Robert Boulin avait touché 40 000 francs en liquide

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Philippe Simonnot, journaliste pour FranceSoir
Publié le 13 janvier 2021 - 12:26
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Le ministre du Travail Robert Boulin sort du Palais de l'Elysée, le 26 septembre 1979, après avoir participé au conseil des ministres
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© MARCEL BINH / AFP/Archives
Robert Boulin
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Selon Renaud Van Ruymbeke, Robert Boulin avait touché 40 000 francs EN LIQUIDE

Les Mémoires d’un juge trop indépendant (Tallandier, janvier 2021) de Renaud Van Ruymbeke commencent par cette affirmation : Robert Boulin a touché 40 000 francs en liquide le 14 février 1975. Un gros pétard jeté dans ce marécage judiciaire dans lequel patauge la Cinquième République depuis la mort de l’ancien ministre le 30 octobre 1979. Cette mort a été qualifiée immédiatement de suicide – qualification que conteste la famille Boulin depuis presque un demi-siècle.

Dernier rebondissement judiciaire d’une affaire qui ne cesse de défrayer la chronique : en  novembre 2020, un nouveau collège d’experts, mandaté pour déterminer les causes de la mort du ministre, avait jugé   qu’on ne pouvait  conclure « de manière formelle » à une mort par noyade de l’ancien ministre de Charles de Gaulle et de Valéry Giscard d’Estaing.

Fabienne Boulin, la fille de Robert Boulin, a pris acte immédiatement, «  qu’il est enfin établi judiciairement que les anciens magistrats saisis de ce dossier qui ont conclu au suicide de son père par noyade ont motivé leur ordonnance de non-lieu sur des conclusions d’expertise erronées ».

Sans doute Mme Boulin ne va-t-elle pas aimer les mémoires publiés aujourd'hui par le juge. En cela elle sera fidèle à son père. Robert Boulin lui-même, dans la lettre qu’il avait adressé à l’AFP avant sa mort,  avait traité Renaud Van Ruymbeke qui enquêtait sur ses démêlés immobiliers à Ramatuelle, de « juge ambitieux, haineux de la société, considérant, a priori, un ministre comme prévaricateur ». Van Ruymbeke avait alors vingt-sept ans et comme il le dit dans ces Mémoires, c’était par un « baptême du feu » qu’il débutait sa carrière de magistrat.

Cependant, les échanges de lettres entre Robert Boulin et un escroc nommé Henri Tournet, que publie dans son livre Van Ruymbeke, sont accablants pour l’ancien ministre gaulliste, qui apparait ici pris dans une nasse dont il ne sait comment se dépêtrer.

Le plus terrible, pour la mémoire de Boulin, est sa propre lettre, où il dévoile ses intentions suicidaires : « La prévarication pour 40 000 francs est dérisoire […]. Un ministre en exercice ne peut être soupçonné, encore  moins un ancien ministre du général de Gaulle. Je préfère la mort à la suspicion, encore que la vérité soit claire […]. M. Tournet prétendait m’avoir remis de l’argent par chèque en échange de l’obtention des permis de construire. Outre le fait, qui n’est pas vraiment dans mon genre, que je n’ai jamais vu, ni endossé un chèque au porteur émanant de Tournier – ce qui se vérifie aisément, le chèque étant au dossier – aussi bien pour moi que pour ma femme ou ma famille ». En effet, Robert Boulin n’a jamais encaissé ce chèque pour la bonne raison que ce chèque était au porteur et que Tournet l’avait lui-même encaissé, tout en inscrivant les initiales du ministre sur le talon – une ruse de Sioux ! Mais Boulin, comme l’a découvert Van Ruymbeke, a déposé la même somme de 40 000 francs sur son compte bancaire le 14 février 1975, soit le lendemain même du jour où le chèque au porteur a été encaissé sur le compte de Tournet par Tournet lui-même.  Ce qui signifie que le « ministre du Général de Gaulle » s’est fait payer en liquide par Tournet cette « somme dérisoire ». Pour quels services ? Le saura-t-on jamais ?

Sur toutes les affaires aussi scandaleuses l’une que l’autre que Van Ruymbeke a eu à traiter, Urba, Elf, les frégates de Taïwan, Clearstream, Kerviel, Cahusac, Karachi, Balkany, ces Mémoires nous offrent des détails sinon inédits, mais toujours intéressants et éclairants, mais c’est sur sa première affaire, la sinistre affaire Boulin, qu’il apporte les éléments les plus décisifs, même si, gageons-le, ils ne mettront pas fin à la polémique posthume.

« Un ministre du Général de Gaulle ne peut  être mis en examen », aurait pu dire Boulin s’il avait connu la célèbre apostrophe de François Fillon pendant la campagne présidentielle de 2017.

Ce qui complique encore un peu plus cette affaire ténébreuse, c’est que  Tournet avait été un résistant patenté, avec comme comparse  Jacques Foccart en personne.   Les deux « héros »  avaient travaillé ensemble sous l’Occupation au service des renseignements gaullistes, et pour ces hauts faits d’armes Tournet avait été décoré de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur à  titre militaire. Quant à Foccart, il était devenu, après le retour de de Gaulle au pouvoir en 1958, le grand et célèbre manitou de la Françafrique.

Toutefois,  Tournet et Foccart, avant de plonger dans la Résistance, avaient travaillé pour l’organisation allemande Todt, grande pourvoyeuse de travaux publiques dans la France occupée par les Nazis. Ach ! Die Welt ist kompliziert !

Boulin s’est-il-suicidé ou a-t-il été liquidé ? On veut bien que la question soit encore posée. Mais pour Renaud Van Ruymbeke, le ministre de de Gaulle était bel et bien corrompu.

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