Détecteur de mensonges financé par l'UE : le juge européen exige des détails de Bruxelles
Dans le but d'accélérer les contrôles d'immigration aux frontières, l’UE a lancé un projet de "détecteur de mensonges” basé sur une intelligence artificielle et des technologies de reconnaissance faciale. Le projet, appelé iBorderCtrl, a été testé sur différentes frontières de l'UE. Cependant, le projet manque de transparence, et, inquiet de la protection des données personnelles, l'eurodéputé du parti pirate Patrick Breyer a sollicité une ordonnance de la plus haute cour générale de l'UE pour que le juge européen qui exige des détails de Bruxelles sur ce projet, qui se développe depuis plusieurs mois dans le secret.
Un secret sous prétexte de protection des «intérêts commerciaux»
Vendredi 5 février, une audience a eu lieu au Luxembourg pour écouter les versions des deux parties prenantes dans ce dossier. L’agence de recherche de la Commission qui pilote le projet refuse apparemment de divulguer des documents spécifiques liés au projet, car certains «intérêts commerciaux» pourraient être compromis si les documents étaient rendus publics. Selon Patrick Breyer, les documents liés au projet contiennent des informations spécifiques sur les algorithmes utilisés, qui pourraient porter atteinte aux droits fondamentaux. Le tribunal n'a pas encore fixé de date de décision sur l'affaire, mais Breyer s'est dit satisfait des questions méthodiques et rigoureuses du juge qui a interrogé l’agence de recherche pendant plus d’une heure.
La technologie de surveillance répond-elle aux intérêts publics ou aux intérêts privés?
Pour Breyer, la recherche financée par des fonds publics doit se conformer aux droits fondamentaux de l'UE et aider à éviter qu’ils soient gaspillés dans des “technologies dangereuses de surveillance et de contrôle", technologies qui correspondent plutôt à des “intérêts privés".
Le juge président a essayé de persuader l’agence d'être plus transparente en demandant s'il ne leur conviendrait pas de démontrer qu'elle n'a rien à cacher en publiant plus d'informations sur le projet controversé. Le secret autour de ce projet pourrait s’expliquer par le fait qu’un «détecteur de mensonge» s'inscrit dans une longue tradition “anti-scientifique” car il n'y a aucune preuve d’un «signal psychologique universel» pour la tromperie ou les mensonges.
Un projet qui doit passer les contrôles éthiques de l’UE
Selon les déclarations officielles de la Commission, toutes les activités de recherche et d'innovation menées dans le cadre d'Horizon 2020 doivent respecter les principes éthiques et le droit national, européen et international pertinent, y compris la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l'homme. Le projet iBorderCtrl doit aussi suivre «une évaluation éthique spécifique qui vérifie et oblige contractuellement la conformité du projet de recherche aux règles et normes éthiques ». Un contrôle éthique satisfaisant a été réalisé en mars 2019.
Ce projet est suivi par un conseiller qui supervise la mise en œuvre des aspects éthiques de la recherche conformément à l'exigence d'éthique initiale. «Le conseiller travaille de manière à garantir son autonomie et son indépendance par rapport au consortium», mais, comme le révèle un article de Techcrunch, l’identité du conseiller en éthique (auto-désigné) du projet, n’a pas ete révélée.
Analyser des expressions faciales pour détecter des mensonges est-il techniquement possible?
Nous avons récemment évoqué le fait que des maladies peuvent être détectées seulement en scannant le visage. Mais, la surveillance des micro-gestes et mouvements sur le visage est-elle aussi un moyen précis de detecter les mensonges?
En 2019, le média en ligne The Intercept a testé iBorderCtrl , et a conclu que la technologie se trompait et qu’elle n'était pas encore capable de comprendre quand un humain disait la vérité ou non.
À ce stade précoce des recherches, qui n’ont pas encore abouti, le dispositif n’est pas encore assez fiable, et cela renforce la position de Patrick Breyer de demander plus de transparence, pour savoir si l’UE finance de la recherche pour les intérêts publics ou les intérêts privés. Il n’est pas clair si, faute de pouvoir implémenter cette technologie aux frontières, l’objectif réel de la Commission ne serait pas la commercialisation de cette technologie, qui pourrait être utilisée par d'autres gouvernements. Elle pourrait, par exemple, être vendue à la Chine et à l'Arabie saoudite, ou à des compagnies d'assurance, ou utilisée lors d'entretiens d'embauche , ou lorsqu’on demande un prêt à une banque.
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