Dix mois de prison avec sursis requis contre Olivier Dussopt pour favoritisme, le ministre du Travail fixé sur son sort le 17 janvier
FRANCE - Peu avant la relaxe mercredi 29 novembre 2023 du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, par la Cour de justice de la République, un autre membre du gouvernement ayant des démêlés judiciaires apprenait la peine requise contre lui. Le parquet a requis 10 mois d’emprisonnement avec sursis et 15000 euros d’amende contre le ministre du Travail, Olivier Dussopt, jugé depuis lundi pour des soupçons de favoritisme dans un marché public. Aucune peine d’inéligibilité n’a été requise contre l’ancien maire d’Annonay (Ardèche), “au regard de l’ancienneté des faits”.
Olivier Brousse, ex-directeur général du groupe Saur, troisième grande entreprise de l’eau en France, n’est pas en reste. Le réquisitoire à son encontre est un tantinet moins sévère, avec une peine de 8 mois de prison avec sursis et une amende similaire à celle requise contre Olivier Dussopt pour complicité de favoritisme. La société, poursuivie pour recel de favoritisme, fait l’objet d’un réquisitoire d’un million d’euros et une exclusion des marchés publics pour une durée de trois ans avec sursis.
L’affaire date de 2009. A l’époque, Olivier Dussopt était maire d’Annonay. En 2020, Mediapart a dévoilé qu’un dirigeant de la Saur avait offert en 2017, lors de la dernière année à la municipalité de l’actuel ministre du Travail, deux lithographies, alors que des négociations sur un nouveau contrat étaient en cours. Le Parquet national financier (PNF) a immédiatement réagi, ouvrant une instruction confiée à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), pour favoritisme, corruption et prise illégale d’intérêts.
L’ancien maire réitère sa “bonne foi”
Mais Olivier Dussopt ne comparaît pas devant le tribunal correctionnel de Paris pour ces délits, le PNF, estimant que les lithographies étaient de faible valeur et, surtout, non sollicitées par l’élu. C’est une perquisition chez l’actuel ministre du Travail qui a mené au procès en cours. Un compte-rendu d’entretien de 2009 avec le directeur de la Saur, dans lequel est évoqué un marché de gestion d’eau de 5,6 millions d’euros, ainsi qu’un e-mail, ont été retrouvés.
Le courrier électronique en question était adressé par le maire PS à la municipalité, lui demandant un aménagement de plusieurs clauses dans le cahier des charges de l’appel d’offres ainsi qu’une révision de l’importance du critère du prix dans l’évaluation des soumissions.
Le PNF soupçonne alors un arrangement et retient en janvier 2023 l'infraction de “favoritisme” au profit de la Saur. En juin, la date du procès est annoncée pour novembre. Au début du mois, le ministre du Travail exprimait son optimisme. “On parle d’une enquête qui a été classée pour 80 %. Quatre points sur cinq ont été classés, il en reste un, sur un marché de 2009, il y a 14 ans. Je vais au tribunal pour convaincre de ma bonne foi. J’ai convaincu le parquet sur les quatre premiers points, je souhaite le convaincre sur le cinquième”, a-t-il déclaré.
Devant le tribunal, il a fait part de son “souhait que cette audience [lui] permette d'établir [sa] bonne foi", réitérant sa déclaration de début novembre. Peu avant l’annonce du réquisitoire, le substitut du procureur, Jean-Baptiste Bougerol a estimé que “la Saur a tout bonnement assisté le maire pour l’aider à façonner les marchés publics à venir”, accusant le ministre du Travail de s’être livré à “un véritable établissement de critères sur mesure” en faveur de la société.
Le second procureur, Julien Augereau, a déclaré qu’Olivier Dussopt “est reparti [après sa réunion avec la Saur] avec une liste de courses sur les exigences” de l’entreprise avant de “mettre en branle les services de la commune pour traduire concrètement” ces exigences dans le cahier des charges.
Pas de peine d'inéligibilité malgré les “graves manquements” du “garçon de cristal”
Le parquet a dénoncé de “graves manquements” au “devoir d’exemplarité” des élus, commis l’espoir d’obtenir un “gain politique” et qui “dégradent la confiance dans les institutions et fragilisent le pacte républicain”. Le réquisitoire ne comporte tout de même pas de peine d'inéligibilité, “au regard de l’ancienneté des faits”.
La défense, qui a pris la parole dans l’après-midi du mercredi, a souligné que les “faits sont prescrits”. Un argument rejeté par l’accusation qui a rappelé qu’ils étaient “dissimulés” jusqu’à leur découverte par le PNF. A propos de son client, l’avocat Georges Holleaux, a déclaré que “ce garçon, c'est du cristal. Il est incapable de dissimuler”, décrivant un maire d’une trentaine d’années “qui a agi pour le bien de sa commune”.
Il a rappelé que les documents récupérés lors de la perquisition “n’étaient pas cachés derrière la cuvette des toilettes” mais étaient “sur une étagère de la bibliothèque”. “Il aurait pu faire le ménage” mais Olivier Dussopt “n'a rien à se reprocher”, dit-il. La défense précise par ailleurs que les clauses suggérées par le ministre du Travail à la municipalité n’ont pas été intégrées dans le cahier des charges.
Un autre argument rejeté par l’accusation, qui rappelle que le simple fait de “tenter de procurer un avantage” suffisait à caractériser l’infraction de favoritisme.
Le procès de l’ancien élu en Ardèche s’est clôturé jeudi 30 novembre. Il saura, le 17 janvier 2024, s’il doit démissionner du gouvernement. Le Premier ministre, Elisabeth Borne, lui a déjà témoigné sa confiance. Mais lorsqu’elle a été interrogée sur le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, relaxé mercredi, elle a rappelé que la démission s’appliquait, comme “principe général”, en cas de condamnation, aussi minime soit-elle.
En décembre 2021, à la fin du premier quinquennat Macron, Alain Griset, ministre délégué aux PME, a démissionné après avoir été condamné, pour déclaration incomplète ou mensongère de sa situation patrimoniale, à six mois de prison avec sursis et une peine d'inéligibilité de trois ans avec sursis.
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