L’Education nécrosée
TRIBUNE - La nécrose de l’Education nationale offre de nos jours assez de manifestations éloquentes (baisse de niveau dans les enquêtes internationales que les pédants les plus fanatiques n’entreprennent plus guère de contester, fuites dans l’enseignement privé des meilleurs élèves, impossibilité de recruter assez de professeurs afin de combler les départs, etc.) pour que le peuple français ne soit plus trompé par les bonimenteurs de l’hôtel de Rochechouart. Hélas ! pour beaucoup de familles, ou ce qu’il en reste, la corruption de ce qui prétendait éduquer leurs enfants n’inspire qu’une vague déception fataliste. C’est que l’Etat leur avait offert un marché de dupe. En proposant d’accomplir ce qui ne se trouvait pas à sa portée, ce dernier n’est parvenu qu’à ruiner ce dont il se chargeait assez honnêtement auparavant : l’instruction. Beaucoup de parents s’accommodaient assez hypocritement que l’Etat fît ce à quoi ils avaient renoncé ; partant, son échec ne les saurait révolter. On n’ose pas se révolter contre son complice, de crainte que ce dernier ne nous renvoie la culpabilité (ce dont l’Etat s’acquitte assez bien lorsqu’il se croit menacé). La crise de l’éducation (dans les familles et dans la société) est l’un des éléments qui rendent insolubles la crise de l’instruction (à l’école).
Parler de nécrose à l’Education nationale ne relève pas de l’outrance. Que les séides des doctrines post-positivistes considèrent comme il est naturel que les parasites pullulent sur les nécroses avant de s’indigner. Donnons quelques exemples saillants de ce parasitisme natus e pruritu scientiæ.
On trouve en premier lieu l’INSPE (ESPE, IUFM) : Institut national supérieur du professorat et de l’éducation. Cet institut sert de refuge à des intrigants qui, pour la plupart, fatigués d’enseigner au collège ou au lycée (et on les peut comprendre), préfèrent dispenser des conseils avisés et dogmatiques aux malheureux stagiaires. Il fut un temps où le tuteur, qui professait à temps plein dans l’établissement du stagiaire, suffisait à sa formation. Pourquoi diable entretenir encore ces formateurs rentiers, au mieux inutiles, souvent nuisibles, quand il manque tant de professeurs au primaire et au secondaire ? Nous en sommes revenus aux prébendes et aux bénéfices pour ceux-là mêmes qui se croient les apôtres du Progrès, à ceci près que la théologie est une affaire des plus sérieuse, alors que la pédagogie n’est qu’une farce scientiste conçue dans le but de promouvoir les médiocres (mais c’est un autre problème, qu’il ne convient pas de traiter ici).
On trouve en deuxième lieu la multiplication des orthophonistes. Ici, la maladie ne fait point le médecin ; c’est l’inverse. Et l’Education nationale participe largement de ce réseau frauduleux de médecins ad hoc. De deux manières. D’abord en apprenant aux enfants à mal lire. Il n’y a jamais eu tant de dyslexiques, de dysorthographiques et de dysgraphiques que depuis l’emploi de méthodes brumeuses au CP (semi-globale) et l’oubli, pour ne pas dire le mépris, de l’exercice et de la rigueur dans la pratique. Ensuite en mettant en place des privilèges (PAP, tiers-temps) pour les élèves bénéficiant d’une reconnaissance du médecin et de l’orthophoniste. Ce n’est pas raison que des élèves doués en dictée jouissent d’un PAP. Pour en arriver là, il aura fallu que les orthophonistes prospérassent bien au-delà des cas très-particuliers qui méritent leurs soins.
On trouve en troisième lieu l’industrie de l’édition des manuels scolaires. On n’a jamais compté tant de manuels. Il y a au moins deux causes à cette inflation suspecte. D’abord les réformes permanentes des programmes, qui imposent un renouvellement fréquent des stocks : une bonne affaire pour les éditeurs, puisque l’Education nationale est un marché conséquent (qui sait que les professeurs reçoivent régulièrement sur leur adresse académique les innombrables promotions des maisons d’édition ?). Ensuite le peu d’instruction des plus jeunes professeurs, qui, privés d’une bonne partie de l’enseignement universitaire en Master, se ruent sur des ressources pédagogiques assez libérales pour leur livrer des séquences et des séances clefs en main.
Mais on en trouve encore tant d’autres ! N’y a-t-il pas du parasitisme idéologique dans les ouvrages contemporains qu’introduisent les documentalistes dans les CDI ? Qu’est-ce que le Goncourt des lycéens, sinon un bouillon de culture ? Que sont les associations invitées à pontifier dans les établissements, sinon des abcès méphitiques ? Que sont les sociétés qui fournissent les outils numériques aux classes et parfois aux élèves, sinon les gaz venimeux dispersés dans les vésicules ?
En vérité, l’on ne peut plus soigner cette gangrène à l’aide d’aucun onguent. Il n’est pas même certain qu’on en vienne à bout par l’amputation des membres les plus corrompus. Le plus sage serait encore de précipiter la mort de ce corps immonde en conservant bien à l’esprit les causes du mal qui l’a condamné.
Jérémie Delsart est professeur titulaire de lettres au lycée dans l'académie de Lyon. Auteur de Le Miracle de Théophile aux éditions du Cherche-Midi qu'il présente comme une réécriture de Faust dans l'Éducation nationale.
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