Etat islamique : comment les djihadistes emploient les missiles antichars pour appuyer leurs offensives

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Stéphane Mantoux avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 27 avril 2017 - 14:38
Mis à jour le 04 mai 2017 - 18:33
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Etat islamique Daech missile antichar illustration
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Les djihadistes de l'Etat islamique font un usage conséquent des missiles antichars.
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Les missiles antichars sont une composante importante de l'armement déployé en Syrie et en Irak par le groupe Etat islamique.Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de la stratégie de l'Etat islamique, décrypte en partenariat avec "FranceSoir", l'utilisation qu'en font les djihadistes de Daech.

Dans l'arsenal de l'Etat islamique, à côté des véhicules kamikazes, des snipers ou des chars, il y a aussi les lance-missiles antichars. J'entends par ce terme les Anti Tank Guided Missiles (ATGM), autrement dit les missiles antichars guidés mis en œuvre, dans le cas qui nous occupe, par des fantassins. Ces armes font partie intégrante de l'inventaire de l'organisation, qui en a capturé de nombreux exemplaires sur le régime syrien ou l'armée irakienne en particulier, et s'en sert sur le champ de bataille depuis plusieurs années. A partir de l'analyse de 84 vidéos longues de propagande de l'EI traitées au moyen d'un questionnaire-type renseigné, cet article propose d'examiner l'emploi de ces armes par le groupe djihadiste.

Défense de Palmyre, décembre 2015 (? ): un lance-missiles antichars Konkurs de l'EI ouvre le feu.

Sur 84 vidéos longues militaires de propagande de Daech que j'ai déjà analysées, les missiles antichars sont utilisés dans 30 d'entre elles, soit un pourcentage de 35,71%. L'arme apparaît donc plus fréquemment que les snipers/tireurs d'élite ou les chars que j'avais déjà étudiés. On peut réduire le nombre aux vidéos qui montrent explicitement les lance-missiles antichars (et pas seulement les missiles en vol frappant la cible) ce qui fait passer l'échantillon à 23 vidéos (soit 27,38%). Sur ces 23 vidéos, 11 se situent en Syrie, 12 en Irak, ce qui montre que l'emploi des missiles antichars est réparti de manière assez égale sur le théâtre d'opérations syro-irakien de l'EI. Dans le détail toutefois, on se rend compte que ce sont certaines wilayats (provinces) de l'EI qui concentrent les missiles antichar: en Syrie, Homs (trois, sur le front de Palmyre), Halab (trois, Alep, front d'al-Bab, de Khanasser, est d'Alep), Dimashq (deux, Qalamoun oriental, est de Damas), al-Khayr (deux, Deir-Ezzor), Raqqa (un, au nord de Raqqa). Même chose en Irak avec les wilayats Ninive (trois, Mossoul), al-Jazirah (trois, ouest de Mossoul), Dijlah (deux, sud et ouest de Mossoul), Kirkouk (deux), Falloujah (un) et al-Janub (un).

Au niveau des matériels utilisés, si on s'en tient aux 23 vidéos où les lanceurs sont visibles, l'organisation terroriste utilise six types de lance-missiles antichars qui sont ceux les plus répandus sur le théâtre d'opérations. Les missiles Konkurs et Fagot sont à égalité les plus employés (10 à chaque fois), suivis du Metis-M (quatre), du TOW (trois) et des Kornet et HJ-8 (deux chacun). L'EI a capturé ces lance-missiles antichars sur ses adversaires: les TOW ont été pris aux rebelles syriens qui en ont été équipés par le programme dédié de la CIA; les Fagot sont également très répandus chez les rebelles; les Konkurs se trouvent davantage à parité chez les rebelles ou le régime syrien; le Kornet est plus rare, mais l'EI en a capturé à l'armée irakienne ou aux milices chiites; le HJ-8 a été récupéré sur les rebelles syriens; quant au Metis-M, on le trouve à la fois chez les rebelles, le régime syrien, ou l'armée irakienne.

L'EI a communiqué sur ses capacités antichars à l'occasion de la bataille de Mossoul: la 4e vidéo de la wilayat Ninive sur la bataille, intitulée "Chasseurs de blindages" et mise en ligne le 13 décembre 2016, est spécifiquement consacrée au combat antichar. On y entend un membre de la "katiba antichar", Abou Abdun Nasir al-Iraqi, qui explique que les convois de l'armée irakienne avancent toujours en mettant un char M1 Abrams en tête de colonne. La "katiba antichar" utilise des IED contre les véhicules blindés, des canons sans recul SPG-9, des véhicules kamikazes, des combattants suicides armés de sacoches d'explosifs. Le djihadiste précise aussi comment le groupe salafiste a développé ses capacités en matière d'emploi des missiles antichars. L'expérience initiale vient du théâtre syrien, où l'Etat islamique en Irak et au Levant, par des formations ralliées à sa cause après sa naissance en avril 2013, avait déjà une expérience de l'utilisation des missiles antichars.

Combattant irakien de la katiba anti-blindés, vidéo "Chasseurs de blindage" de la wilayat Ninive, décembre 2016. 

