “boulangère” Roselyne Godard est acquittée, qui lui vaut une notoriété nationale. Eric Dupond-Moretti est sollicité par des centaines de clients, des personnalités comme des citoyens lambda.
Quelques mois avant sa nomination au poste de ministre de la Justice, il totalisait 145 acquittements et nombreux sont ceux qui ont été obtenus après de très lourdes condamnations en première instance. Citons les cas de Jean Castela, accusé d'être le commanditaire de l'assassinat du préfet de Corse, Claude Érignac et condamné à 30 ans de réclusion criminelle en première instance, ou encore Michel Pinneteau, condamné à la même peine dans l’affaire “des corps sans têtes de l'Esteron” avant son acquittement.
Ténor pour des barrés
Entre 2011 et 2019, “L’Ogre du Nord” ne plaide plus seulement dans des affaires pénales mais s’intéresse aussi aux affaires politico-médiatiques et financières. Sa manière de défendre ses clients, comme Abdelkader Merah, frère du terroriste Mohammed Merah, auteur des attentats de Toulouse, lui valent régulièrement des critiques. Ses confrères décrivent un avocat “imposant, intimidant”, aux méthodes peu conventionnelles, voire “odieux”. Les magistrats, avec qui sa relation a de tout temps été houleuse, sinon haineuse, lui reprochent un ton souvent “querelleur” et “provocateur”.
Va pouvoir souhaiter un bon retour à Cahuzac...
Parmi ses clients notoires figurent le footballeur Karim Benzema, le handballeur Nikola Karabatic mais surtout Bernard Tapie dans l’affaire du Crédit Lyonnais, l’ancien ministre délégué chargé du Budget, Jérôme Cahuzac, accusé de fraude fiscale par le Parquet national financier (PNF) et Patrick Balkany, maire de Levallois-Perret. Les acquittements ne sont pas toujours au rendez-vous et les succès sont plutôt relatifs.
Le très médiatique avocat n’a jamais hésité à se servir des plateaux TV pour plaider la cause de ses clients ou celle de... la défense. Son attitude est pointée du doigt et nombreux sont ceux qui lui reprochent d’être avide de notoriété. Eric Dupond-Moretti fait aussi parler de lui pour des positions et des déclarations controversées. En 2013, celui qui a toujours exprimé son rejet de “toute forme de violence institutionnelle”, refuse la Légion d’honneur, récompense qu’il méprise. En 2015, il se dit favorable à l’interdiction du Front national. “Jean-Marie Le Pen s’est occupé des juifs, Marine Le Pen s’occupe des musulmans”, déclare-t-il. Il s’oppose à l’interdiction de la corrida aux mineurs et exprime son souhait de voir toute communication sur les réseaux sociaux interdite tant qu’elle est anonyme et non signée. Il n'abandonnera jamais cette idée qu’il remet sur la table à l'été 2023, suite aux violents affrontements survenus dans plusieurs villes de France après la mort de Nahel.
“Sotte” et “incongrue”... mais finalement acceptée
A ce moment-là, en juin 2023, cela fait déjà trois ans qu’il est ministre de la Justice. Pourtant, en 2018, il déclarait ne pas avoir les compétences pour un tel poste et qu’il n'accepterait jamais une telle proposition, qui serait “sotte, saugrenue, incongrue et invraisemblable”. Il est nommé le 6 juillet 2020 garde des Sceaux dans le gouvernement Jean Castex. La décision d'Emmanuel Macron d’offrir le maroquin de la Justice à “Acquittor” suscite une levée de boucliers chez les magistrats, qui considèrent cette nomination comme une “déclaration de guerre à la magistrature”.
Un premier tour pour perdre le Nord...
Eric Dupond-Moretti découvre donc les us et coutumes de la vie politique, non sans difficultés. Son “enthousiasme” à la prise de fonction est vite éclipsé par le départ jugé “embarrassant” de Charlotte Bilger, remerciée trois jours après avoir été nommée conseillère spéciale du désormais ministre de la Justice. La mise à l’écart de cette magistrate est reliée par certains à sa décision, en tant que juge, de mettre en examen, en décembre 2019, le président du MoDem, François Bayrou, et des dizaines d’élus ou cadres de son parti, pour complicité de détournement de fonds publics. En 2021, lors des élections régionales dans les Hauts-de-France, Eric Dupond-Moretti se présente comme tête de liste de la majorité présidentielle, qui comprend le MoDem. Il est éliminé au premier tour, malgré les appels du garde des Sceaux à “virer” le RN, “véritable danger pour la démocratie”, du département du Pas-de-Calais.
