Forts d'une doctrine géopolitique multilatérale d'inspiration sino-russe, les BRICS-11 changent de dimension

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Chloé Lommisan, France-Soir
Publié le 29 août 2023 - 18:00
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BRICS
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ALET PRETORIUS / AFP
Le président chinois Xi Jinping assiste à la table ronde des dirigeants Chine-Afrique le dernier jour du 15e sommet des BRICS à Johannesburg, le 24 août 2023.
ALET PRETORIUS / AFP

MULTIPOLARITÉ - Jeudi 24 août s'est achevé le 15e sommet des BRICS à Johannesburg. Six nouveaux membres font leur entrée dans ce bloc, dont l'un des objectifs est de rivaliser avec la puissance économique et commerciale du G7. Présentée comme une éventuelle conséquence de cet élargissement à 11, la dédollarisation masque d'autres bouleversements géopolitiques pourtant plus tangibles. Par exemple, l'apaisement des tensions entre l'Iran et l'Arabie saoudite, qui a été un préalable nécessaire à l'intégration au groupe de ces deux pays. Ces efforts diplomatiques affichent les ambitions "multilatérales" des "BRICS-11" face à l'hégémonie américaine, rappelées dans deux récents discours du président chinois Xi Jinping et du ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov.

Les BRICS - pour lesquels il faudra trouver un nouvel acronyme (1) - comptent désormais onze membres : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Argentine, Arabie saoudite, Iran, Égypte, Éthiopie et Émirats arabes unis. Ces pays regroupent plus de 45% de la population mondiale, soit plus de quatre fois la population totale des membres du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni).

La Chine et l'Inde, les deux pays asiatiques les plus peuplés au monde, sont ainsi rejoints par le Brésil et l'Argentine, qui disposent des deux PIB (Produit intérieur brut) les plus élevés du continent sud-américain. Désormais, un tiers du PIB mondial est détenu par les membres de cette nouvelle configuration des BRICS-11.

Un poids grandissant sur la scène mondiale

Par ailleurs, l'élargissement du bloc, décidé jeudi dernier en Afrique du sud, passe par l'arrivée de deux poids lourds de la production mondiale de pétrole : l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Ces derniers rejoignent la Russie (deuxième producteur au monde) et regroupent ainsi plus de 40% des réserves mondiales de brut disponibles à l'heure actuelle.

L'entrée de l'Égypte et de l'Éthiopie est caractérisée par l'intégration de deux populations à la démographie relativement comparable, avec une importante réserve de main-d'œuvre, très jeune. Les économies de ces deux États de l'Afrique du Nord-Est ont parié de façon similaire sur l'agriculture et l'industrie.

Si l'Égypte dispose du Canal de Suez, infrastructure majeure dans le commerce international et son transport, l'Éthiopie est devenue la porte d'entrée africaine du projet "One Belt, One Road". Financée par la Chine, cette "nouvelle route de la soie" a participé à la construction de nouvelles lignes de chemin de fer notamment dédiées au fret de marchandises entre la capitale éthiopienne Addis-Abeba et Djibouti (Tchad). 

L'Iran et l'Arabie saoudite intègrent aussi un groupe d'influence politique et économique commun. Et cela représente un événement. Ces deux puissances régionales se sont sévèrement opposées autour du conflit du Yémen et rivalisent de longue date quant à leur influence vis-à-vis du monde musulman. En outre, elles se sont livrées une concurrence sans concession ces dernières décennies sur le marché du pétrole au Moyen-Orient. 

Le rôle déterminant de la Chine

L'intervention de la Chine a été déterminante dans leur rapprochement. En avril 2023, elle a été la médiatrice d'une rencontre entre Hossein A. Abdollahian, le ministre iranien des Affaires étrangères et son homologue, le prince Fayçal ben Farhane, afin de favoriser un accord "qui accroît la confiance mutuelle ainsi que les champs de coopération". Premier signe de ce réchauffement diplomatique d'ampleur : la réouverture en juin dernier des ambassades des deux États, à Téhéran et à Riyad.

Ainsi, si "l'adhésion prend effet à compter du 1er janvier 2024", comme l'a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors d'une conférence de presse à Pretoria, l'arrivée des nouveaux entrants parmi les BRICS "fondateurs" ne doit rien au hasard et ne se fait pas dans la précipitation. Divers processus de coopérations politico-économiques sont menés en amont, qui misent sur des plans de paix ou, dans un premier temps, sur la négociation de traités commerciaux bilatéraux.

