La vie moderne : mort de la paysannerie
TRIBUNE - Ce matin, je pleure. Je pleure pour cette famille paysanne d’Ariège endeuillée jusqu’à la moelle. Je pleure sur leur sort, leur don.
De quelle infinie dignité ils ont fait preuve ! Quelle infinie tristesse.
La vie moderne, c’est celle des paysans si bien décrite par Raymond Depardon dans son documentaire du même nom il y a seize ans. Le photographe et réalisateur nous montrait alors une vie paysanne invisible, rude et pourtant si humaine dont nous sommes les héritiers. Accompagnée par la musique de l’ariégeois Gabriel Fauré, La vie moderne portait avec une douceur humble les difficultés et les espoirs de la paysannerie.
Que pèse la vie d’une famille paysanne à l’heure de l’Union européenne, des accords de libre-échange ?
Cette même paysannerie crie actuellement sa douleur et son désespoir. Elle ne trouve plus sa place dans ce monde taillé pour les startups et la gouvernance mondiale. Que pèse la modeste vie d’une famille paysanne à l’heure de l’Union européenne, des accords de libre-échange et des flux mondiaux continus ? Rien.
L’accident dont a été victime cette famille paysanne d’Ariège, les Sonac, résume à lui seul le monde dans lequel nous sommes plongés.
Depuis la chute du mur de Berlin, la mondialisation des échanges et les grandes institutions internationales ont dissous progressivement les Etats-nations comme lieux de solidarités au sein d’une communauté de destin. Cette dissolution progressive a été rendue possible par le soutien d’une bourgeoisie de masse occidentale qui a validé par son vote le déploiement de l’Union européenne et l’arrivée au pouvoir de forces politiques favorables à la mondialisation et au néolibéralisme. En France, cette bourgeoisie de masse a voté depuis 2007 pour Sarkozy, Royal, Hollande et Macron...
Néolibéralisme lippmannien
La seconde mondialisation des échanges (la première date de la fin du XIXe siècle), s’opère dans le cadre d’un néolibéralisme théorisé dès les années 1920 et officialisé lors du colloque Walter Lippmann de l’été 1938, à Paris. Ce néolibéralisme lippmannien insiste sur l’inexorable réalité d’une mondialisation capitaliste dont il faut maîtriser le développement par une gouvernance internationale pilotée par des élites et des experts, très au fait de la complexité de ce nouveau monde. La démocratie, les sphères de communautés et de solidarités s’éloignent des peuples, les destins sont broyés dans un tout global. Les flux de personnes et des biens deviennent des variables d’ajustement à l’échelle européenne ou mondiale...
Dans ces conditions, la paysannerie locale est percutée de plein fouet par la concurrence déloyale du bout du monde ou par l’emploi d’une main-d’œuvre immigrée peu coûteuse. Bien plus tragiquement encore, une voiture conduit par des demandeurs d’asile sous OQTF ôte la vie de plusieurs membres d’une famille paysanne venue défendre son droit de vivre dignement du fruit de son travail. Cet accident est hélas la conséquence, ô combien symbolique et douloureuse, de la réalité du programme néolibéral mondial dans lequel les élites et les experts, soutenus par la bourgeoisie de masse occidentale, souhaitent nous entraîner.
La mort d’Alexandra Sonac et de sa fille ne doit pas tomber dans l’oubli.
Pascal Tripier-Constantin est professeur d'éducation physique et sportive, nutritionniste et diplômé de l'IEP d'Aix-en-Provence.
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