Bataille d'Idlib : les snipers albanais des djihadistes d'Hayat Tahrir al-Cham

Auteur(s)
Matteo Puxton, édité par la rédaction.
Publié le 20 septembre 2018 - 17:48
Image
Une arme customisée, basée en réalité sur le Mosin Nagant. On note le bipied et le silencieux, et l'AK-74M camouflé, avec lunette de visée, posée au sol.
Crédits
©DR
La propagande d'Hayat Tahrir al-Cham met en avant ses snipers albanais.
©DR
Comme celles des autres djihadistes, la propagande d'Hayat Tahrir al-Cham fait la part belle aux snipers sans pour autant les mythifier. Matteo Puxton, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit syrien, présente pour France-Soir, un groupe de tireurs d'élite albanais qui a rejoint le groupe djihadiste dominant dans la province d'Idlib.

Le conflit syrien restera dans l'histoire comme une guerre où la propagande déployée par les djihadistes a dépassé tout ce qui s'était vu précédemment, grâce à Internet, aux réseaux sociaux et autres moyens de communication modernes. Si l'on ajoute à cela qu'après sept ans de conflit, les djihadistes présents en Syrie ont pu développer, pour les plus anciens, une expérience militaire considérable, on comprendra mieux l'intérêt de la vidéo analysée ici.

Le 4 août 2018, le média Xhemati Alban diffuse une vidéo d'une durée de 33 minutes et 15 secondes intitulée "Snajperistat Shqiptar Në Token Ë Shamit (les snipers albanais au Cham)".

Image annonçant la diffusion prochaine de la vidéo.

Xhemati Alban semble être la branche médiatique d'une jamaat (katiba) d'Albanais constituée en Syrie sur la base d'un recrutement national, et qui paraît proche, ou intégrée, dans Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Selon certaines sources, cette katiba regrouperait une centaine d'Albanais, commandés par Hattab Albani, qui dirigerait le secteur du Sahel (Lattaquié) pour HTC. Abou Katade Albani, l'émir des Albanais, serait un proche de Jolani, le chef du groupe djihadiste dominat à Idlib. Il faut noter qu'un Albanais, le sheikh Abou Qatada al-Albani (de son vrai nom Abdul Jashari, citoyen macédonien), a été l'émir militaire du front al-Nosra à l'été 2014. Un an plus tard, il dirige les opérations de ce groupe dans le nord de la Syrie. Le département du Trésor américain l'ajoute sur la liste noire des terroristes en novembre 2016. On le trouve dans un accord de cessez-le-feu conclu par HTC avec les rebelles en décembre 2017.

Les Albanais sont présents de longue date dans le contingent des combattants étrangers partis se battre en Syrie et en Irak au sein des groupes djihadistes. Plus précisément, ce sont les Albanais des autres pays des Balkans, et non d'Albanie, qui sont davantage concernés. En mars 2015, ils étaient plus de 500, venant surtout de Kosovo, mais aussi de Macédoine. Dans le contingent, on trouvait des vétérans de la guérilla au Kosovo ou en Macédoine, mais également d'anciens membres des commandos de l'armée albanaise.

La jamaat albanaise proche d'Hayat Tahrir al-Cham semble particulièrement active sur les réseaux sociaux (Facebook et Telegram) depuis le début de l'année 2018. La vidéo sur les snipers fait donc partie d'une campagne médiatique visant à accroître la visibilité du contingent et à susciter des vocations, sans aucun doute. Elle est d'ailleurs sous-titrée en anglais, alors que la voix off est en albanais, preuve que le groupe veut toucher une audience plus large.

De façon classique, après la louange à Allah, la production commence par un verset du Coran, le verset 75 de la sourate an-Nisa (les femmes): "Et qu’avez-vous à ne pas combattre dans le sentier d’Allah, et pour la cause des faibles: hommes, femmes et enfants qui disent: «Seigneur! Fais-nous sortir de cette cité dont les gens sont injustes, et assigne-nous de Ta part un allié, et assigne-nous de Ta part un secoureur»". Suit un passage rappelant les crimes du régime syrien, qui bombarde sans discrimination les populations civiles, la répression sauvage de Damas justifiant pour les djihadistes leur participation au conflit, en tant qu'étrangers.

Le premier tandem de snipers visible, avant l'image de titre, comprend un observateur muni d'une paire de jumelles; posé à côté de lui, un fusil d'assaut AK-74M avec peinture camouflée et viseur optique. Le sniper tire avec ce qui semble être un fusil de précision "customisé", muni d'un silencieux et d'un bipied, appuyé contre un arbre. On comprendra ensuite qu'il s'agit d'une de ces modifications expliquées par l'un des combattants.

Dans les images qui suivent, on peut voir des groupes de snipers sous différents angles. L'un semble sortir d'un sac un autre fusil de précision "customisé". On observe que les snipers albanais utilisent vraisemblablement des fusils de précision fabriqués par leurs soins, ainsi que des SVD Dragunov, des AK-74M munis d'une lunette de visée et d'un silencieux. Il y a pas moins de neuf armes de précision alignées au sol dans l'une des séquences.

A gauche, le sniper en tenue camouflée tient un AK-74M avec lunette de visée et silencieux.

La vidéo livre ensuite le témoignage d'un membre de la katiba, anonyme, qui s'exprime en albanais, le visage masqué dans l'ombre. Après avoir rappelé les fondamentaux sur le rôle du sniper, ce combattant explique que la katiba utilise à la fois des armes classiques comme le SVD Dragunov ou l'AK-74 avec lunette de visée, mais aussi de vieux fusils Mosin Nagant 1891/1912 de la Seconde Guerre mondiale, très courants en Syrie, qui sont modifiés et renforcés de cadres en bois –la katiba a des moyens d'usinage pour fabriquer ses propres fusils de précision.

