Les banales conclusions des États généraux de l’information

Auteur(s)
Axel Messaire, pour France-Soir
Publié le 24 septembre 2024 - 15:10
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Macron
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F. Froger / Z9, pour France-Soir
F. Froger / Z9, pour France-Soir

La tenue des États généraux de l’information se sera fait attendre, mais un an après son lancement, voilà qu’un rapport a été rendu public le 12 septembre dernier. Avec pas moins de quinze propositions présentées comme « majeures », dans l’objectif affiché de « sauvegarder et développer le droit à l’information à l’ère numérique », il reste sans surprise des trous béants, des manquements probablement volontaires, beaucoup de vide et beaucoup de vent.

« Tout ça pour ça ! », résumait au Monde le président du Fonds pour une presse libre. « On nous avait promis des propositions audacieuses, précises, pratiques, qui pourraient être mises en œuvre rapidement. Le résultat ne correspond en rien à cette promesse », déplore-t-il encore. Une chanson plaintive à laquelle nous sommes désormais habitués.

Les États généraux de l’information (EGI) sous Macron s’inscrivent dans la continuité des États généraux de la presse écrite qu’avait mené Nicolas Sarkozy de septembre 2008 à janvier 2009, qui s’étaient soldés par un « Livre vert » contenant plus de 90 propositions. Par ailleurs, ils sont aussi liés à la création de la loi Hadopi du 12 juin 2009, ainsi qu’au développement de la Commission des droits d’auteur des journalistes (CDAJ). Emmanuel Macron veut s’afficher en grand défenseur des droits de la presse, mais sans surprise, nous sert de la poudre de perlimpinpin.

Encourager plutôt qu’imposer

La démarche en elle-même a été poussive : la présidence du comité de pilotage aura en son sein connut quelques déboires. Le premier élu, Bruno Lasserre, démissionne de ses fonctions en janvier à cause de « raisons strictement personnelles et familiales ». Son successeur est alors Bruno Patino, le président d’Arte. Celui-ci a également dû prendre la succession de Christophe Deloire, directeur et secrétaire général de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), à la suite de son décès brutal le 8 juin dernier, tandis qu’il était le délégué général des EGI. 

Leur objectif décrit par Le Monde est tout à fait banal : « plutôt que d’interdire ou d’imposer, elles [les propositions - ndlr] préfèrent suggérer, ou encourager ». Et concrètement, ça donne quoi ? Quinze propositions d’une affligeante platitude, avec très peu d’appuis concrets :

1.    Donner un nouvel accent sur l’éducation à l’esprit critique ainsi que la connaissance des médias dès le plus jeune âge à l’école ;
2.    La mise en place d’une sensibilisation préventive en milieu scolaire, universitaire et professionnel autour de la désinformation pour en permettre sa neutralisation ;
3.    Développer la qualité de société à mission pour en permettre l’accès aux entreprises d’information ;
4.    Encourager l’amélioration de la gouvernance des médias d’information ;
5.    Permettre le renfort de la protection du secret des sources ainsi que légiférer en ce sens contre les procédures-bâillons ;
6.    Proposer aux influenceurs d’information la possibilité d’une labellisation sur la base du volontariat ;
7.    Créer la responsabilité démocratique ;
8.    Permettre une redistribution de la richesse captée par les fournisseurs de services numériques afin de favoriser l’information ;
9.    Assurer, malgré les opérations de concentration, la continuité du pluralisme des médias ;
10.    Promouvoir à l’échelle européenne le passage à la reconnaissance du droit à l’information ;
11.    Instaurer le pluralisme effectif des algorithmes afin d’éviter les bulles de filtres, décriées ces dernières années ;
12.    Inciter à une plus grande concurrence sur le marché de l’intermédiation publicitaire en ligne dans l’objectif d’équilibrer le partage de la valeur ;
13.    Mettre en place l’obligation pour les très grandes plateformes d’afficher des contenus d’information ;
14.    Acter la responsabilité des grandes plateformes dans la lutte contre la désinformation et le cyberharcèlement. À cet effet, un second acte dans le Règlement sur les services numériques (DSA) est espéré ;
15.    À l’échelle européenne, consolider une politique de lutte contre la désinformation.