Il est tout de même reconduit dans ses fonctions par Emmanuel Macron mais évite de se présenter aux élections législatives de 2022. Ce scrutin voit la percée remarquée du Rassemblement national et Dupond-Moretti s’attire des critiques lorsqu'il évoque la possibilité “d’avancer”, “dans l’intérêt des Français”, avec ce parti qu’il a toujours “combattu” selon son entourage.
De compétences en incompétence...
Il n’en est pas à sa première contradiction. Celui qui a accepté le poste de ministre malgré son incompétence politique, selon ses dires, et qui a considéré le RN un “danger pour la démocratie”, adopte à son tour cette “violence institutionnelle” rejetée, à ses dires durant sa carrière d’avocat. Ses plaidoyers houleux devant les magistrats laissent place à des interventions virulentes devant les élus de l’Assemblée nationale. Et même des gestes franchement déplacés dans l’hémicycle, comme ce bras d’honneur adressé en mars 2023 à Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains.
Durant son mandat, Eric Dupond-Moretti présente un projet de loi visant à “restaurer la confiance dans la justice”. Des dispositions du texte, comme la possibilité de diffuser les audiences ou de désengorger les cours d'assises en généralisant les cours criminelles départementales sont rejetées par les magistrats. Lui qui durant sa carrière d’avocat a dénoncé la “dictature de l'émotion” dont pouvaient être victimes ses clients, a annoncé le dépôt d’un projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale, après la retenue de l'irresponsabilité, confirmée en appel et en cassation, du meurtrier de Sarah Halimi.
Legale prise d'intérêts illégaux relaxantes
Dupond-Moretti au ministère de la Justice, c’est surtout sa mise en examen par la Cour de justice de la République (CJR) pour soupçons de prise illégale d’intérêts, une premier pour un garde des Sceaux. Il est suspecté d’avoir abusé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes liés à son passé d’avocat. L’affaire remonte à juin 2020, en marge d’un autre dossier lié à l’ancien président Nicolas Sarkozy. Ce dernier, accusé de corruption et de trafic d'influence dans l’affaire dite “Paul Bismuth”, est mis sous écoute téléphonique depuis 2014 mais les magistrats réalisent qu’il est au courant de cette procédure et soupçonnent l’existence d’une “taupe” qui aurait vendu la mèche à l’ancien président. Le Parquet national financier (PNF) lance alors “une enquête dans l’enquête” pour repérer cette taupe, en passant au crible les factures téléphoniques d'une dizaine d’avocats du barreau, dont Eric Dupond-Moretti.
L’information est dévoilée par la presse et “l’Ogre du Nord" s’insurge, dénonçant une “enquête barbouzarde”. Il porte plainte mais retire celle-ci quelques jours après sa nomination le 6 juillet 2020. Mais l’ancien avocat ne suspend pas l’inspection lancée par Nicole Belloubet, malgré de nombreuses alertes sur le risque de conflit d'intérêts. A la fin de cette inspection, il ordonne même une autre enquête administrative, ciblant cette fois-ci deux magistrats chargés de l’instruction et la cheffe du PNF aux moments des faits, Eliane Houlette.
Il profite aussi de sa nomination pour lancer une procédure administrative contre un autre magistrat, Edouard Levrault, juge d’instruction actuellement détaché à Nice, mais qui exerçait à Monaco lorsqu’il a mis en examen un des clients d’Eric Dupond-Moretti. Le 1er juillet 2021, ce dernier fait l’objet d’une perquisition, avant une mise en examen, le 16 juillet, par les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR) pour prise illégale d’intérêts.
Son procès s’ouvre le 6 novembre 2023 pour une durée de 10 jours. Sans pour autant remettre sa robe d’avocat, il rejette les accusations, estime “être dans une nasse” et impute sa situation à la “guerre” que les magistrats lui mèneraient depuis sa nomination.
ll est finalement relaxé...
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