Réforme de la PJ : des enquêteurs marseillais craignent une criminalité "hors de contrôle"

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FranceSoir avec AFP
Publié le 16 octobre 2022 - 16:20
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AFP/Archives - Clement MAHOUDEAU
Rassemblement de policiers contre la réforme de la PJ, le 11 octobre 2022 à Marseille.
AFP/Archives - Clement MAHOUDEAU

Ils prennent rarement la parole, mais face à la réforme annoncée de la police judiciaire, porteuse selon eux de "germes anti-démocratiques", quatre enquêteurs marseillais ont décidé de s'exprimer, craignant une grande criminalité laissée "hors de contrôle".

"Crim'", brigade de répression du banditisme (BRB), office anti-stupéfiants (Ofast), brigade financière : une semaine après l'éviction brutale de leur patron, Eric Arella, qui a mis le feu au sein d'une profession habituellement taiseuse, ces quatre "péjistes" se sont confiés.

Mais face au risque de sanction, tous ont préféré rester anonymes.

Règlements de compte dans les quartiers déshérités de Marseille, narco-banditisme, corruption politique : leurs enquêtes sont longues et complexes, au cœur de la 2e PJ de France, qui rayonne de Nice à Perpignan, Corse incluse.

"Aujourd'hui, on les tient encore, mais on est face à des trafiquants sans foi ni loi qui insultent et menacent les juges" : si cette réforme passe en l'état, elle aurait un effet "dévastateur" sur le crime organisé, alerte l'un des enquêteurs marseillais.

À l'Evêché, l'hôtel de police de Marseille, la sidération s'est dissipée. Vendredi, ils ont accueilli leur nouveau chef, Dominique Abbenanti, ex-attaché de sécurité à Alger. "On lui a réservé un bon accueil, mais ça ne sera pas un Arella", avance son collègue de la criminelle.

Côté hiérarchie, on aimerait que les affaires reprennent : "On passe à autre chose maintenant".

Mais sur le terrain, la colère subsiste. "La période n'est pas à la détente mais à la chasse aux sorcières et au bras de fer intense", insiste un enquêteur de la BRB.

En signe de protestation, des opérations non cruciales ont été repoussées, à Marseille, Toulon ou Nice. Des services entiers ont déposé les armes. Sauf en Corse : "Notre peine pour Eric Arella est tellement sincère et profonde qu'on n'a pas envie de la polluer avec des actes qui viendraient discréditer nos positions", a témoigné un policier.

Lire aussi : Séisme au sein de la PJ avec l'éviction du patron de la zone Sud en pleine réforme

"Culture du chiffre, de l'affichage"

Lundi, ils retourneront dans la rue, partout en France, avec le soutien annoncé de juges et d'avocats. Même s'ils ne sont pas contre la totalité de la réforme : "On sait bien que nos collègues dans les commissariats sont débordés" et qu'il faut les renforcer.

Ces quatre enquêteurs soutiennent donc l'idée d'une filière investigation unique, réunissant PJ et policiers de la sécurité publique en charge de la délinquance du quotidien. Mais ils sont contre l'idée de placer cette filière, comme tous les services de police à l'échelle du département, sous l'autorité d'un seul directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet.

Voir aussi : Réforme de la police judiciaire: Christophe Olivieri sonne la charge et interpelle le ministre de l'Intérieur

Pour eux, cette filière doit être sous une autorité indépendante et sur une zone géographique élargie.

"Si vous voulez lutter contre les atteintes à la probité, surtout ici dans le Sud, il ne faut surtout pas l'échelon départemental", insiste l'enquêteur de la brigade financière. "Imaginez, à un moment, on enquête sur un élu qui tutoie notre futur patron (le préfet), qu'est-ce qu'il va se passer ?", s'interroge-t-il.

Car les tentatives d'intimidation sont fréquentes : "Je me souviens très bien de ce président du conseil départemental du Var qui demande à un enquêteur : dites-moi, votre femme, elle ne travaille pas au département ?"

Du côté de la lutte contre les trafics de stupéfiants, phénomène qui gangrène de nombreux quartiers de la ville, la préfète de police des Bouches-du-Rhône, Frédérique Camilleri, vante régulièrement les résultats de sa stratégie de "pilonnage" des points de deal.

Mais "le pilonnage, c'est du court-termisme", rétorque le policier de l'Ofast: "Ça permet à une cité de retrouver une brève tranquillité. Mais il faut aussi s'attaquer aux structures du réseau".

Mais le directeur départemental accepterait-il de payer une mission en Espagne, plaque tournante du cannabis en Europe ? "Non, il va prioriser l'argent aux services de son département, donc il va être difficile de s'attaquer aux ramifications, aux bases du trafic. C'est la culture du chiffre, de l'affichage, de l’immédiateté", avertit cet enquêteur.

Pour lutter efficacement contre le narco-banditisme, les mafias, il faut du temps, des moyens, de l'expertise, assurent ces quatre policiers. La lutte contre le blanchiment d'argent est un bon exemple : invisible mais cruciale.

Lire aussi : Loi sécurité: la réforme de la PJ s'invite dans les débats au Sénat

"On a des trafiquants qui rentrent en prison, ils sont riches. Ils ressortent de prison, ils sont riches. Donc il faut lutter contre le blanchiment pour lutter contre le trafic de drogue", insiste l'enquêteur de la financière : car "la petite délinquance naît de la grande".

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