Dysfonctionnements au CHU de Grenoble : Olivier Véran faisait déjà la politique de l'autruche

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FranceSoir
Publié le 16 août 2021 - 13:45
Mis à jour le 17 août 2021 - 14:24
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CHU Grenobles
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CHU Grenoble Alpes
Le Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes
CHU Grenoble Alpes

Les centres hospitaliers universitaires (CHU) vont mal en France : problèmes de structure, organisation « micro féodale », menant à des problèmes graves. Nous avons enquêté sur le CHU de Grenoble-Alpes, où ces problèmes institutionnels ont mené à des « manquements éthiques sur des patients en état de vulnérabilité », ainsi qu'à des situations de harcèlement sévère.

Ce travail s’appuie sur deux témoignages de soignants et chercheurs de l’hôpital, dont François Berger, professeur de biologie cellulaire, ancien directeur de Clinatec et actuel directeur de l'unité INSERM/UGA Brain Tech Lab. L’autre témoignage a souhaité rester anonyme, mais a lui aussi quitté l’hôpital, sidéré par ces dysfonctionnements.

En 2018, cette gestion humaine délétère conduit au suicide du neurochirurgien Laurent, réputé efficace et performant.

Olivier Véran, alors député, parle de ce centre comme d’une « fierté pour le territoire français ».

« Ils font la politique de l’autruche, on ne veut pas dire ce qu’il se passe sinon l’hôpital peut perdre ses financements », raconte François Berger. Chacun sait ce qu’il se passait dans ces services, le ministre des Solidarités et de la Santé aussi. Le Postillon, journal local, a réalisé plusieurs travaux d’enquête sur Olivier Véran et ce CHU. À la lecture de ces articles, on comprend que le natif de l’Isère est essentiellement focalisé sur ses ambitions politiques. Un objectif compréhensible mais qui semble l'avoir peut-être empêché de regarder en face "la réalité de nos hôpitaux", pour reprendre une formule qu'il emploiera quelques années plus tard en s'emportant à l'Assemblée.

Un exemple éloquent et grave : on y obligeait des soignants à installer des implants non fonctionnels dans le cerveau d’un patient vulnérable, puis à les retirer en urgence car ils n’étaient pas conformes dès le début et ont entraîné des complications, on comprend que cet élu devrait davantage mettre l’accent sur les problèmes que vivent ces CHU afin de les résoudre.

En effet, ces intervenants racontent la même histoire liée à cet implant : « j’ai vu des manquements éthiques importants sur des personnes en état de vulnérabilité », nous confie le médecin, « on a mis un implant à un patient qui n’aurait jamais dû recevoir ce produit. L’implant n’était pas fonctionnel et il y a eu un problème de connexion. On savait que ce n’était pas bien de le lui poser, le produit était en fin de test, c’était dans les derniers jours pour l’appliquer donc ils se sont précipités pour l’ajouter aux essais ». François Berger nous explique qu’en plus de cela : « l’hôpital a inclus ce patient dans les publicités, ils ont utilisé son image alors que l’implant était particulièrement dangereux. Afficher le patient sur des panneaux publicitaires, alors que l’essai n’est pas fini, sans le masquer, c’est complètement invraisemblable, parce que si le patient veut sortir de l’essai, ou le critiquer, il ne peut plus le faire. Le patient devient complètement instrumentalisé, et puis c’est de la survente. L’implant concernait des tests sur l’exosquelette (un outil permettant au corps de retrouver sa mobilité de façon artificielle), et on dit que le patient paralysé remarche, etc. mais c’est complètement faux. » Le médecin resté anonyme complète les propos du Pr Berger en affirmant : « on se retrouve à faire quelque chose qui n’est pas de la médecine, c’était du matériel qui n’était même pas fonctionnel ».

Comment en arrive-t-on à cette situation ? Pour ce dernier, Olivier Véran a son rôle à jouer dans une telle organisation. Bien qu’il ne soit pas lié directement aux scandales cités ci-dessus, « le boulot des dirigeants de ce centre, et de Véran, était d’être attentifs à leur environnement. Le ministre est lui-même allé sur place à Clinatec, il sait comment ça se passe. » Nous avons tenté d'obtenir la version de l'actuel ministre face à ces évènements. Joint par téléphone, Olivier Véran a refusé de répondre à nos questions.

Clinatec est centrale dans cette affaire : il s'agit d'une clinique expérimentale où beaucoup de recherches ont été faites. Elle révèle une grande partie des dysfonctionnements liés à ce CHU. On peut le croire facilement lorsque l’on constate qu’un grand nombre de ceux y travaillant ont quitté cet établissement, ayant pour une grande part rejoint les instituts privés.

