"La loi nationale ne peut aller à l’encontre des dispositions des traités européens"
L'Union européenne a tenu un rôle prépondérant au cours de la crise sanitaire, notamment en matière de commandes de vaccins et d’attribution de leur autorisation de mise sur le marché (AMM). À cette occasion, les Français ont été nombreux à prendre conscience du poids du droit européen dans le processus décisionnel de l'État à l’échelon nationale. Pour en comprendre les ressorts, Olivier Frot, docteur en droit public, explique ici les mécanismes qui sous-tendent la liaison entre droit européen et droit national.
TRIBUNE — La hiérarchie des normes juridiques
La caractéristique de l’État de droit se traduit par la hiérarchie des normes juridiques, schématisée ici :
On peut constater sur ce schéma que la norme suprême est la Constitution, et immédiatement en dessous, les traités internationaux ratifiés par la France. Concernant l’évolution du droit, le parallélisme des formes est la règle, à savoir que seule la loi peut défaire ce qu’elle a fait, que le règlement lui est subordonné et ne peut intervenir dans le domaine de la loi.
La Constitution définit dans son article 34 ce qui relève du domaine de la loi et dans son article 37, du domaine réglementaire (décrets et arrêtés).
La place du droit européen
1. Les traités
Le corpus de droit européen est abondant et complexe. On distinguera ce qui relève exclusivement de l’Union européenne et ce qui revient au Conseil de l’Europe, qui sont deux entités distinctes, mais souvent confondues par le grand public. Pour ce dernier, il s’agit de la Convention européenne des droits de l’homme.
Côté Union européenne, on relève tout d’abord le traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), à intégrer dans ce corpus. En l’espèce, il s’agit actuellement du traité de Lisbonne, qui englobe aussi tous ceux qui l’ont précédé (Nice, Maastricht, etc.) À ce niveau se situe aussi la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
Ces trois textes sont des traités qui ont été ratifiés par la France. En application des dispositions de l’article 55 de la Constitution de 1958, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».
Par conséquent, la loi nationale ne peut aller à l’encontre des dispositions de ces traités.
2. Les directives et règlements
En outre, l’Union européenne publie des directives et des règlements, afin de mettre en œuvre concrètement les points décidés dans les traités, dans les différents domaines concernés délégués par les États membres à l’Union. Les directives sont rédigées à l’initiative de la Commission, discutées et votées par le Conseil des ministres européens et le Parlement européen qui vote leur adoption. Une fois votées, les directives doivent être transposées dans les normes nationales des États membres avant la fin d’un délai décidé avec la directive (généralement de 18 mois à deux ans). La transposition sera effectuée au moyen de lois et/ou de règlements, selon le domaine traité par les directives.
Par exemple, concernant la commande publique, nous avons quatre directives (ici, ici, ici, et ici), transposées en droit français dans le Code de la commande publique entré en vigueur en 2019, comportant une partie législative (articles commençant par un L) et une partie réglementaire (articles commençant par un R).
Les règlements européens sont des documents considérés comme techniques. Préparés par la Commission, ils sont d’application immédiate et ne nécessitent pas de transposition en droit interne pour leur exécution. Pour reprendre l’exemple de la commande publique, le contenu des avis de publicité invitant les entreprises à soumissionner à un marché public, fait l’objet d’un règlement. Dans l’actualité Covid, il importe de souligner l’existence de règlements, notamment celui concernant le régime des autorisations conditionnelles de mise sur le marché des médicaments appelés vaccins.
Quelle est la place des directives et règlements dans le droit interne ? Dans deux grands arrêts (ici et là), le Conseil d’État a jugé en 1989 que les directives européennes sont une norme équivalente aux traités ratifiés et qu’ainsi, une loi postérieure à la date d’entrée en vigueur d’une directive ne peut aller à l’encontre des dispositions de celle-ci et qu’une loi antérieure mais contraire, doit être changée. La Cour de cassation s’était prononcée plus tôt que le Conseil d’État en acceptant de contrôler la compatibilité d’une loi postérieure à un traité.
3. La jurisprudence
La jurisprudence « européenne » dispose d’une place importante dans ce dispositif. Le rôle du juge est de trancher un litige en regard des textes, ce qui revient à interpréter des textes et conduit souvent à des constructions « prétoriennes », c’est-à-dire que le juge va fabriquer une règle de droit à l’occasion d’un jugement.
Les juridictions sont différentes, selon qu’il s’agisse de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe.
Pour l’Union européenne, la juridiction compétente est la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) située au Luxembourg. Celle-ci a pour fonction d’interpréter la loi européenne afin de s’assurer qu’elle soit appliquée de la même façon dans tous les États membres et règle les conflits entre les gouvernements des États membres et les institutions européennes. La Cour dispose d’un Tribunal de première instance (TP1) compétent pour juger de certaines instances.
Pour le Conseil de l’Europe, le juge compétent est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), située à Strasbourg. Cette juridiction internationale est chargée de « veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les 47 États qui l’ont ratifiée ».
Conclusion
Le droit européen est par nature supérieur au droit national et les autorités législatives et réglementaires n’ont pas la possibilité, ayant ratifié ces traités, de s’en affranchir. De même, les décisions juridictionnelles des entités CJUE ou CEDH sont opposables dans des conflits juridictionnels internes.
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