De Gorbatchev à Gorby, l’homme de l’ouverture un peu malgré lui
CHRONIQUE — Le monde pleure la mort de Mikhail Gorbatchev, décédé dans la nuit de mardi à mercredi, à l’âge de 91 ans. Ce pur produit de l’appareil soviétique, aguerri à survivre à tous les pièges de la nomenklatura par Youri Andropov, originaire de Stavropol comme lui, nommé Secrétaire Général du parti en 1985, était devenu « Gorby ». Idole malgré lui, avec rang de pop star en Occident, il changera littéralement la face du monde, en lançant sa restructuration. La perestroïka sera souvent interprétée dans le reste du monde par le mot réforme.
Pourtant, Gorbatchev n’était pas un réformiste. Juste la personne qui hérite d’une Union Soviétique en état de faillite systémique. Les ressources minières s’oxydaient sur les quais, les usines ne tournaient plus, la rupture de stocks de biens de première nécessité était devenue la norme, le marché noir, une forme de capitalisme sauvage fleurissait grâce au dysfonctionnement sui generis de l’économie planifiée, les agents à l’étranger n’étaient plus payés, les publications amies dans le monde pas davantage, le retrait de l’Afghanistan moins dramatique que celui de Joe Biden restait tout de même une débâcle. En bref, les violonistes étaient sur le point de couler avec le Titanic, la propagande ne suffisant plus à soutenir les apparences. Dans ce contexte, la perestroïka visait un programme littéralement économique, bien avant d’une quelconque ouverture libérale. Le seul réformateur que l’URSS ait connu restera Nikita Kroutchev, qui osera au travers de son rapport au cours du XXᵉ congrès du parti, exposer les crimes du communisme, engager un processus de déstalinisation, dénoncer le culte de la personne et engager une politique de dégel avec le reste du monde.
La chance de Gorbatchev sera d’avoir pour interlocuteur un conservateur vieille école, Ronald Reagan qui sait se saisir la chance. Auteur de l’expression, « l’Union Soviétique, empire du mal », Reagan évitera d’abonder dans un discours d’humiliation. Le premier geste sera la suspension, toute relative, de la course à l’armement nucléaire. Non pas tant par conviction sur la paix dans le monde, mais parce que Gorbatchev a besoin d’un répit économique et la politique de dissuasion exige des efforts que le système ne peut plus financer. En 1987, un accord est signé pour l’élimination des missiles de moyenne portée (Intermediate-Range nuclear foces). L’image des deux présidents, assis coude à coude, souriant, génère de grands espoirs. Mais cette politique de relation publique axée sur le désarmement n’ira pas jusqu’à aider l’Union Soviétique économiquement. La main tendue de « Gorby », à Houston et à Londres au cours des sommets du G7, se solde par des fins de non-recevoir. L’idée est d’en finir avec l’URSS, non pas de la mettre sous perfusion. Ces humiliations condamnent à jamais la carrière politique de Gorby dans son pays, lorsqu’il tentera de se recycler dans une opposition socio démocrate à partir de 2007.
Il y aura au cours de ces années 80, un moment culturel néo punk, propice à l’ouverture et l’empathie. Sting compose sa chanson, « Russians », une critique ouverte sur l’unipolarité de la guerre froide et de démonisation des Russes : « Les Russes aussi aiment leurs enfants ». Au cinéma, des Russes gentils apparaissent. Ce sera d’ailleurs la première et dernière fenêtre d’empathie disposant d’un relais culturel dans la culture de masse d’histoire contemporaine occidentale. Gorbatchev surfe sur ce capital de sympathie, qui n’a rien à voir avec les usines d’influence de l’ex-URSS.
Il dispose pour lui d’une vie privée en rupture avec les standards de la gérontocratie soviétique. Sa femme Raïsa est charmante, souriante. Elle acquiert son propre protagonisme. Times lui consacre sa Une. Elle représente la femme soviétique, souvent dissimulée, harassée par le travail. Les voyages officiels deviennent des voyages de couples. Ces rencontres au sommet avec épouse constituent une violation du carcan moral communiste.
Mais le véritable protagonisme, celui qui change le monde, est lorsqu’il décide de ne pas intervenir face à la chute, une par une, des Républiques du pacte de Varsovie en 1989. Le rideau de fer disparaît, et du côté de Moscou, personne ne pipe mot. La discipline du parti joue en faveur de ces révolutions. La répression qui s’appliquera sera le fruit des apparatchiks locaux. Son autre grand geste est lorsqu’il donne sa démission le 25 décembre du parti, sans bain de sang, ouvrant sur la dissolution définitive de l’URSS. Gorbatchev aura aussi mis au goût du jour la notion de glasnost (ou transparence), concept qui vient rompre avec la corruption endémique, qui mine toutes les structures de l’URSS.
C’est une curieuse boucle de l’histoire que Gorbatchev se soit éteint au paroxysme du retour de la guerre froide. Avec l’avènement d’une Russie économiquement saine, avec une dette épurée, une classe moyenne urbaine plus démocratique, qui voyage, ce à partir du premier mandat de Vladimir de Poutine et le retour d’un sentiment de fierté russe, l’Occident revient au discours de confrontation. Non plus sur le mode de la dénonciation de l’univers concentrationnaire soviétique, mais sur celui d’un présumé impérialisme russe. L’arrivée de Barack Obama et ses « printemps arabes » marque le retour sur la scène internationale de la Russie comme gendarme international, ou en tous les cas comme alter ego des États-Unis, dans une politique perçue par le camp occidental comme de soutien aux dictatures ou, à l’opposé, comme un garant en matière de réduction des risques face aux aventures américaines. À partir de 2014 et l’instrumentalisation de l’Ukraine comme guerre de proxy, l’escalade de la guerre froide ne fera qu’augmenter.
L’étoile de Gorbatchev s’éteint avant lui. En Russie, il est perçu comme un rare démocrate arrivé trop tôt, voire comme un ingénu, si ce n’est pire comme un traître. Les funérailles d’État lui seront d’ailleurs refusées. En Occident, il devient aussi encombrant, malgré les tweets d’adulation. La damnation russe impose de ranger aux vestiges du passé toute remémoration d’un moment d’ouverture, qui aurait pu favoriser un monde multipolaire. Il aurait terminé par être extrêmement encombrant par ceux qui l’encensent aujourd’hui.
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