Bien que ce suicide soit également alimenté par les problèmes personnels du médecin de 36 ans, cet acte est aussi imputable aux pressions récurrentes qu’il subissait au travail. Si le rapport Couty, médiateur venu auditer le fonctionnement de l’hôpital, parle d’un travailleur ne comptant pas ses heures et très engagé dans son activité, pour notre intervenant resté anonyme, "c’est aussi grandement lié au harcèlement de ses supérieurs".

Le neurochirurgien en était venu à enchaîner les gardes de nuit, à un tel point, que ceux qui l’entouraient le voyaient maigrir fortement. Notre intervenant anonyme explique qu'un neurochirurgien, supérieur hiérarchique "lui a mis une pression pas possible". Ce dernier aurait été protégé car proche du président du directoire de Clinatec, le professeur Alim-Louis Benabid.

Le réseau et le « copinage » reviennent souvent au sein des décisions au CHU et à Clinatec. Des manières de faire peu viables pour une telle organisation. C’est d’ailleurs sur le côté institutionnel qu’insiste le professeur François Berger, notre deuxième intervenant, actuellement directeur à Braintech Lab. Selon lui, Olivier Véran n’aurait pas pu faire grand-chose, le plus important serait de sortir d’un système « micro-féodal ».

« Cela montre bien que dans un contexte où il se passe des choses graves qui devraient être régulées simplement... Eh bien, le système hospitalo-universitaire féodal complètement archaïque est incapable de les réguler. […] Il y a aussi la peur par rapport à des systèmes politiques au sens large. Quand il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, on est incapable de le changer ».

Il décrit une organisation hyper-hiérarchique où les petits doivent demander aux gros poissons pour grandir. C’est le cas de la faculté qu’il cite en premier : « ce qui s’est amélioré par exemple, c’est la gestion des universités, qui se sont professionnalisées en devenant de grosses universités. Les facultés (comme pour les CHU) restent de petites universités, on le voit à Grenoble, la faculté de médecine comme toutes les facultés, demande une indépendance vis-à-vis des universités. Donc on reste dans un système qui est micro-féodal. »

Selon le professeur de biologie cellulaire, si ces organisations se basaient sur des modalités d’évaluations strictes, telles que l’Inserm le permet et tente d’encadrer, il n’y aurait plus de déboires successifs tels qu’ils pouvaient le constater à Clinatec.

Lui-même victime de harcèlement, l’ancien directeur d’unité Inserm témoigne : « Quand vous voyez que vous êtes dans une structure massivement financée par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), vous faites remarquer les problèmes mais personne ne veut les entendre, eh bien dans ce cas là il y en a qui ont tendance à se dire : « celui-là, s’il disparaissait, ça serait mieux ».

François Berger, lassé de cela, envoie un courriel (reproduit ci-après) à la directrice du CHU dans lequel il fait valoir sa clause de conscience. Pour rappel, une clause de conscience pour un médecin ou un chirurgien est une disposition fondamentale du code de déontologie médicale, préconisant que le praticien a le droit de refuser de pratiquer une intervention opposée à ses valeurs et convictions, même si cet acte est autorisé par la loi. Dans cette lettre, le Pr Berger explique qu'il se retire de Clinatec voyant que « la sécurité des patients ne sera plus suffisamment assurée [...] l’éthique technocentrique de la recherche technologique translationnelle qui m’est imposée par le Leti n’est pas en adéquation avec le serment d’Hippocrate ».

Lettre de François Berger - clause de conscience

Le 5 juillet 2015

Madame le Directeur Général du CHU de Grenoble,

Les conditions d’exercice de l’unité de recherche clinique de Clinatec, devenues diamétralement opposées à celles qui m’avaient été proposées au départ du projet, j’ai été amené à lancer plusieurs alertes sur la sécurité et l’éthique depuis le début de l’année.

Les conditions d’exercice maintenant proposées par le Leti, font que la sécurité des patients ne sera plus suffisamment assurée, dans un contexte où l’éloignement du CHU impose des contraintes majeures et coûteuses.

Enfin, l’éthique technocentrique de la recherche technologique translationnelle qui m’est imposée par le Leti n’est pas en adéquation avec le serment d’Hippocrate que j’ai prêté en devenant médecin. Les micro-nano-technologies et l’électronique sont des opportunités majeures pour les patients ; les développer de façon équitable, multidisciplinaire, non technocentrique et en respectant une éthique de l’information, du besoin médical et du bénéfice/risque, sont des impératifs auxquels je ne saurais déroger.

