La dictature du "camp du bien"

Auteur(s)
Pierre Lécot, pour FranceSoir
Publié le 12 mars 2022 - 16:40
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justice
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Les faits, vraiment ?
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TRIBUNE - Le 18 février, le journaliste William Audureau, des Décodeurs, a sorti un article « Sur LinkedIn, la désinformation en toute tranquillité » pour dénoncer la trop forte liberté d’expression sévissant sur cette plateforme. Il se plaint que LinkedIn « ne cherche pas à administrer la vérité », comme l’a rappelé la directrice générale de LinkedIn France à la commission Bronner. La vie est en effet assez simple pour tous ces gens. Ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sont des « désinformateurs » ou des « complotistes ». Il leur paraît donc tout à fait normal de faire taire toute voix qui ne serait pas dans leur camp, celui du « camp du bien ». Depuis qu’Emmanuel Macron a déclaré « nous sommes en guerre », on ne peut que constater la création de ce camp (ou sa sortie du bois) et sa volonté d’élimination des autres.

Les fact-checkers, ça ose tout

C’est ainsi que le 4 février, William Audureau a pris contact avec moi parce qu’il « pensait me mentionner » dans le cadre « d’un article portant sur la désinformation sur LinkedIn ». Donc très courtoisement, un journaliste me contacte pour me prévenir qu’il a envie de me ch... dans les bottes, et qu’il aimerait que je les lui amène sur un plateau d’argent. À ce stade, on réalise que ces individus sont complètement perchés. Ils sont persuadés que ceux qui ne pensent pas comme eux se considèrent eux-mêmes comme des désinformateurs faisant partie du camp du mal.

Cependant, curieux de la tournure des évènements, mais surtout conscient qu’un silence ne serait interprété que comme un assentiment, je lui ai répondu que je connaissais son travail, qu’il pouvait me poser les questions qu’il souhaitait et que je répondrai au mieux. Je l’ai toutefois prévenu que j'ai eu une très mauvaise expérience avec son collègue Luc Peillon (CheckNews) qui m’a sollicité pour ensuite publier un article se résumant à une attaque ad personam et sans prendre en compte aucune de mes réponses à ses questions. Son article comporte d'ailleurs plusieurs erreurs de fond qui n'ont pas été corrigées, mais auxquelles j’ai répondu dans un autre article.

Voir aussi : L’arnaque des "fact-checkers" : Pierre de "Décoder l'éco" répond aux attaques

Juge, partie, et décontracté

D’ailleurs, notre décodeur du Monde précise que « plusieurs de mes analyses ont fait l'objet d'articles de vérification contestant leur précision ». Il serait toutefois injuste de n’incriminer que le journal Libération dans cette façon de procéder, avec l’impossibilité d’obtenir des droits de réponses : Le Monde n’est pas à son coup d’essai contre mes travaux, ils avaient dès janvier 2021 écrit un article à charge contre mes travaux de comparaison entre la mortalité d’une vague Covid et celle d’une vague de grippe. J’y avais répondu en vidéo.

Il me demande alors mon domaine exact d'expertise en matière de statistiques et surtout pourquoi je « publie sur LinkedIn, réseau professionnel qu'on n'aurait pas forcément attendu comme théâtre de débats sur la politique sanitaire ».

Puisque seule une phrase de ma réponse a finalement été publié, voici ma réponse complète à ses questions :

Bonjour William,

Dans votre paragraphe vous indiquez directement vouloir faire des attaques ad hominem. Ce comportement est complètement incompréhensible pour moi. Je pensais que votre métier était de faire réfléchir les gens en animant le débat et vous vous vantez de vouloir au contraire le clore pour défendre votre paroisse. Êtes-vous journaliste ou VRP ? Si vous défendez un camp, il serait temps de l'assumer, de rendre votre carte de presse et de prendre celle du parti qui vous correspond.

Vous parlez de désinformation et me demandez mes titres. Quels sont les vôtres pour vous placer en tant qu'arbitre de la vérité ? La science c'est le débat contradictoire. Les statistiques ne sont pas des faits, ni la vérité, mais l'exact reflet de ce que l'on a essayé de compter. On doit donc les remettre en question en permanence. Cela se fait par le débat contradictoire.

À ce stade, je n'ai même pas encore parlé du débat sur l'analyse des résultats. Il faut encore débattre de la méthode d'analyse etc.

Je dis que la science c'est le débat contradictoire, mais il y a plus grave : la démocratie c'est le débat contradictoire, votre comportement adoube la déviance totalitaire du pouvoir au lieu de la combattre.

Mon domaine d'expertise est simple : les statistiques. École d'ingénieur + 15 ans de métier.

J'ai séparé ma vie professionnelle de celle de mes articles et vidéos que je réalise bénévolement sur mon temps libre. Jamais je n'aurais pensé que les titres étaient plus importants que la qualité de l'analyse. Quelle tristesse de découvrir le monde de l'entre-soi où toujours les mêmes personnages sont érigés en tant que détenteur de la vérité unique et dont seul le nombre de leurs casseroles dépasse celui de leurs conflits d'intérêt.

Enfin pourquoi LinkedIn me demandez-vous, laissez-moi vous répondre, pourquoi pas ?

En plus de vouloir supprimer le droit d'exprimer un point de vue différent du vôtre, vous voudriez fermer les espaces de débat ?

