Salaire : L'odieuse marchandisation des flux migratoires
TRIBUNE - Comme le rappelle notre ami Claude Berger, il est impossible de comprendre la crise migratoire sans tenir compte du système du salariat. Depuis les accords de Grenelle en 1968 où les syndicats ont mis de côté la problématique du salariat pour se vautrer dans celle du pouvoir d’achat, le mot “salariat” semble venu d’une légende urbaine. Selon la narration spectaculaire de l’auto-entreprise et de la start-up, parler “salaire” c’est désuet, parler “gains, primes et heures sup’”c’est moderne. Cette omerta est une manœuvre idéologique qui a pour but de passer sous silence que les plus gros profits se font sur les salaires. “Salaire” est juste le nom technique pour désigner la marchandisation des forces de travail mises en concurrence sur le marché. Autrement dit, si vous n’avez pas assez de capital pour survivre, vous devez vendre votre travail. Le travailleur et le chômeur seront dominés d’un côté par ceux qui ont assez de capital pour ne pas devoir se vendre directement, et de l’autre par ceux qui influencent le marché libéral qui dévalorise les forces de travail pour accroître les gains. Nous voilà pris entre le marteau et l’enclume ; le marteau des capitalistes et l’enclume des libéraux. Bien entendu, le capitaliste est un libéral qui influence le marché avec son poids financier, et le libéral est un capitaliste qui vise à obtenir plus de poids financier pour également influencer le marché.
L’humain au minimum
Pour comprendre la logique marchande des flux migratoires, il faut la mettre en parallèle avec la robotisation. On a cru que la robotisation signerait la disparition du travail et donc du salariat. Le réel nous prouve tout le contraire - et pour longtemps encore. L’outil technique a bradé encore plus le travail et le salaire en mettant l’humain en concurrence avec une invention artificielle plus performante. Et pourtant, dans maints domaines, l’humain reste le moins cher. Si tel n’était pas le cas, toutes les mines de terres rares seraient exploitées exclusivement par des robots, eux-mêmes dirigés par des robots, eux-mêmes téléguidés à distance par une poignée d’ingénieurs. Or ce n’est pas le cas. On a cependant toute la technologie pour mettre en place un tel dispositif. En réalité, c’est une autre logique qui est en jeu ; celle du calcul produit/recette. Tout robotiser reviendrait plus cher que baisser le salaire humain au minimum. L’humain au minimum, cela signifie assurer le minimum vital pour avoir un travail maximum qui rapporte. Assurer de quoi manger (mal), dormir (peu), se loger (dans un petit espace à proximité du lieu de travail), se déplacer (le moins possible ou à pas cher), se reproduire (si besoin) et obéir (le mieux et le plus vite possible). Ça ne vous rappelle rien ? Si bien sûr : l’esclavage ! Une nuance (et encore, ça dépend des époques) : l’esclave n’a pas de salaire. Le salarié obtient un salaire pour avoir une vie d’esclave avec cette illusion nécessaire depuis la révolution, que le salaire lui donne la liberté.
C’est là que les flux migratoires viennent compléter la dérégulation du salariat entamée avec la robotisation. Dans ce monde capitaliste, vous pensez bien qu’un immigré n’est pas vu comme une personne passionnante qui viendrait partager sa culture, son expérience, sa personnalité, pour enrichir la communauté humaine. L’immigré ne fait pas exception à la règle : il est une marchandise. Mettez-vous à la place d’un entrepreneur. Ce dernier a besoin d’une main-d’œuvre en pleine forme ou compétente, qui soit malléable, pas chère et qui lui permette de payer le moins de taxes possibles. Concrètement : faire passer les cadres supérieurs, les ingénieurs, les professionnels utiles, puis les jeunes hommes et, en parallèle, assurer les commerces illégaux des prostitutions, des clandestins et le passage d’armes et de drogues.
Expansion de l’esclavage
Coup double. Pays importateurs : briser les systèmes de mutualisation issus des luttes des salariés. Pays exportateurs : empêcher la structuration de telles luttes. Le capital se réserve le remplacement d'une main-d’œuvre vieillissante et/ou récalcitrante, ainsi que l’exploitation des matières premières humaines et naturelles, sans avoir à craindre une organisation salariale locale. La conclusion - aussi indépassable que brutale - est : concentration des richesses, expansion de l’esclavage. C’est ce qu’on appelle une politique libérale ou néolibérale, traditionnellement dite de droite.
Il ne reste plus qu’à masquer ce système d’objectivation (réification) avec de belles intentions œcuméniques. C’est là que la gauche intervient. On tait tout de la dynamique marchande pour montrer les horreurs que vivent les migrants, jouer sur la culpabilité du citoyen censé accueillir, faire rêver les belles âmes d’un monde égalitaire et métissé. La rhétorique élaborée par le politicien et son banquier s’adresse ainsi aux Gilets jaunes : "Eh mon vieux, toi tu ne bouffes pas depuis un mois, eux ça fait trois. Et si tu leur laissais ta maison, ce serait chic.” Ainsi à l’immigré : “Regarde là-bas, tout cet argent qui ruisselle. Va tenter ta chance. Tu risques ta vie, mais un sur mille réussira. Ce sera peut-être toi.” Voici le consensus politique : ne rien dire sur le fait que les indigènes ne sont pas prêts à recevoir des personnes qui apportent encore plus d’insécurité salariale, donc sociales et culturelles, et que les migrants sont victimes d’une énième politique de hold-up de matières premières humaines et naturelles organisé par les multinationales. Ces flux sont essentiellement favorisés par deux phénomènes : la guerre et la misère (et non le climat). Dans ces conditions, on peut dire que la politique d’immigration suit, ni plus ni moins, le programme d’un mariage forcé.
La gauche moralisatrice et la droite libérale s’embrassent dans une apothéose capitale où des hommes, des femmes et des enfants se retrouvent catapultés dans l’horreur soudaine et durable pour les migrants, ou embourbés dans l’usure à petit feu pour les indigènes. Pour les politiciens et les banquiers, la jouissance devient sublime quand ces mêmes hommes, femmes et enfants se battent entre eux pour des miettes à coup d’arguments identitaires, moraux, religieux et philosophiques, et à coups de machettes, de battes de base-ball et de Kalachnikov. On connait la suite implacable de ce trauma entretenu : détournement de ces montées d’adrénaline vers les urnes avec dénouement calculé vers le fascisme de milices et/ou d’État.
C’est seulement à partir de cette base critique du système odieux de l’objectivation marchande (salariat) qu’il est possible d’imaginer des flux migratoires qui ne soient pas soumis aux diktats du capital et des multinationales. Il s’agit de s’extirper de l’emprise de cette idéologie mortifère pour renouer avec la magie des vraies rencontres sans préjugé ni réaction. Cette prise de conscience et cet effort vers un autre mode de vie concernent aussi bien les pays dits “pauvres”que ceux dits “riches”, aussi bien les esprits que les corps.
Tristan Edelman est essayiste, artiste-chorégraphe et énergéticien. Auteur de Civilisation du mal-être, en finir avec le capitalisme (sorti en juin 2023) et Les Indomptables, tous deux publiés au Studio Talma. Pour vous faire une idée de ses différentes activités : www.tristanedelman-khoroliste.com
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