Regardons en face nos déserts médicaux
TRIBUNE - La crise sanitaire de la Covid-19 a mis en lumière la fragilité de notre système de santé. La France qui se targuait d’avoir la meilleure médecine du monde est en train de chuter au niveau de certains pays en voie de développement.
Selon une série d’études commandée en 2021 par l’Association des maires ruraux de France (l’AMRF, qui réunit les élus des communes de moins de 3 500 habitants), 10 millions de Français vivent dans un territoire où l’accès aux soins est de qualité inférieure à la moyenne nationale.
Des données préoccupantes
Parmi les autres constats préoccupants, plus de 20% des communes restent au moins à 30 minutes des services d’urgence les plus proches (voir tableau page 3) et plus de la moitié des médecins ont aujourd’hui plus de 55 ans.
Ces chiffres, qui montrent un accès aux soins de plus en plus difficile sur l’ensemble du territoire français, démontrent la formation de déserts médicaux. Depuis une quinzaine d’années, cette problématique - popularisée par les médias - est bien connue du grand public. Leur origine ne date pas d’hier. Pour preuve, voici la couverture du magazine L’Express en date du 12 juin 1966 qui titrait déjà : “Les malades vont manquer de médecins”.
Voilà une alerte qui date de plus de 56 ans ! Et la cinquantaine de ministres de la Santé qui se sont succédé depuis n’y a rien changé : leur responsabilité comme celle de leurs administrations depuis plus d’un demi-siècle est totale. La situation n’a fait que s’aggraver.
Dans les années 1960, la France n’avait pourtant pas de problème de démographie médicale. À la rentrée universitaire de 1968, 60 000 étudiants étaient inscrits en médecine.
Après le premier choc pétrolier de 1973 à 1974, les Trente Glorieuses s’achèvent. La croissance économique décline et le chômage de masse s’installe. Avec le second choc pétrolier en 1979, les difficultés s’aggravent, les dépenses de santé explosent et le “trou de la sécu” va régulièrement faire parler de lui.
Mise au point du numerus clausus
Pour le gouvernement, l’offre de soins pose un problème : il faut y mettre un terme en réduisant le nombre de médecins. C’est ainsi que naît le numerus clausus, théoriquement fondé sur une évaluation des besoins de santé.
Sauf que ces besoins de santé n’ont jamais été évalués de manière scientifique. Jusqu’en 1970, le nombre de médecins formés était basé sur le volontariat et un examen. Initié en 1971, le numerus clausus est instauré à la fin de la première année d’études médicales. Jusqu’en 1978, une stabilisation du nombre d’étudiants est atteinte, sans diminution.
Avec la loi du 2 janvier 1979 sur la réforme des études médicales, est appliquée une version plus stricte de la limitation des admissions aux études de santé en France. De 1977 à 1983, le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine passe alors de 9 170 à 6 160.
Les milieux politiques de gauche, qui ont poussé des cris d’orfraie à son instauration, seront les premiers à l’accentuer une fois leur accès au pouvoir advenu. Le numerus clausus qui avait été fixé à 6 000 en 1981 atteint 3 500 en 1993 (avant l’arrivée du gouvernement Balladur).
À l’heure actuelle, le nombre d’étudiants autorisés à s’orienter vers ces études ne compense pas les départs à la retraite. Et les offres de santé devant être déterminées selon les régions par les Agences Régionales de Santé (ARS), il est bien légitime d’être très inquiet pour l’avenir lorsque nous nous référons à la gestion pour le moins calamiteuse de ces dernières années de la crise de la Covid-19.
MICA-deau
La crainte de nos politiques durant les années 1980 (n’ayant aucune idée des besoins médicaux de la population) résidait dans le risque d’avoir une surconsommation médicale favorisée par la présence d’une surpopulation de médecins.
Afin d’accélérer la réduction des effectifs médicaux, un décret soutenu par Jacques Barrot a proposé aux praticiens en 1997 une prime au départ. L’idée était d’actualiser le Mécanisme d'incitation à la cessation d’activité (MICA), avec cette logique de maîtriser les dépenses de santé après avoir mis fin à ce qui était considéré comme une surpopulation de médecins.
Une incitation au départ anticipé à la retraite était proposée à partir de 57 ans, accompagné d’une somme d’argent pouvant aller jusqu’à 250 000 francs (soit 39 000 euros).
