Un deuxième tour "Bloc contre Bloc"

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Pascal Tripier-Constantin, pour FranceSoir
Publié le 15 avril 2022 - 18:03
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Bloc contre bloc
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Bloc élitaire contre bloc populaire...
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TRIBUNE — Les résultats du premier tour des élections présidentielles ont confirmé la reconfiguration du paysage politique français. Une polarisation nette se dessine selon deux grands blocs : un bloc élitaire minoritaire et un bloc populaire majoritaire. L’addition des scores donne la répartition suivante : le bloc élitaire rassemble 39 % des voix, contre 61 % pour le bloc populaire. Si le bloc élitaire contient des candidats politico-compatibles (E. Macron, Y. Jadot, V. Pécresse, A. Hidalgo), il n’en est pas de même pour le bloc populaire (M. Le Pen, J-L. Mélenchon, E. Zemmour, J. Lassalle, F. Roussel, N. Dupont-Aignan) où des forces contraires ne permettent pas la constitution d’un bloc solide.

Le paysage politique actuel s’articule autour d’un axe central polarisé par le bloc élitaire et le bloc populaire, bien décrit par les économistes Stefano Palombarini et Bruno Amable dans leur livre, L’illusion du bloc bourgeois (éditions Raisons d'Agir) publié quelques mois avant l’élection d’Emmanuel Macron. Le sondeur Jérôme Sainte-Marie avait lui aussi analysé cette tension politique dans Bloc contre Bloc (éditions du Cerf) publié peu de temps après l’arrivée du macronisme à la tête de l’État. En 2017, le bloc bourgeois et élitaire accède aux plus hautes sphères de décision en France. Ce bloc est constitué des couches les plus riches de la société en y intégrant les cadres supérieurs et une partie significative de retraités. Jérôme Sainte-Marie fait alors l’hypothèse que le bloc populaire est en train de se constituer en force politique décisive. Selon ses propos, l’élection de Marine Le Pen n’est plus à exclure après cinq ans de macronisme.

Au lendemain du premier tour des élections présidentielles, nous pouvons situer les candidats dans un champ de forces multiples. L’axe des blocs est façonné par deux autres tensions selon quatre pôles : Union européenne-Mondialisation, Souverainisme-Nation, Néolibéralisme-Appareil d’État, Libéralisme-Libertés fondamentales.

L’expression des urnes ce dimanche a donné des enseignements sur la réalité des forces politiques en présence. L’appel clair à faire barrage à « l’extrême droite » déplace de facto ces candidats vers le bloc élitaire macroniste, ce qui les fait sortir du bloc populaire. Le cas Mélenchon mérite qu’on s’y attarde. Lors de son discours d’après premier tour, le candidat de La France Insoumise a répété à plusieurs reprises ne donner aucune voix à Marine Le Pen. Il n’a pas pour autant appelé à voter pour Emmanuel Macron. Cette indécision place son parti dans l’embarras d’un choix cornélien et le situe, ni du côté populaire, ni du côté élitaire. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon se retrouvent devant leur conscience, celle d’abandonner le peuple pour renforcer le bloc bourgeois. Ils savent qu’ils tiennent l’issue de ce deuxième tour, leur responsabilité est engagée.

La nouveauté de ce scrutin réside dans la révélation d’un axe Néolibéralisme-Appareil d’État versus Libéralisme-Libertés fondamentales, bien mis en évidence pendant le mouvement des Gilets Jaunes, la crise sanitaire et l’affaire McKinsey. Restée latente jusqu’ici, cette tension politique travaille en réalité le corps social depuis plusieurs décennies.  Le Pôle « Néolibéralisme-Appareil d’État », un marqueur singulier du macronisme, désigne la transformation occidentale du libéralisme en un nouveau (néo) libéralisme dans le contexte d’un monde de plus en plus ouvert et interdépendant. Ce néolibéralisme s’appuie sur le rôle stratégique et contraignant de l’appareil d’État, ce qui le distingue clairement du libéralisme classique où la place de l’État est réduite. La complexité du monde n’étant pas accessible à tout le monde de la même manière, le néolibéralisme promeut la classe des grands diplômés pour conduire les politiques publiques et orienter l’intérêt général.

Ce néolibéralisme entend donc agir sur les populations pour guider leurs choix, leurs opinions, et ce, en appliquant des techniques d’ingénierie sociale sophistiquées issues des sciences du comportement. Il s’agit de fabriquer le consentement des populations aux politiques décidées dans les sphères de décisions publiques comme privées et c’est par l’utilisation de l’appareil d’État et de l’appareil médiatique que la mise en œuvre est possible. Ce marqueur du macronisme est le fruit d’un long processus commencé dans les années 1920, moment de crise de la Première Mondialisation des échanges. On doit au très influent journaliste américain Walter Lippmann les analyses les plus claires d’une nouvelle démocratie (néo) libérale à construire. Il lui revient la paternité de l’expression « fabrique du consentement (manufacture of consent) » dans son livre publié en 1922, Public Opinion et du mot « néolibéralisme » formulé lors du colloque Lippmann de 1938 à Paris. En réaction, la défense des libertés fondamentales en démocratie comme résurgence d‘un libéralisme fondateur fut revendiquée par une partie de la population dont certains hommes et femmes politiques se font l’écho aujourd’hui. Cette nouvelle tension politique pourrait très bien remettre en cause la solidité du « Front républicain » qui avait placé sur orbite le candidat Macron en 2017 et donner raison aux analyses de Jérôme Sainte-Marie.

Si les forces politiques s’incarnent dans un parti et un candidat, elles se cristallisent autour d’un électorat qui lui fournit sa substantifique moelle. Que disent les électorats d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen d’eux-mêmes ? Emmanuel Macron attire la bourgeoisie des centres-villes et des régions aisées, il séduit les retraités gagnants de la mondialisation, il entend conserver l’ordre établi. Marine Le Pen attire les classes populaires, les travailleurs et les ruraux. Tout les oppose, ce sont deux mondes antagonistes sur un même territoire.

Le réel va-t-il reprendre ses droits dans des élections présidentielles et législatives qui soit conforteront l’ordre établi, soit redonneront toute sa place à des formes de vie plus en phase avec le quotidien des expériences humaines. Depuis les années soixante, l’attribution des places sociales par les rouages d’une méritocratie défaillante a permis à une classe de diplômés de se détacher de leur milieu, de leur communauté de destin. La sélection par le mérite scolaire a donné l’illusion que les gagnants ne devaient leur réussite que par leurs efforts et leurs talents. Cette classe de « méritants » a pu bénéficier des Trente glorieuses et de l’effet multiplicateur de la mondialisation. Elle est aujourd’hui touchée par l’ubris, elle souhaite conserver sa position et poursuivre les promesses d’un progressisme qui les concernent.

L’enjeu est donc de taille et les Français semblent le mesurer. Un sursaut dans les urnes est aujourd’hui plus que probable.


Pascal Tripier-Constantin est professeur d'éducation physique et sportive, nutritionniste et diplômé de l'IEP d'Aix-en-Provence.

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