Réforme de la police judiciaire : en manifestation à Toulon, les policiers se préparent à une fronde nationale
Face au projet de réforme de la police judiciaire, le mécontentement monte et la fronde s’amplifie. Mercredi 21 septembre, c’est la totalité des policiers de la PJ de Toulon qui sont venus manifester leur colère et leur inquiétude devant la préfecture du Var. Une soixantaine de leurs collègues de Marseille ont fait le déplacement pour se joindre à eux, ainsi que des avocats revêtus de leurs robes, des magistrats, des experts judiciaires, des policiers d’autres services, principalement de la sécurité publique, et quelques élus locaux. Fait remarquable : des adhérents de tous les syndicats de police étaient présents.
Comme à Bordeaux la semaine dernière, les fonctionnaires ont barré leurs gilets « PJ » d’un bandeau noir en signe de deuil, et les ont accrochés aux barrières entourant la préfecture. Ces professionnels arboraient des t-shirts sur lesquels on pouvait lire inscrit « Touche pas à ma PJ » ou « Non à la DDPN » (Direction départementale de la police nationale). Une minute de silence a été observée et un cercueil factice noir déposé devant l’établissement, orné des sigles de la Direction centrale de la police judiciaire nationale et locale et du panneau « Police Judiciaire 1907 – 2023 ». Une minute de silence a été observée et l’hymne national entonné.
Christophe Olivieri, brigadier de la Brigade criminelle de Toulon et délégué du syndicat CGT – Intérieur Police, que FranceSoir a reçu en début de semaine, a fait un discours qui exprime les préoccupations des policiers. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et la première ministre, Élisabeth Borne, y sont interpelés. Nous avons choisi de retranscrire les points essentiels de ce discours qui est un cri de désespoir et de colère, de défiance vis-à-vis du ministre de l’Intérieur, et qui laisse augurer une montée en puissance de la contestation :
« (…) Face aux premières contestations et les milliers de signalements de risques psychosociaux au sein de la DCPJ, le ministre de l'Intérieur, M. Darmanin, annonçait, il y a une quinzaine de jours, un moratoire d'un mois durant lequel il devait faire le tour des zones de police judiciaire dans toute la France pour être à l'écoute des personnels et prendre en compte leurs craintes. C'est finalement le DGPN qui se déplace partout en France, non pas pour nous écouter car nous ne sommes pas conviés à ses réunions, comme promis, mais plutôt pour réaffirmer sa réforme et son autorité auprès de nos patrons.
Nous voulions également apporter tout notre soutien à nos collègues bordelais qui, la semaine dernière, ont été muselés et qui n'ont pas pu manifester leur opposition à cette réforme lors de la visite du DGPN. Nos collègues ont donc posé au sol leurs gilets tactiques PJ ornés d'un bandeau noir en signe de deuil pour jalonner son parcours à la sortie de ce semblant de réunion. La hiérarchie locale, alertée de cette action, s'est empressée d'évacuer les gilets en les mettant dans un placard pour ne pas faire de vague. Pour nous, ceci est inacceptable... Montrons au grand jour ce que M. Darmanin et son DG sont en train de faire de la police judiciaire, c'est-à-dire la tuer !
Si M. Darmanin ne respecte pas ses engagements, nous en appelons à Mme la Première ministre, bien silencieuse devant toutes ces initiatives malheureuses de ses collaborateurs.
Symboliquement et solennellement, je vous demande de respecter une minute de silence. (…) Tous, nous remercions les organisations syndicales pratiquement toutes présentes, car nous ne parviendrons pas à stopper cette réforme sans eux.
(…) Oui, M. le ministre, vous pouvez constater que ce mouvement n'est pas né d'une guéguerre syndicale comme vous l'avez dit à la télévision, mais qu'il s'agit bien d'une fronde.
Une fronde qui (…) est bel et bien nationale, des événements comme Bordeaux et aujourd'hui, ne sont que les prémices d'actions nationales à venir. Cette fronde a débuté ici, dans cette ville, dans cette métropole, dans ce département du Var où Georges Clemenceau a prononcé le discours fondateur de la création des Brigades Mobiles, les fameuses « Brigades du Tigre ».