Faute technique

Les professionnels de la presse qui ont inauguré la Fête de l’Humanité ont salué l’initiative. Mais, les médias qui ont déploré un hors-sujet sont bien plus nombreux. Parmi eux, Médiapart, qui affiche son mécontentement en titrant « Les États généraux de l’information gâtent les patrons de presse au détriment du journalisme ». Dans leur article, on lit que « les propositions sont affaiblies par un écueil majeur : elles situent la menace quasi exclusivement du côté des algorithmes, des réseaux et de l’intelligence artificielle, autrement dit de la technique, omettant de désigner les vrais ennemis du droit de savoir, c’est-à-dire les acteurs politiques et économiques ». De son côté, le chercheur Alexis Lévrier par le d’une « immense déception » au cours d’un entretien donné à The Conversation

Déception, parce que tout ça, c’est de la communication et non de l’information : dites ce que vous faites, sinon les gens diront ce que vous ne faites pas. Disons-le.

Selon quels garde-fous, par exemple, seront notifiés les propos justifiant une désinformation ? Mystère. Ce qui frappe par ailleurs, c’est l’absence de traitement sur la concentration des médias par les grandes fortunes, pourtant si décriée. Plutôt que d’envisager des restrictions en ce sens et ainsi prévenir, les conclusions des EGI prônent la guérison a posteriori en venant vérifier que les médias perdurent dans ce souci de pluralisme. Pluralisme qui est pourtant déjà remis en cause par les journalistes, qu’ils écrivent pour des petits médias indépendants ou des grands noms. En démontrent les grèves qui ne cessent de se reconduire ces dernières années au sein des rédactions. La carte régulièrement mise à jour du Monde Diplomatique permet de souligner l’omniprésence de grandes familles dans le paysage médiatique. Le 26 mars dernier encore, une tribune d’un collectif de journalistes était signée dans Le Monde afin d’interpeler la ministre de la Culture Rachida Dati sur le besoin de protéger la liberté éditoriale des médias. Mais qui peut s’opposer à Bolloré, Dassault, Drahi, Lagardère ou Saadé ? Surtout quand ils s’acoquinent avec le président de la République.

Rappelons que Mediapart soulignait au mois de juin l’amitié entretenue entre le millionnaire Rodolphe Saadé et Emmanuel Macron. Ce dernier applaudissait l’homme d’affaires, qui « ne paie quasiment pas d’impôts, alors que sa fortune a septuplé grâce à la crise du covid ». Si l'on se fie à la carte du Diplo, le patron de CMA CGM, célèbre transporteur maritime, détenait en décembre 2023 la totalité des parts du groupe Hima et du groupe La Provence, ainsi que 10% du groupe M6. De quoi peser dans l’échiquier. Et les achats ne s’arrêtent pas là. Malgré la maigre barrière de l’Arcom, l’armateur a voulu mettre la main sur Altice Média (BFM et RMC), et l’a fait. Le 2 juillet dernier, les deux médias sont passés des mains de Drahi à celles de Saadé. 

Autre point d’interrogation : quid des médias indépendants ? Pourquoi ne pas les soutenir, plutôt que les censurer, eux qui, sans être dominants, représentent un bastion d’avis divergents ? Pour donner un ordre idée quant aux disparités, il faut savoir qu’en 2021, le média le plus aidé par le gouvernement était Aujourd’hui en France/Le Parisien, avec 13,5 millions d’euros, selon les derniers chiffres du ministère de la Culture, tandis que le dernier de la liste était L’Eco de l’Ain, totalisant 1 162 euros pour la même année... De quoi laisser songeur sur l’équité du principe d’aide.

En définitive, la pluralité des médias fait beaucoup de bruit pour peu de solutions. Tandis que ministres et présidents se succèdent pour réaffirmer leur volonté, de belles lignes sont éditées pour peu de résultats in fine. Les conclusions de ces États généraux de l’information ne semblent pas faire exception.

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