Référendum de 2005 : l'anniversaire du refus du gouvernement d'écouter son peuple
TRIBUNE - Il y a tout juste seize ans, les Français étaient appelés à voter sur le traité constitutionnel européen. Lors du référendum, ils avaient rejeté la ratification du traité, avec une majorité confortable (55 %). Trois ans plus tard, cependant, une nouvelle version du traité, modifiée à la marge, a été ratifiée en France par le Parlement, alors que les sondages indiquent que 7 Français sur 10 souhaitaient un autre référendum. Symbole de la fracture entre élites politiques et électeurs, le référendum du 29 mai 2005 est aussi le dernier que les Français aient connu.
La ratification du traité par voie parlementaire n’est certainement pas, en soi, un problème français. Hormis l’Irlande, aucun pays de l’Union n’a eu recours au référendum pour ratifier le traité de Lisbonne. Le courroux français, partagé par les Hollandais, résidait plutôt dans le changement de procédure employée.
Est-ce illégal d’ignorer ainsi le résultat d’un référendum ? Non. Tout cela est parfaitement compatible avec le texte constitutionnel, où les décisions importantes sont ratifiées par référendum, mais avec une possibilité, pour le président, de les soumettre au Parlement. Il s’agit du fameux alinéa 3 de l’article 89, qui précise que « le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ». Et à bien y regarder, cette procédure est, hélas, devenue la norme puisque sur 22 révisions constitutionnelles qui ont utilisé l’article 89, une seule a été soumise à référendum. Autrement dit, c’est le choix de Chirac de permettre aux citoyens de voter qui était exceptionnel, et non celui de Sarkozy, trois ans plus tard, de les ignorer.
Il s’agit alors peut-être d’une fatale maladresse ? Non plus. Il est vrai que les enquêtes internationales indiquent que seulement 13 % des Français en 2014 font confiance à leurs politiciens – ce qui les rend particulièrement méfiants par rapport à leurs voisins. Néanmoins, on ne peut pas dire que le traité de Lisbonne y soit pour beaucoup, puisqu’en 2004, avant les événements, les politiciens inspiraient confiance à seulement 16 % des Français. Les élites politiques françaises étaient mal vues bien avant cet événement. Elles n’avaient sans doute pas grand-chose à perdre aux yeux de leurs citoyens. Elles avaient bien plus à perdre aux yeux de l’Union européenne, qui doit avoir tenu à Sarkozy un discours de ce type : puisque vous pouvez faire passer ce traité par voie parlementaire, pourquoi le soumettre à référendum ? Pour nous faire la guerre ? Face à de telles pressions, le fait que Sarkozy pouvait éviter un référendum a eu comme conséquence qu’il l’a évité.
Le traité de Lisbonne, toutefois, s’il n’est pas la cause d’un mal-être français, en est sans doute le symbole. Symbole d’un débat entre ceux qui pensent qu’il faut donner plus de poids aux citoyens et ceux qui se méfient de la capacité des citoyens à prendre des décisions sur des sujets techniques et complexes. La tendance de la plupart des hommes politiques français à adopter la deuxième opinion est probablement l’une des causes de leur discrédit en France.
Pour comprendre ce qu’il se serait passé si le référendum en France avait été obligatoire, comme le préconise la révision du texte constitutionnel que nous portons, il est utile de voir ce qui se passe ailleurs. Trois pays en Europe de l’Ouest sont constitutionnellement obligés de soumettre à référendum toute décision importante, telle que des changements constitutionnels ou des délégations de pouvoirs à des organisations supranationales. Il s’agit de la Suisse, du Danemark et de l’Irlande.
Ces trois pays ont fait trois choix différents lors des référendums sur l’UE. Les Suisses ont refusé d’entrer dans l’UE. Ils étaient presque 77 % à dire « non » en 2001 à une éventuelle candidature. Ils ont néanmoins dit « oui » à Schengen et à d’autres accords avec l’UE.
Les Danois sont entrés dans l’UE, mais ont refusé plusieurs aspects de l’intégration, dont l’euro. Après avoir dit « oui » aux premières étapes de l’Union européenne, ils ont refusé le traité de Maastricht avec une très petite majorité. L’UE leur a alors offert quatre options de retrait – qui leur permettent désormais d’être plus indépendants de l’UE que les autres membres –, et par la suite les Danois ont voté « oui » au traité. Ils approuvent quelques années plus tard le traité d’Amsterdam en 1998, mais rejettent l’euro en 2000.
Enfin, les Irlandais ont souvent voté « oui » : en 1972, 1986, 1992, 1998, 2002. En 2008, pour le traité de Lisbonne, l’Irlande est le seul pays à organiser un référendum, puisqu’il y est obligé. 53 % des Irlandais rejettent le traité. La décision étant contraignante, l’Irlande se voit alors offrir une plus grande indépendance vis-à-vis de l’UE, et l’offre plaît aux Irlandais qui votent à 67 % en faveur du traité en 2009.
Ces trois pays, obligés par leurs propres Constitutions à accepter les décisions de leurs électeurs, ont aujourd’hui trois points en commun. D’abord, ils font partie du très petit nombre de pays qui bénéficient d’une plus ou moins grande indépendance vis-à-vis de l’UE, tout en s’intégrant aux politiques communautaires. En outre, ces pays se portent plutôt bien économiquement, bien mieux que la moyenne des pays européens. Enfin, ils ont une confiance dans leurs élites assez exceptionnelle. En 2014, un Suisse sur deux a confiance – ce qui fait de ce pays le plus confiant d’Europe –, suivi de près par les Danois (45 %). En Irlande, « seulement » une personne sur trois est confiante envers ses politiciens, soit tout de même presque trois fois plus qu’en France.
Ces observations ne sont que des exemples de ce que de nombreuses études scientifiques ont déjà montré : donner aux électeurs la possibilité de prendre des décisions décisives et complexes ne réduit pas la performance politique et économique des pays. Sur plusieurs points, c’est plutôt le contraire qui se produit, notamment la capacité à limiter les déficits publics et la capacité à garantir un niveau de confiance élevé et une pacification des rapports sociaux. La crainte du peuple – qui est à la base du choix de Sarkozy de s’abstenir de soumettre le traité de Lisbonne à référendum – est la cause principale du fait que la France est devenue aujourd’hui un pays injuste, appauvri, et pétri de conflits sociaux.
Certains pensent que nous sommes soumis aux choix de l’Union européenne. Mais cela est faux. Comme le démontrent les Irlandais, les Suisses et les Danois, nous ne sommes pas soumis à l’UE, mais plutôt à nos politiciens, qui peuvent changer les orientations les plus décisives de notre pays seuls. En France, celui qui contrôle la Constitution commande. Donnons aux citoyens le contrôle de la Constitution – par le RIC constituant –, et nous serons enfin démocrates et maîtres de notre destin collectif.
Raul Magni-Berton, chercheur en sciences politiques, membre fondateur d’Espoir RIC 2022.
Le collectif Espoir RIC 2022 présente une candidate à la présidentielle avec un programme unique : le contrôle de la Constitution par les citoyens.
NDLR : Ce samedi 29 mai, à Paris, une fête de la Démocratie est organisée pour fêter ce dernier référundum en France. Ce sera place Vauban dans le 7e arrondissement, à partir de 14h30, Guillaume Bigot, Charles Gave, Etienne Chouard, Régis de Castelnau, Charles-Henri Gallois, et beaucoup d'autres noms seront présents pour rendre hommage au "non" des Français, qui restera à jamais ostracisé.
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