Enjeux des législatives : chimère du "troisième tour" et recomposition des partis

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FranceSoir
Publié le 26 avril 2022 - 16:50
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Assemblee nationale, lors de la séance de questions au gouvernement, le mardi 15 février 2022
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F. Froger / Z9, pour FranceSoir
Pour les défaits du premier tour, une "Chambre introuvable" ?
F. Froger / Z9, pour FranceSoir

Toutes les oppositions à Emmanuel Macron lorgnent désormais les élections législatives (12 et 19 juin) pour en faire un "troisième tour" qui viendrait atténuer, voire annihiler, la victoire d'Emmanuel Macron en installant une majorité hostile à son programme au Palais-Bourbon, ou à défaut une forte opposition. S'il est compréhensible de vouloir remobiliser les troupes après une réélection qui est "le fruit de la résignation" (Maxime Tandonnet) des Français, l'hypothèse semble relever davantage de la méthode Coué que du réalisme politique.

On a sursauté en voyant Jean-Luc Mélenchon appeler les Français, dès l'entre-deux-tours, à "[l]'élire Premier ministre", un vieux routier de la Vème République comme lui ne pouvant ignorer que ce slogan est impropre constitutionnellement, et improbable politiquement. D'autres responsables politiques, sans aller jusqu'à cette entorse institutionnelle, ont repris ce mot d'ordre du "troisième tour". En se replongeant dans les éditions précédentes, on retrouve le même slogan... pour le même échec.

Histoire d'y croire

En 2017, Eric Coquerel (La France insoumise) appelait déjà à un "troisième tour" législatif. Élu, il a formé avec ses camarades un groupe combatif mais minoritaire et peu nombreux (17 sièges à l'Assemblée).

2017 toujours, François Baroin, après les secousses de l'affaire Fillon et la déroute de la droite (malgré un score de premier tour plus de quatre fois supérieur à celui de Valérie Pécresse cette année), rêvait à voix haute de revanche et d'être un Premier ministre de cohabitation. « Moi, je suis absolument convaincu que ça volera en éclats. Nous sommes le dernier pôle de stabilité dans un chamboule-tout complet », expliquait-il peu avant le second tour sur RTL. La victoire de la droite aux élections législatives et son arrivée à Matignon seraient la « troisième surprise de cette présidentielle folle », expliquait-il alors. Résultat : 112 sièges LR à l'Assemblée, loin, bien loin des 308 obtenus par la République en marche.

Même refrain en 2012 : l'UMP, défaite par François Hollande, annonçait un "troisième tour", notamment par la voix de Jean-Pierre Raffarin (JDD). Pour une toute aussi nette confirmation du choix de l'élection présidentielle : 331 sièges pour une majorité présidentielle à l'Assemblée, 229 pour la droite parlementaire.

En 2007, Ségolène Royal avait beau jouer la défaite en chantant et promettre à ses partisans de les mener "vers d'autres victoires", la victoire de Nicolas Sarkozy était beaucoup trop nette - en particulier au vu de son score de premier tour - pour envisager une quelconque cohabitation : 345 voix pour la droite parlementaire, contre 227 pour la gauche.

À la sortie d'une cohabitation de cinq ans dont les Français ne voulaient plus, la question s'est à peine posée en 2002, Jacques Chirac obtenant la majorité qu'il sollicitait, malgré un score historiquement faible au premier tour : seuls 5,66 millions de Français l'avaient choisi (19,88  % des suffrages exprimés, avec une forte abstention, 28,4%). On peut considérer à ce titre qu'il fut, paradoxalement au vu de son quasi-plébiscite au second tour, le président "le plus mal élu" de la Vème République. Un label dont Jean-Luc Mélenchon a tenté d'affubler Emmanuel Macron "saison 2" : le président sortant a vu 38% des inscrits le réélire au second tour, le score le plus bas depuis l'élection de Georges Pompidou en 1969.

Un mur institutionnel et politique

Les deux septennats de François Mitterrand s'étaient achevés par deux ans de cohabitation. Après la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, Jacques Chirac s'infligeait un inédit "quinquennat" de cohabitation jusqu'en 2002. Si certains s'en accommodaient, le rejet majoritaire par les Français de cette configuration politique qui, dans l'esprit de la Vème République, n'avait pas vocation à être si longue, avait contribué à l'adoption du quinquennat : solution illusoire, car si l'inversion et l'alignement des calendriers électoraux réduisaient de fait le risque de cohabitation, l'esprit des institutions s'en trouvait bouleversé, l'exécutif n'ayant plus aucun contrepoids parlementaire, la chambre la plus puissante étant élue dans son sillage et lui devant toute sa légitimité.

Voir aussi : Emmanuel Macron caresse l'idée d'un septennat... "Réflexion libre" ou vrai danger ?

Le mode de scrutin, majoritaire à deux tours, accentue cette tendance : en mai 2017, 61 % des personnes interrogées ne souhaitaient pas qu'Emmanuel Macron, fraîchement élu, dispose d'une majorité absolue au Palais-Bourbon (le Parisien). La suite est connue...

Le financement des partis politiques, pour lequel le score aux législatives est déterminant, ne fait qu'aggraver le problème : les petits partis ont tout intérêt à concourir sous leurs couleurs pour glaner quelques sources de revenus et faire tourner la boutique pendant cinq ans.