On estime que de 15 000 à 18 000 médecins ont bénéficié de ce véritable “MICAdeau” et ont abandonné leur activité entre 1997 et 2003 (le dispositif a alors été supprimé), soit plus de 3 000 en moyenne chaque année.
Las ! Nos braves technocrates ont réalisé que de la pléthore médicale redoutée, on s’acheminait plutôt vers la pénurie… Ils avaient tout simplement oublié que la génération des "baby-boomers" allait progressivement quitter ses activités à partir des années 2010 sans être remplacée dans son nombre.
C’est ainsi qu’on a appelé des médecins retraités à reprendre du service, grâce au système “emploi-retraite” qui a fait florès… Comble du bricolage, certains médecins qui avaient bénéficié du MICA ont gagné sur les deux tableaux !
Disparition des services publics en milieu rural
La désertification médicale est surtout criante dans les zones rurales. Là encore, nos gouvernements sont en grande partie responsables. Beaucoup de zones rurales sont devenues des "oubliées de la République" : absence d’écoles, de services postaux, de gares, de banques, fermeture de commerces de proximité, d’usines… Autant de manques qui les rendent peu attractives.
Nous sommes là-devant un problème d’aménagement du territoire. Si l’on veut attirer des médecins, des dentistes, des pharmaciens, des infirmiers, des kinésithérapeutes, cela ne se fera pas du jour au lendemain.
La désertification concerne également les zones définies comme urbaines. De moins en moins de médecins veulent s’installer en libéral. Il y a plusieurs causes à cela dont la rémunération de l’acte médical très insuffisante, de l’ordre de 25€.
Ce tarif est tout simplement scandaleux pour une consultation qui devrait durer entre 20 et 30 minutes lorsqu’on veut correctement exercer son métier et faire de la prévention, non de l’abattage ou de la distribution d’arrêts de travail.
En attendant, il faut faciliter l’installation de médecins en zones rurales, par des incitations financières, l’ouverture de maisons de santé. Les médecins actuels ne veulent plus travailler seuls.
Et pourquoi ne pas créer une obligation de service ? J’appartiens à une génération de médecins qui devaient à la fin de leurs études faire le Service militaire, au plus tard à 27 ans (1 an au Service de santé des Armées).
De même, pour celles et ceux qui le désiraient, il était possible de s’engager volontairement dans l’Aide Technique (dans les départements d’Outre-mer) ou la Coopération (dans ces deux derniers cas de 18 à 24 mois). Ces expériences étaient jugées enrichissantes par tous. Elles ne pourraient faire que du bien aujourd’hui.
Les propositions de l'Académie de médecine
Le 24 octobre 2022, l’Académie de Médecine avait émis plusieurs propositions afin de trouver diverses solutions aux déserts médicaux. Et la proposition d’un “service médical citoyen” en faisait partie, appuyée par la publication d’un autre texte de travail de l’Académie le vendredi 16 décembre 2022.
“Renforcer la médicalisation des zones sous-denses et éclairer le choix de carrière des jeunes médecins par une expérience de terrain” est son objectif, qui paraît très louable.
D’autres idées pourraient aider à améliorer le triste constat des déserts médicaux : optimiser les délégations de tâches à d’autres professionnels de santé ; décharger les médecins du temps administratif et leur rendre du “temps soignant” ; lever les obstacles administratifs pour les cumuls emploi-retraite (si les erreurs passées de la MICA pouvaient être évitées cette fois…).
Mais aussi : réévaluer les visites à domicile ; conforter le maillage des territoires en maisons et centres de santé ; favoriser l’exercice dit “multisite” ; encourager et faciliter la primo-installation en zones sous-denses avec des incitations financières (une zone sous-dense est un territoire de “vie-santé” au sein duquel l’Accessibilité Potentielle Localisée, APL, est inférieur ou égal à 2,5 consultations par an et par habitant).
Toujours dans les zones sous-denses, majorer les honoraires de tous les médecins de 20% ; renforcer les liens et la coordination avec l’hôpital ; maintenir dans tout salariat les conditions d’exercice privilégiant les soins aux malades et l’indépendance des médecins.
Enfin, augmenter immédiatement et de manière conséquente le “numerus apertus” (soit le nombre minimum d’étudiants admis en deuxième année de médecine, mis en place en 2021 en opposition au numerus clausus et fixé par les universités en fonction de leurs capacités d’accueil et des places disponibles).
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