D'après Abou Abdun Nasir al-Iraqi, un combattant syrien, Abul Harith ash-Shami, serait venu en Irak sur le front de Ramadi (2015) pour améliorer les capacités d'utilisation des lance-missiles antichars en Irak. Il lui prête la destruction de 40 chars Abrams (!) et 50 autres véhicules, dont 7 en une seule journée dans la wilayat Salahuddine. Il est en tout cas au cœur de la "katiba antichar" de l'EI. Abou Abdun Nasir al-Iraqi parle aussi d'Abul Bara al-Iraqi et Abou Anas al-Iraqi (Irakiens), tués tous les deux, qui auraient détruit respectivement 40 et 30 véhicules. Pendant son discours, on voit à côté de lui les principaux missiles antichars utilisés par l'EI: AT-3 Sagger, HJ-8, Metis-M, Kornet, TOW, Milan, Fagot.

Les 30 vidéos de l'échantillon permettent de dégager trois types d'emploi des missiles antichars par l'Etat islamique: quand celui-ci est à l'offensive; dans une tactique de harcèlement (hit and run, frapper et s'enfuir, guérilla); et quand l'Etat islamique est en position de défenseur, ce dernier cas étant le plus nombreux, ce qui ne saurait surprendre l'EI se trouve depuis maintenant un an et demi dans une situation globalement défensive.

Lance-missiles antichars Kornet de l'EI, wilayat Dijlah, juin-juillet 2016. Le lanceur fait partie de la fameuse "katiba antiblindés".

Le cas le moins répandu est l'emploi des missiles antichars lorsque le groupe djihadiste est en position d'attaquant. Fin mars 2016, la wilayat Kirkouk de l'EI en Irak lance une attaque sur le champ pétrolifère d'Ajil. Un lance-missiles antichars 9M113 Konkurs est utilisé pour frapper un Humvee: il faut noter que les missiles antichars ne sont pas systématiquement employés contre des blindés, bien au contraire, Daech n'hésite pas à tirer sur des objectifs beaucoup moins protégés comme les Humvees, des positions fortifiées, voire des regroupements de combattants adverses. Ici le missile antichar complète l'action de pilonnage d'un mortier sur la même position où le Humvee se tient en position statique. 

En avril 2016, la wilayat Halab (Alep) affronte le régime syrien dans la plaine de Khanasser: un lance-missiles antichars Fagot vise un véhicule du régime, puis un regroupement de combattants, préparant un assaut déjà appuyé par un canon D-30, un canon M-46, deux chars T-72 et T-55, des mortiers, des lance-roquettes improvisés, des technicals avec mitrailleuse ZPU-2. Plus loin, un Fagot vise également dans la même configuration un véhicule du régime de Damas (on observe dans les appuis supplémentaires un canon S-60 sur camion). Fin juillet 2016, la wilayat Kirkouk lance une attaque sur le champ pétrolifère d'Alas: là encore, un lance-missiles antichars Konkurs est mis en ligne pour frapper un char T-72 en position statique sur le secteur visé par l'attaque. Dans la seconde quinzaine de septembre 2016, l'EI attaque les positions du régime syrien sur la montagne Tardah, au sud de l'aéroport militaire de Deir-es-Zor. La wilayat al-Khayr engage des moyens conséquents dans cette opération, notamment en termes de blindés. Un lance-missiles antichars Fagot est utilisé pour mettre hors de combat un char du régime (T-55?) et ainsi ouvrir la voie à l'assaut qui va suivre. En février 2017, l'Etat islamique lance une contre-attaque sur les positions des miliciens chiites qui encerclent Tal Afar, à l'ouest de Mossoul. Dans une vidéo de la wilayat al-Jazirah, on peut voit l'EI envoyer une colonne mécanisée (technicals, véhicules blindés improvisés) pour un assaut de positions défensives organisées autour de tranchées et de levées de terre. Des drones armés lâchent des projectiles sur les pick-up et véhicules blindés (M113) des miliciens chiites. Les combattants du groupe salafiste s'emparent de la première ligne de défense; un char M1 Abrams est embossé plus loin, bloquant leur progression. Un lance-missiles antichars Fagot est utilisé pour le mettre hors de combat.

L'EI se sert plus fréquemment de ses missiles antichars dans le cadre d'une action de guérilla, pour harceler l'adversaire et lui détruire ses véhicules, ou des positions défensives, et ainsi lui infliger des pertes à moindre coût. La wilayat al-Janub (sud de l'Irak) de Daech, par exemple, qui se trouve dans un environnement difficile, combat de manière conventionnelle encore au début de l'année 2016, mais avec beaucoup moins de moyens que d'autres wilayats (dès l'été 2016 elle est en mode insurrectionnel/guérilla). En janvier 2016, elle utilise un lance-missiles antichars 9M113 Konkurs pour incendier un char T-72 et tendre une embuscade aux soldats qui viennent évacuer les morts et les blessés. Un Metis-M est ensuite utilisé pour frapper successivement deux véhicules blindés BMP-1. La wilayat Salahuddine (Irak), qui en mars-avril 2016 pratique encore à la fois des opérations conventionnelles et des tactiques de guérilla, emploie un Metis-M pour frapper un char T-72 de l'armée irakienne embossé dans une position défensive protégée par une levée de terre. En avril-mai 2016, la wilayat al-Khayr, qui combat de manière très conventionnelle contre le régime syrien à Deir-es-Zor, montre les affrontements sur le pourtour de la poche tenue par le régime: un lance-missiles antichars Metis-M est utilisé pour cibler les objectifs adverses, aux côtés de technicals (pick-up avec ZPU-2, camion avec canon S-60), de chars (T-55 AMV), d'autres moyens d'appui (canon sans recul SPG-9).