Je reçois sur ce réseau plein de messages m'expliquant comment mieux consommer, quoi faire pour les enfants, pour la planète. Toutes ces injonctions politiques seraient meilleures que le débat sur la crise actuelle et toutes ces implications sur nos vies personnelles et professionnelles ?

LinkedIn est un réseau. Cela permet justement le débat. C'est en plus un réseau professionnel avec beaucoup d'ingénieurs, de chercheurs, de personnes qui sont capables d'analyser des chiffres. C'est une richesse.

C'est également un réseau de managers. Les managers sont en première ligne pour faire appliquer les décisions du gouvernement. Il est évident qu'il est nécessaire pour eux de discuter de la situation. En tant que manager, je peux témoigner de la difficulté de mettre en application des règles absurdes et néfastes. Les managers doivent rentrer dans le débat. Ils sont responsables de la santé de leur agent. La santé ça n'est pas qu'un virus et sa peur, cela comporte aussi le bien-être psychologique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça ne va pas terrible...

Bref, le débat est nécessaire, partout. Si des arbitres peuvent se proposer, c'est pour permettre à chacun de s'exprimer dans le respect des autres, et pas dans le jugement a priori ou dans la présélection d'un camp.

Il serait grand temps de revenir à une situation plus saine. Vouloir supprimer l'opposition n'a jamais rien amené de bon.

À cette réponse, William Audureau m’a répondu que « nous ne serons pas d'accord sur le fond » et que « le fact-checking n'a aucune prétention à interdire le contradictoire, dont il relève lui-même ».

C’est quand même assez gonflé comme phrase, lorsque je regarde les vignettes des articles que son groupe a écrits contre mes travaux :

On y observe sobrement la vignette de ma vidéo avec la mention Faux. Voilà ce qui selon ce décodeur semble inviter au débat contradictoire. C’est probablement dans cet esprit de débat aussi que les fact-checkers ne publient jamais le moindre droit de réponse.

La première victime de cette guerre, c’est la déontologie

Le journal Le Monde, dont William Audureau dépend, diffuse sa charte d’éthique et de déontologie. Cette dernière reprend les dix devoirs de la charte de Munich. Nous devrions les passer en revue pour savoir s’ils sont toujours respectés. Voici pour mémoire les trois premiers :

1/ Respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité

Lorsqu’un journal applique la mention « faux » sur un article étayé, sans apporter d’argument contradictoire, mais simplement parce que cet article contredit un parti pris éditorial, est-ce respecter la vérité ? Nous pourrons évoquer les propos de Céline Pigalle Directrice de la rédaction de BFMTV dans son intervention au colloque « raconter la science en temps de crise » : « […] Lorsqu’on nous dit qu’on est guerre et dans un esprit de cohésion générale de la société, vous êtes rappelé au fait qu’il ne faut pas non plus trop troubler les gens. Et même si on a tenté au maximum de s’extraire de tout cela, il ne faut pas trop aller à rebours de la parole officielle pour ne pas fragiliser un consensus social […] »

 

2/ Défendre la liberté de l'information, du commentaire et de la critique

Lorsque la seule manière d’obtenir un droit de réponse à un article erroné est de passer en justice, défend-on vraiment la liberté de l’information ? De la critique ?

3/ Publier seulement les informations dont l'origine est connue ou les accompagner, si c'est nécessaire, des réserves qui s'imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et documents;

Lorsqu’une fois de plus, vous extrayez une phrase d’une page complète d’explications, de façon à pouvoir l’intégrer à votre thèse, pensez-vous ne rien altérer ?

Nous confronterons également le travail que je réalise depuis deux ans aux principes déontologiques des statisticiens. Vous pouvez en trouver plusieurs articles écrits par René Padieu, en particulier dans le Journal de la société française de statistique :

L'indépendance des statisticiens envers leurs clients ou employeurs et envers les pouvoirs politiques sont les deux aspects les plus notoires de la déontologie statistique. Cs deux aspects les plus notoires de la déontologie statistique.

Nous devrions questionner l’indépendance lorsque des journaux comme le vôtre considèrent comme parole d’Évangile toute conclusion écrite par les statisticiens qui sont sous l’autorité du ministre de la Santé, et réfutent d’un revers de main celle des statisticiens indépendants dont je fais partie.

Dans le numéro Ethique professionnelle de Sociétés contemporaines, René Padieu nous rappelle les principes moins connus de la déontologie du sens : pour compter un phénomène, le statisticien a besoin de définir les concepts pour décider ce qu’il va commencer à compter. Par l’invention de ces concepts (par exemple les catégories socioprofessionnelles), il donne une existence nouvelle à un phénomène qui était jusqu’alors non observé. Il lui donne une importance et influe les décisions qui seront prises par cette observation. Le début du comptage statistique des cas Covid a entraîné la mise en œuvre de mesures inédites considérées a priori comme adaptées et fiables, sans aucun regard sur le passé ni aucune critique du comptage. C’est comme si au moment de l’invention du thermomètre, on avait conclu que la température venait d’apparaître sur terre.

En conclusion, cher William Audureau, je ne refuse jamais le débat et tout peut se discuter. Puisque vous prétendez également être dans cet état d’esprit, qu’attendons-nous ? Débattons. C’est bien de cette manière que nous ferons avancer les choses. Nous ne débattrons pas de techniques statistiques, puisque c’est mon métier et pas le vôtre. Nous débattrons de déontologie.

 

 

 

 

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