Les rivalités "locales" demeurent toutefois. Comme entre la Chine et l'Inde, avec leurs volontés propres de conserver une influence déterminante au sein des BRICS-11. Mais cette compétition est dorénavant liée à une logique de développement mutuel. La Chine reste en outre l'élément majeur sans conteste au sein de tous les pays membres. Son PIB est cinq fois supérieur à celui de l'Inde. L'empire du Milieu détient plus de 70% du PIB affiché au sein des BRICS-11 et gère près des 3/4 de l'ensemble des échanges commerciaux et financiers du bloc.

Dans tous les cas, les enjeux internationaux semblent prendre le pas sur ces conflits régionaux. La Chine et la Russie ont ouvertement plaidé pour la réalisation de cet élargissement dans le but de favoriser un "ordre mondial multipolaire" et "multilatéral". Ces volontés partagées ont été mises en avant lors de deux communications clefs tenues pendant le 15e sommet des BRICS.

La doctrine géopolitique des BRICS et ses inspirateurs : la Chine et la Russie

Le mercredi 23 août, dans le cadre du sommet, Xi Jinping a littéralement livré une doctrine géopolitique chinoise appliquée au devenir international et diplomatique des BRICS-11. "Les BRICS constituent une force importante dans le façonnement du paysage international", a-t-il indiqué, souhaitant les voir "contribuer à la réforme de la gouvernance mondiale pour la rendre plus juste et équitable". 

Pour ce faire, les BRICS-11 "choisiss[ent] des voies de développement de manière indépendante". Et selon Xi Jinping, en ce qui concerne la gouvernance chinoise, celle-ci a "défendu l’équité et la justice dans les affaires internationales, défendu ce qui est juste sur les grandes questions internationales et régionales, et renforcé la voix et l’influence des marchés émergents et des pays en développement". 

"Nous ne succombons pas aux pressions extérieures et nous n’agissons pas en vassaux des autres", a lancé le président de la Chine. Des propos qui sont en lien direct avec le conflit russo-ukrainien et l'influence des États-Unis sur l'échiquier géopolitique mondial. "Les pays des BRICS doivent pratiquer un véritable multilatéralisme, défendre le système international construit autour de l’Organisation des nations Unies (ONU), soutenir et renforcer le système commercial multilatéral centré sur l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), et rejeter les tentatives de création de petits cercles ou de blocs exclusifs", a affirmé Xi Jinping avant de préciser l'importance du "rôle de la Nouvelle banque de développement (NBD)" afin de "faire avancer la réforme des systèmes financiers et monétaires internationaux et accroître la représentation et la voix des pays en développement".

La NBD, jadis nommée Banque de développement des BRICS, est une banque internationale de développement créée en juillet 2014. Celle-ci se présente comme une alternative à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI).

Le lundi 21 août 2023, en marge du sommet, Sergueï Lavrov a donné un entretien pour le magazine sud-africain Ubuntu. De même, ses déclarations expriment clairement les ambitions géopolitiques russes vis-à-vis des BRICS-11 : "Un ordre mondial multipolaire plus juste est en train de naître sous nos yeux. De nouveaux centres de croissance économique et de prise de décision politique d'importance mondiale en Eurasie, dans la région Asie-Pacifique, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique latine sont guidés avant tout par leurs propres intérêts et placent la souveraineté nationale au centre de leurs préoccupations, et c'est dans cet esprit qu'elles réalisent des progrès impressionnants dans des domaines divers et variés."

Cette multilatéralité des pouvoirs, notamment économiques, permet, selon Lavrov, d'annuler "la possibilité de domination d'un pays ou même d'un petit groupe d'États." En ligne de mire, les États-Unis et l'ensemble des pays du G7. Mais aussi un "modèle de développement international fondé sur l'exploitation des ressources de la majorité mondiale au profit du bien-être du 'milliard d'or'", autrement dit un mode de développement au seul profit des populations "dorées" d'Amérique du Nord et d'Europe.

De fait, les chiffres vont dans le sens d'une évolution vers davantage de multilatéralité dans les échanges internationaux et de production de richesses. En effet, en 2002, le G7 capitalisait 42% en PIB cumulé contre 19% pour les BRICS. En 2010, 34% contre 27%. En 2023, sans ajouter encore les nouveaux entrants, le rapport est de 30% pour le G7 contre 32% pour le BRICS.