J’ai longuement réfléchi avant de prendre la décision d’exercer mon droit de retrait et de faire valoir ma clause de conscience. Je vous informe par la présente que je n’assurerai plus la responsabilité de l’unité de recherche clinique Clinatec à compter du 10 juillet 2015.

J’assurerai bien sûr mes fonctions cette semaine, dans le but de transférer au CHU en dehors de Clinatec mes patients et les protocoles en cours.

Je reste à votre disposition si vous souhaitez me rencontrer,

 

Et je vous prie d’accepter, Madame le Directeur Général, mes salutations respectueuses,

 

Pr F Berger

 

Au nouveau secrétaire général du Centre hospitalier universitaire, M. Dutil, le professeur Berger retrace les évènements passés dans un mail envoyé à postériori. Il mentionne alors : « Rupture des décisions du comité de suivi, violation de la loi fondamentale des essais cliniques, utilisation off-label du stylet, et lien suspect avec le représentant d’un industriel qui n’a signé aucun contrat avec le CHU ». La violation citée renvoie notamment à l’implant inapproprié évoqué en début d’article, mais alerte également sur les neurosciences : « avec toute la volonté de travailler sur les neurotechnologies, il y a vraiment des risques qui ont été pris, avec tout un tas de délires à la Laurent Alexandre, qu’il faut alors se donner l’autorisation de rechercher plus de précautions éthiques. Ce qui n’empêche pas d’innover, je suis vraiment pour l’innovation de rupture.

Il faut comprendre pourquoi ces établissements ont permis ces déviances éthiques, c’est notamment parce que la publicité et la présentation de patients dans des diners, des congrès et autres, permet aux chercheurs de vendre leur projet. Ils ont besoin de fonds pour que le projet grandisse et avance, et toute forme de publicité permet d’aller dans ce sens. Les médecins intervenant dans cet article alertent donc sur les dérives de ces pratiques lorsqu’elles impactent ou peuvent potentiellement nuire à la vie des patients.

Face à la peur que des personnes intègres ne s’expriment, le doyen de la faculté de médecine ira même jusqu’à surprendre le professeur par ces mots : « Si tu dis tout, ils sont morts, mais toi aussi ». Au téléphone, l’intéressé précise que ces menaces concernent sa carrière.

Dans un hôpital ayant peu de moyens, peu de financements, les services ont vu le budget se focaliser sur des projets trop souvent non-essentiels. « Il y avait une vraie volonté d’obtenir un prix Nobel de médecine par les recherches à Clinatec, et le centre s’est retrouvé à délaisser beaucoup de choses. » Notre médecin anonyme raconte ensuite un autre cas de recherche non-éthique, cela concerne les essais sur les animaux cette fois-ci : « c’était un véritable Auschwitz animalier. Alors, je ne suis pas contre le fait que l’on expérimente sur les animaux mais il y a une manière de le faire. C’était dans le cadre de travaux sur la maladie de Parkinson, il y a eu des choses atroces faites sur des singes, sur des souris et d'autres animaux également. On ne dit rien, ils sont dans un sale état et on les euthanasie ensuite. Même pour les tumeurs cérébrales, j’ai vu des trucs ultra-limites. L214 aurait été choquée, vous voyez ? Des singes tremblaient, je peux comprendre l’expérimentation mais il faut se mettre d’accord sur une éthique. Ça devrait être beaucoup plus contrôlé. Un député, littéralement, ne peut pas ignorer cela. […] Le doyen de la faculté était au courant et voulait éviter les problèmes. Nous, ce que l’on attend des dirigeants et des politiques, c’est de ne pas fermer la discussion, mais là, c’est ce qu’il se passe. Même pour Berger, ils ont fait arrêter les avancées très intéressantes qu’il avait avec ses projets, parce qu’il dérangeait. »

L'intéressé - François Berger - conclut sur l'organisation qu'il faudrait mettre en place pour éviter ces problèmes dans les CHU : "quand on a un centre comme Clinatec, il faut être capable d'avoir des feedbacks (des retours/conseils) et c'est ça qu'on ne sait pas faire aujourd'hui. Ça permet de dire "ah non, on ne sait pas faire ça, donc on se réoriente vers autre chose". Et c'est là où il y a une absence de rigueur au niveau universitaire. Et maintenant c'est ça qui est fou, c'est qu'il y a un consensus pour dire qu'il faut que cela s'arrête, mais c'est le CEA qui paie donc on continue et on dit que ça va s'arrêter tout seul. L'hôpital en lui-même n'a pas un sou de toute manière. Il y a une directrice qui dit que ça l'empêche de dormir. Le nombre de gens avec un poste permanent qui sont partis est impressionnant".