Une métropole toulonnaise qui a connu entre 2017 et 2021 de nombreuses fusillades avec pour conséquences de nombreux morts et blessés graves. Il a fallu plus de trois ans pour sortir de cette série de meurtres, de guerres de territoires et mettre hors d'état de nuire de nombreux individus de plus en plus violents.
Sans notre engagement total, sans notre structure actuelle qui nous permet d'être renforcés par nos collègues marseillais, et notre hiérarchie délocalisée qui nous protège de la politique du chiffre et de restrictions budgétaires que vous voulez nous imposer, je crois pouvoir vous affirmer que nous ne serions pas parvenus à endiguer cette flambée de violences. Ces dossiers criminels, tout comme les gros dossiers stups et financiers, ne pourraient pas se traiter correctement si d'aventure, nous étions redirigés, même temporairement, vers d'autres missions.Et ce n'est pas une doctrine, toujours en cours d'élaboration, qui va pouvoir nous rassurer... À quoi ont donc servi ces millions d'euros dépensés par la DGPN dans des cabinets de conseils pour établir cette réforme ? Nous vous aurions conseillé de commencer par écrire cette doctrine d'emploi avant de tirer des plans sur la comète... et ce gratuitement...
Nous ne pourrons plus résoudre nos enquêtes complexes si un directeur départemental nous emploie à son bon vouloir, au gré de l'actualité et de ses besoins.
Faut-il rappeler à notre ministre que ces collègues de sécurité publique à qui il reproche un manque de résultats au niveau des chiffres ont été employés tous les samedis pendant des mois pour faire du maintien de l'ordre pour des manifestations de gilets jaunes ?
Non, il n'y a pas de bons flics en police judiciaire et de mauvais en sécurité publique... Il y a juste des policiers que l'on laisse travailler et à qui on donne des moyens et d'autres qu'on abandonne... Ces collègues à qui on reproche un manque de résultats et de qualité procédurale, ce n'est pas leur bilan, mais plutôt celui de nos dirigeants depuis 10 ans.
(…) Est ce que l'on veut moins d'enquêtes longues sur la délinquance en cols blancs pour la laisser tranquillement prospérer ?
Souhaitez-vous laisser s'enrichir les importateurs de drogue et têtes de réseaux qui alimentent nos quartiers, en nous détournant vers le petit revendeur en bas de l'immeuble ?
Les professionnels de l'investigation que sont les associations et syndicats de magistrats, la conférence des procureurs de France et le Conseil national des barreaux d'avocats qui connaissent parfaitement notre institution et son fonctionnement, connaissent la réponse et ne se sont pas trompés en alertant tous publiquement du danger de cette réforme.
Nous demandons, M. le ministre, à ce que la police judiciaire ne soit pas rattachée à un seul homme au sein d'un département, ce serait la détruire et porter atteinte à notre démocratie.
Nous voulons garder notre commandement délocalisé et zonal qui nous permet une réelle indépendance dans nos enquêtes au service des magistrats et des citoyens.
(…) Détruire ce qui fonctionne bien et est essentiel et l'incorporer à quelque chose qui fonctionne mal selon vous, serait grave.
(…) La colère, la tristesse, l'anxiété et les craintes sont, dans tous les services de police judiciaire de France, à leur paroxysme. Vous êtes en train de casser des vocations à l'heure où cela devient de plus en plus compliqué de trouver ou conserver un tel niveau d'engagement qui est le nôtre.
Personne, sauf vos proches, ne trouve cette réforme viable et utile.
J'appelle donc tous nos collègues qui se reconnaissent dans notre action à se tourner vers leurs organisations syndicales afin de trouver des portes paroles et des forces de mobilisations.
Car nous, nous sommes vraiment fidèles à la PJ.
Vive la police nationale et vive la police judiciaire !
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.