Au-delà des annonces enjouées, l'idéal d'un nouveau groupement économique puissant à l'échelle mondiale n'est pas pour autant une évidence. Les BRICS-11 forment un bloc dont la situation des pays est très hétérogène avec des disparités massives en matière d'or mis en réserve par les diverses banques nationales; des infrastructures et ressources en matières premières très inégales; des centres d'affaires financiers plus ou moins développés.

La dédollarisation, décrite par de nombreux observateurs, est encore lointaine. La monnaie de réserve mondiale domine largement les échanges internationaux. Mais la volonté des pays du BRICS-11 récemment exprimée de créer une monnaie adossée à l'or, accompagnée d'un protocole autonome international de transaction, pourrait changer la donne (2). Très doucement. 

Pour le moment, des initiatives "locales" entre les pays des BRICS-11 voient le jour avec, par exemple, la création prochaine d'une monnaie commune entre le Brésil et l'Argentine. La naissance d'une nouvelle devise permet de diminuer les coûts de transaction hors des marchés qui fonctionnent sous le giron du dollar. À l'échelle des BRICS-11, elle permettrait de fluidifier les échanges en matière de commerce extérieur et d'investissement.

Réactions des nouveaux entrants, quelques recalés

Si tout n'est pas encore au point pour faire des BRICS-11 un monde économique et financier homogène, les réactions enthousiastes des dirigeants des nouveaux entrants ne se sont pas faites attendre. Un réel espoir est né du côté des nouveaux entrants, soit pour des motifs de développement, soit pour des motifs géopolitiques.

Abiy Ahmed, le premier ministre éthiopien a déclaré que "l'Éthiopie est prête à coopérer avec tous pour un ordre mondial inclusif et prospère". Le président des Émirats arabes unis a affirmé "apprécier l'intégration" de son pays "comme membre de cet important groupe".

Le gouvernement iranien considère quant à lui que l'entrée de la République Islamique est "un grand pas pour [sa] politique étrangère". Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien, après s'être félicité identiquement de l'entrée de son pays au sein des BRICS-11, a rappelé le rôle de ce groupement pour faire entendre la voix de ce qui est parfois nommé "le Grand Sud" : "Nous sommes fiers de la confiance de tous les pays avec lesquels nous entretenons des relations étroites et nous attendons avec impatience de coopérer et de nous coordonner avec eux", a-t-il dit.

Parmi la vingtaine de pays initialement prévue dans les starting-blocks pour rejoindre les BRICS, quelques-uns n'ont pas été acceptés à l'issue d'une décision réalisée à huis clos, y compris seulement en tant que "membres partenaires" ou "observateurs" : l’Algérie, Bahreïn, le Bangladesh, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l’Égypte, le Honduras, l’Indonésie, le Kazakhstan, le Koweït, le Nigéria, la Palestine, le Sénégal, la Thaïlande, le Venezuela et le Vietnam.

L'Indonésie, un temps pressentie pour intégrer le bloc en tant que membre à part entière, a déclaré à la dernière minute renoncer à l'intégration, pour des raisons non précisées. Pour certains pays, des liens particuliers avec les États-Unis ou le FMI peuvent constituer un frein à leur adhésion. De même, des déséquilibres économiques internes, des tensions sociales ou un manque d'ambition sur la scène internationale constituent d'autres raisons en la matière.

Notes : 

(1) En 2012, le concept de "Next-Eleven" avait été créé pour évoquer les six futurs membres attendus des BRICS. La dénomination ici utilisée est "BRICS-11".

(2) À titre d'information, les réserves d'or cumulées par les 11 pays des BRICS représentent 6800 tonnes d'or. Les États-Unis en conservent 8100 tonnes à eux seuls. En août 1971, Nixon annonce la fin de la convertibilité du dollar en or. L'hégémonie du dollar se maintient alors notamment avec le fait que de nombreux pays, dont la Chine, constituent des stocks en dollars comme réserve de change. Selon les analystes en économie, une alternative à cette prédominance ne peut voir le jour qu'avec l'avènement d'un système stable et sûr pour les investisseurs et des marchés commerciaux (de marchandise ou pétrolier) en croissance. Le fait que d'importants producteurs de pétrole se regroupent au sein des BRICS-11 peut aussi avoir son importance. Récemment, des transactions liées à l'achat de barils de pétrole entre l'Inde et les Émirats arabes unis ont été réalisées en Roupies.

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