Rien, ni dans l'esprit ni dans le fonctionnement de nos institutions, n'est favorable à un "troisième tour" à l'Assemblée : d'emblée, ce cri de ralliement paraissait donc, à ceux qui ont un peu de mémoire politique, un vœu pieux. Un conte de fées pour entretenir le moral des troupes, une consolante imaginaire, une fable que se racontent les mauvais perdants.

Et de fait, cette perception se trouve confortée par les premiers sondages : si les différents organismes confessent leur perplexité devant un paysage politique en recomposition accélérée et affichent une prudence de circonstance, pour l'instant, dans tous les cas de figure, comme le montre par exemple la projection Harris Interactive pour le magazine Challenges, le président de la République aura une majorité absolue à l'Assemblée nationale.

Alliances et recomposition

À gauche comme à droite, ça phosphore : on tente d'enterrer la hache de guerre et de nouer des alliances. Autour de la France insoumise, les accords semblent mieux engagés qu'à l'opposé du spectre politique, où la "main tendue" d'Eric Zemmour au Rassemblement national a été jugée maladroite - compte tenu du rapport de force - et malvenue : le rappel que "le nom Le Pen" était battu "pour la huitième fois" lors d'une présidentielle était "inutilement blessant", et "ce n'était ni le lieu, ni le moment" pour formuler ce "constat cruel", regrettent d'une seule voix un sympathisant zemmouriste et un militant RN. "L'union nationale" à laquelle appelle l'ancien journaliste a logiquement été accueillie très froidement par le RN.

Tous les partis jouaient leur vie, voire leur survie, dans cette élection : plus qu'une "Chambre introuvable" d'ultras des deux bords communiant dans l'anti-macronisme - ou même d'un seul bord, le sort des vieux partis - et des plus jeunes - sera sans doute le réel enjeu des élections législatives. On l'a vu avec les dinosaures de la vie politique française - Parti radical, Parti communiste, puis Parti socialiste, et c'est maintenant le tour des Républicains : l'ancrage local permet de sauver les meubles, en conservant des mandats parlementaires ou dans des exécutifs locaux malgré des scores faméliques au niveau national. Même si l'on élit des députés "de la nation", le découpage électoral donne une forte dimension locale à ces élections : nouvel épisode de sursis, d'une mort nationale différée à l'échelon local, pour les vieux partis ? L'ampleur de leur résistance ou de leur débandade sera à suivre : le PS sera-t-il balayé ? Les Républicains seront-ils achevés par l'entrée en masse au Parlement de députés du Rassemblement national, avec ou sans l'appui du nouveau parti Reconquête ? Ou bien limiteront-ils les dégâts ?

Malgré la tenaille des institutions, rouleau compresseur pour l'opposition post-présidentielle, et de leur propre esprit boutiquier, il y a donc un espace pour que les élections législatives redessinent l'équilibre des forces partisanes pour les cinq ans qui viennent : reste à savoir si elles agiront comme un catalyseur de celui fixé par le premier tour de la présidentielle, ou comme un amortisseur, ce dernier ayant été déformé par la pression du vote utile et une campagne escamotée.

Un quatrième tour dans la rue ?

Formalité probable pour la Macronie, non moins probable recomposition à sa droite et à sa gauche, et après ?

L'expression "troisième tour" était traditionnellement liée à la rue : le "troisième tour social" est un classique - généralement tout aussi peu suivi d'effets, l'état de grâce présidentiel l'empêchant pour un temps.

L'expression ayant été déportée sur les élections législatives, on peut parler d'un "quatrième tour" à venir : d'état de grâce, cette fois, il n'y aura pas.

Il y a les chiffres, mais il y a aussi l'état d'esprit, et le manque d'enthousiasme avec lequel président de la République a été réélu va peser lourd. Les diverses oppositions ont déjà annoncé ne pas vouloir subir un quinquennat sans mot dire. Les douloureuses réformes à venir et les conséquences des choix d'Emmanuel Macron - la facture du "quoi qu'il en coûte" arrivera d'une manière ou d'une autre, celle de nos positions diplomatiques également - risquent de secouer grandement le corps social, voire de mettre le feu aux poudres. Avec ou sans les syndicats, encalminés dans leur torpeur sanitaire et largement discrédités, il y a fort à parier que les divers mouvements de protestation se remettront en ordre de bataille, sans même nécessairement attendre les législatives d'ailleurs.

Dans un sondage, CNews montrait hier dans sa matinale que 83% de ses téléspectateurs étaient insatisfaits de la réélection d'Emmanuel Macron. Une telle consultation n'a pas une grande valeur, mais ce n'est qu'un indice parmi d'autres d'un sentiment répandu d'une élection ressentie comme un "viol au-desssus d'un nid de cocus" (André Bercoff). 

Les "castors" (Laurent Bouvet) ont déjà commencé à "faire barrage"... au résultat de leur propre "barrage". Les 30 millions d'électeurs inscrits qui n'ont pas voté Emmanuel Macron lors de ce second tour ne s'illusionnent sans doute pas sur un "troisième tour" aux législatives : s'il peut toujours réserver des surprises, attendre de ce scrutin une revanche de la présidentielle paraît une chimère. Mais la partie ne s'annonce pas facile pour le président réélu, qui devra aussi composer avec l'impossibilité inédite de prétendre à sa propre succession : les oppositions seront multiples, déterminées, et prendront sans doute des formes inédites, à défaut de pouvoir se traduire dans la représentation nationale. Le peuple a plus d'un... tour dans son sac.

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