Ces fusils Mosin Nagant modifiés ont leurs tubes originaux remplacés par des tubes de mitrailleuses (PK/PKT, Grinov), qui sont réduits à 52 cm de longueur pour faciliter l'emploi par le sniper. Ces armes fabriquées sont munies de cache-flammes, freins de bouche ou silencieux. Elles disposent aussi de bipieds et d'une bretelle de biathlon pour le transport. Le poids total est de 7,5 kg. La crosse, qui imite les productions récentes sur les fusils de précision, est fabriquée en bois de hêtre. La lunette de visée est une Meopta ZD 6-24x56, un appareil relativement cher (plus de 1.500 euros) et destiné au tir à longue distance, ce qui suppose à la fois que la katiba a des moyens financiers conséquents, et qu'elle se compose à l'évidence de professionnels.

Lors de la séquence suivante, où les snipers s'entraînent au tir, on peut voir que l'un d'entre eux, en sortant des véhicules, porte à l'épaule un AKS-74U, une arme là encore souvent vue avec des groupes d'élite et assez rare. L'un des fusils utilisés est un Mosin Nagant probablement modifié selon la description faite ci-dessus. Pour régler la hausse de leur lunette et faire le point, les snipers utilisent des outils Leatherman Multitools.

Manœuvrant en tenue camouflée, les snipers sont protégés par un homme muni d'un AKS-74U. Les communications radio se font avec des Hytera TC-580. En plus de leurs armes fabriquées ou existantes, de calibre 7,62 mm, les snipers albanais utilisent aussi un fusil anti-matériel iranien AM 50 capturé de 12,7 mm.

Devant une tasse de thé, les snipers albanais préparent de manière très approfondie une opération à venir. La vidéo se coupe alors pour revenir sur les raisons de l'engagement des Albanais dans le djihad en Syrie, ave le renfort de hadith et de citation d'Ibn Taymiyya. Les snipers se maintiennent en bonne condition physique en pratiquant la course à pied, et ils disposent même d'une salle de musculation sommaire.

La base des snipers albanais est éloignée de la ligne de front. Lors de leurs préparatifs, on peut voir un viseur PK-01 VS monté sur une des armes. Ils partent en ribat, ici en groupe de quatre, en pick-up (l'un des snipers, en sortant, tient un AKS-74). Les panneaux indicateurs nous montrent qu'ils se dirigent vers Alep. Plus loin, d'autres panneaux nous confirment que les snipers albanais roulent sur l'autoroute M4 qui relie Lattaquié à Alep; à ce moment, ils sont au niveau de la ville de Saraqib, ce qui signifie qu'ils viennent soit du sud de la province d'Idlib, soit de l'ouest de celle-ci, ce qui est plus probable. Le ribat des snipers, au regard des vues aériennes filmées par drones, des conversations radio échangées avec les troupes qui demandent leur intervention, et le décor, se situe dans le district al-Layramoun, près du quartier al-Zahra, au nord-ouest d'Alep, où se trouve la ligne de front entre rebelles/djihadistes et régime syrien.

L'équipe de quatre hommes progresse précautionneusement dans les ruines du district d'al-Layramoun, franchissant les passages dangereux en courant, un homme après l'autre (l'un d'eux est armé d'un fusil d'assaut AK-74M avec viseur optique). Installés dans un bâtiment, les snipers aménagent leurs positions de tir. Ils sont placés à environ 800 m de distance de l'adversaire. Les deux tireurs ouvrent le feu avec des Mosin Nagant modifiés dont l'un est muni d'un silencieux. Ils visent des combattants du régime qui se déplacent autour d'une mosquée du secteur.

Les cercles montrent les mosquées du district d'al-Layramoun. Les snipers visent des combattants du régime se déplaçant près d'une mosquée du secteur.

La vidéo se termine par des citations religieuses, dont le premier verset de la sourate al-Anbiya (les prophètes): "(L’échéance) du règlement de leur compte approche pour les hommes, alors que dans leur insouciance ils s’en détournent" et le verset 170 de la sourate an-Nisa: "Ô gens! Le Messager vous a apporté la vérité de la part de votre Seigneur. Ayez la foi, donc, cela vous sera meilleur. Et si vous ne croyez pas (qu’importe!), c’est à Allah qu’appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Et Allah est Omniscient et Sage". Ainsi que le verset 146 de la sourate al Imran: "Combien de prophètes ont combattu, en compagnie de beaucoup de disciples, ceux-ci ne fléchirent pas à cause de ce qui les atteignit dans le sentier d’Allah. Ils ne faiblirent pas et ils ne cédèrent point. Et Allah aime les endurants". 

Comme l'ont remarqué d'autres analystes, cette vidéo de propagande tranche avec d'autres, réalisées par l'Etat islamique ou d'autres formations djihadistes, qui mythifient les snipers. Ici, le propos se veut très professionnel: cela se voit à l'insistance sur les fondamentaux du sniper, aux séances d'entraînement, à la fabrication des fusils, à l'armement et aux pièces d'équipement déployés. Cette équipe de snipers de la katiba albanaise d'Hayat Tahrir al-Cham, qui ne comprend sans doute pas plus d'une dizaine d'hommes, a probablement acquis une expérience considérable dans ce domaine qu'elle fait partager dans sa propagande.

Lire aussi:

Bataille de Mossoul: les tireurs d'élite et snipers de Daech, danger permanent et redoutable outil de propagande

A Mossoul, des snipers traquent nuit et jour les djihadistes

Malhama Tactical: les instructeurs mercenaires des djihadistes

 

Tous les articles de Matteo Puxton à retrouver en cliquant ici

 

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Les dessins d'ARA

Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.