Clinatec tourne toujours, financée par le CEA, mais en attendant sa mort à petit feu, dans le but premier d'éviter un grand scandale, des chercheurs et soignants poursuivent ces travaux au lieu de placer leurs efforts là où ils seraient plus utiles.

Et c'est cela qui est pour notre ministre, Olivier Véran, non élu, mais placé par le président de la République : "la fierté de notre territoire".
 

Mail de François Berger :

Bonjour Monsieur Dutil,

Je demande depuis des mois des rendez-vous à la direction générale et avant, à vous-même, pour présenter le projet hospitalier afférent à mon projet d’unité INSERM.

L'affaire Stéfan Chabardes-clinatec sur l’essai empreinte est pour moi accessoire et fait partie du passé. Elle se résume en quelques mots : rupture des décisions du comité de suivi, violation de la loi fondamentale des essais cliniques : le PI est celui qui a la connaissance pour prendre la responsabilité d’un essai innovant, utilisation off-label du stylet, et lien suspect avec le représentant d’un industriel qui n’a signé aucun contrat avec le CHU…malgré cela le protocole a été soumis et il suffit de lire le résumé sur Clinical trial pour extraire les fautes graves …

In fine depuis mon alerte sur la sécurité et l’éthique à linatec, j’ai été considéré comme un pariât par le pôle recherche, les instances médicales et personne n’est revenu vers moi pour faire le point. Je pourrais énumérer ce qui s’apparente sans doute à un grossier harcèlement. Heureusement soutenu au niveau national par l’INSERM qui nous a demandé de partir de clinatec, j’ai souhaité garder une rigueur institutionnelle en ne disant rien de l’incroyable dysfonctionnement qui s’est manifesté alors, si bien décrit dans le rapport Couty. "Si tu parles, ils sont morts mais toi aussi » m’a répété le doyen Romanet. La suite locale est illustrative : impunité totale quand des cliniciens s’affichent avec l’unique patient présentable d’un essai clinique, parfois avec des financiers de l’argent sale qui font la une des journaux , non utilisation d’une structure chirurgicale depuis un an et là aussi je pourrais continuer longuement …quand Stephan Chabardes et Olivier David on voulu lancer un GIN bis avec Clinatec, supportés par le Député Véran, ils on eu un rendez vous rapideCela m’a rappelé les moments difficiles où j’ai appris que Madame la ministre Fioraso été venue demander à l’INSERM que mon unité ne soit pas recréée...

Que faire ? Je comprends bien que la gouvernance hospitalo-universitaire reste bancale en l’absence du renouvellement de la CME, et je salue l’arrivée d’un nouveau doyen qui inaugure une nouvelle gouvernance. J’avais naïvement cru que la gouvernance hospitalière aurait pour objectif prioritaire de favoriser mon projet tout en laissant Mr Chabardes s’exprimer avec ses projets dans une structure richissime. J’ai continué en silence de bâtir mes projets, et je pense pouvoir dire que celui très focalisé et porté par une équipe resserrée fait honneur au CHU avec une compétitivité internationale indiscutable et reconnue. Je tente d’éviter à mon équipe l’impact de cette violence répétée de la part de l’institution hospitalière, encaissant en silence. J’ai pensé plusieurs fois à partir de grenoble et même plus définitivement aux pires moments d’un harcèlement qui devient indiscutable et insupportable.

J’ai déposé un dossier HCERES et INSERM où la partie hospitalière n’est pas validée donc quasi pas détaillée. 

J’ai appris d’Alim Louis Benabid -mon maître- que c'étaient nos projets et nos résultats qui nous sauvaient in fine et qu’il fallait négliger la politique institutionnelle hospitalo-universitaire. Il avait cependant alors été bien soutenu par un doyen et une CME qui ont marqué l’histoire de Grenoble, en particulier sous l’impulsion de Mr Sarrazin. 

La balle est dans votre camp et dans celui de la directrice générale, il me paraîtrait inconvenant de la relancer sans vous avoir rencontrée.

Fatigué et déçu

François Berger


Documents :
Entretien de François Berger sur les précautions face aux recherches sur le transhumanisme
Article : "A Clinatec, le fiasco dissimulé"
Article : "ARPA-H : Accelerating biomedical breakthoughs"

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