Lance-missiles TOW de l'EI, wilayat Dijlah (Irak), juin-juillet 2016, "katiba antiblindés".

En avril 2016, les combattants de la wilayat Dimashq affrontent le régime syrien dans le Qalamoun oriental (est de Damas): un lance-missiles antichars Kornet est mis en œuvre pour éliminer un BMP-1 du régime syrien, appuyant ainsi un char T-72 de l'EI et des technicals avec KPV et ZU-23. Fin juin-début juillet 2016, la wilayat Homs combat à une dizaine de kilomètres à l'est de Palmyre, reprise en mars par le régime syrien: un lance-missiles antichars Konkurs incendie un char T-72, tandis qu'un T-72 de l'EI et des Land Cruiser avec ZPU-2 et ZU-23 pilonnent les positions du régime. En septembre 2016, la wilayat Dimashq affronte les rebelles syriens dans le Qalamoun oriental: un Konkurs vise un char T-55 des rebelles, tandis qu'un canon M-46, des mortiers, des lance-roquettes improvisés, de nombreux technicals (avec KPV, NSTV, M1939 de 37 mm, S-60 de 57 mm), et 2 chars T-55 bombardent aussi les positions des rebelles syriens.

A partir d'octobre 2016, la wilayat al-Jazirah, qui couvre la région du même nom à cheval sur la frontière syro-irakienne à l'ouest de Mossoul, participe à la défense devant l'offensive de l'armée irakienne et des alliés kurdes et autres contre la capitale de l'EI en Irak. Dès le mois d'octobre, elle déploie des lance-missiles antichars pour frapper les véhicules de l'armée irakienne: trois tirs, dont deux sur des chars (M1 Abrams et T-55 peut-être) dans une première vidéo. Dans une deuxième vidéo montrant des images d'octobre-novembre 2016, pas moins de six tirs de missiles antichars sont filmés: un Konkurs frappe un char T-72, un missile antichar touche un char T-62, un Konkurs atteint un bulldozer, une pelleteuse est touchée par un missile antichar, un excavateur est incendié par un autre, enfin un Fagot frappe un véhicule. Une troisième vidéo, qui montre des images de janvier-février 2017, en plus de filmer un Fagot utilisé alors que l'EI est en position d'assaillant, voit encore des tirs antichars de harcèlement (sept): on voit quatre fois un lanceur Konkurs qui touche quatre véhicules différents dont un véhicule avec tourelle embarquant un ZU-23 bitube et un M113 de milice chiite, un autre tir incendie un char T-55, un HJ-8 (selon toute probabilité) frappe un bulldozer, un autre véhicule blindé est touché; enfin on voit un char M1 Abrams en feu qui tente de quitter sa position exposée.

La wilayat Dijlah (Tigre) combat également pour soutenir la garnison de Mossoul, au sud et à l'ouest de la ville. Une vidéo montrant les affrontements d'octobre 2016 filme neuf tirs de missiles antichars (un seul lanceur est visible, un Fagot) par la "katiba antiblindés": un premier missile touche un char (T-55?), un deuxième frappe un T-55, le troisième un autre T-55, le quatrième un véhicule indistinct, le cinquième missile un T-72 (missile Metis-M), le sixième missile un char, le septième missile un char T-55, le huitième un autre véhicule, le neuvième un char T-72. Dans une vidéo montrant des images datant de décembre 2016-janvier 2017, on peut voir sept tirs de missiles antichars: deux chars T-72, deux chars M1 Abrams, un char T-55 d'une milice chiite, un autre char, un MaxxPro sont touchés.

Les missiles antichars sont une composante importante des moyens militaires déployés par l'EI. En attaque, ce dernier utilise ses missiles antichars pour éliminer, notamment, les cibles telles que les chars statiques qui peuvent entraver les assauts, mais aussi d'autres véhicules (Humvees, etc). Pour le harcèlement, le groupe vise aussi fréquemment des engins en position statique (chars, véhicules blindés). Dans un prochaine article, nous verrons comme l'Etat islamique emploie les missiles antichars quand il est en position de défenseur.

> Au-delà de l'offensive, les djihadistes de l'Etat islamique utilisent aussi des missiles antichars en configuration défensive. Stéphane Mantoux a également rédigé un article détaillé sur le sujet (à retrouver en cliquant ICI)

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