La colonisation, un crime, oui, mais commis par qui ?
On se souvient qu’en pleine campagne présidentielle, le 15 février 2017, le candidat Emmanuel Macron avait déclaré à propos de la colonisation : « C'est un crime. C'est un crime contre l'humanité. C'est une vraie barbarie, et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes » .
Macron a bien lu Césaire qui dans son “Discours sur le colonialisme” (1950) déclarait : « une nation qui colonise, une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment ».
Au moment où, une fois encore, la France s’embourbe en Afrique dans une opération que l’on peut qualifier de néo-coloniale, la parole macronienne mérite d’être rappelée. Et interrogée. Qui est ce «nous » qui doit regarder en face ce crime contre l’humanité, donc imprescriptible ? Qui est ce « nous » qui doit présenter des excuses ?
Disons-le tout net : ce « nous » est socialiste, étatiste, dirigiste, militariste, impérialiste, raciste, fasciste, nazi, tout ce qu’on voudra, mais il n’est ni capitaliste, ni marchand, ni libéral.
Ce n’est pas un hasard, en effet, si la bible des économistes, à savoir le maître ouvrage d’Adam Smith, publié en 1776, s’intitule Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations.
La bonne nouvelle, annoncée au monde entier par Smith, c’était que toutes les nations, tous les peuples étaient invités à participer au grand banquet généré par l’économie de marché.
Cette bonne nouvelle sera complétée et approfondie par David Ricardo (1772-1823), qui démontrera que toute nation, même avec des coûts supérieurs à ceux de tous les autres pays, pourra tout de même s’insérer avec profit dans le commerce international (ce que l’on appelle dans le jargon des économistes la théorie des « avantages comparatifs »).
Autrement dit, même les pays les plus démunis peuvent tirer profit de l’échange international, et cette leçon a été bien comprise à la fin du 20ème siècle par les pays asiatiques, pourtant condamnés à la pauvreté par nombre de théoriciens français néo-marxistes, fidèles à leur fétiche, l’ouvrage de Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Aujourd'hui encore, la France paye le prix de cet aveuglement qui l’a empêchée de voir à temps qu’un soleil capitaliste pouvait aussi se lever à l’Est et qu’il taillerait des croupières à sa propre industrie. Lire à ce sujet l’excellent ouvrage de Michel Hau et Félix Torrès, Le virage manqué, 1974-1984 : ces dix années où la France a décroché, (Les Belles Lettres, 2019).
Bien avant Smith et Ricardo, notre grand Montesquieu avait déjà souligné les vertus de l’échange international en remarquant que le commerce adoucit les mœurs, et qu’il est donc le meilleur remède contre la barbarie. Des économistes français, tels Quesnay et Dupont, ont pris le relais, condamnant l’esclavage qui régnait dans les colonies non pas seulement pour des raisons morales, mais aussi, tout simplement, parce qu'ils avaient observé que la main d’œuvre servile est moins productive et donc au final plus coûteuse que le travailleur libre.
Au 19ème siècle, nombre d’économistes français ont rejoint les rangs de cet anticolonialisme viscéral, au premier rang desquels on trouve, bien sûr, Jean-Baptiste Say et son Traité de l’économie politique.
Pour Say, les coûts économiques des colonies est supérieur aux avantages éventuels que l’on pourrait en tirer, aussi bien pour le colonisateur que pour le colonisé ». A le lire, la colonisation ne profiterait qu’à quelques aventuriers cupides, soucieux de s’enrichir au plus vite. Les colons seraient plus des hommes à la recherche d’une influence ou d’un pouvoir qu’ils n’ont pu acquérir dans leur propre pays que des entrepreneurs, des investisseurs animés par un intérêt économique ou financier. Ce qui était assez bien observé.
Le principe dit de l'Exclusif est particulièrement critiqué par Say. Selon ce principe, tout ce que la colonie produit doit être exporté vers la métropole et tout ce que la colonie importe doit venir de la métropole ou être transporté par des bateaux français. Say démontre tout simplement que ce système monopolistique, directement contraire au libre-échange, est aussi ruineux pour la métropole que pour les indigènes des colonies. Les seuls à en profiter ce sont les colons !
Qui sont donc les avocats du colonialisme ? Au premier rang se trouve Jules Ferry, le grand fondateur de l’école républicaine, certainement une source d’inspiration pour M. et Mme Macron, et un modèle pour nos enseignants. Mais aussi un avocat fervent de l’expansion coloniale. Voici ce qu’il déclarait devant les députés le 28 juillet 1885 :
« Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents […]. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation. »
Sans doute la droite la plus bête du monde a-t-elle enfourché le canasson colonialiste. Mais c’est bien les socialistes qui ont initié ce mouvement « civilisateur ».
Or, entre Jules Ferry et Emmanuel Macron, le socialiste Hollande est le dernier chaînon.
On se souvient que François Hollande, pour fêter son élection à la Présidence en mai 2012, avait déposé une gerbe auprès de la statue de Jules Ferry dans le jardin des Tuileries ; il désirait inaugurer son règne en saluant dévotement un «saint » de la République française, fondateur de l’instruction obligatoire et gratuite. Cette gerbe symbolisait l'importance que le nouveau Président voulait accorder à la jeunesse et à l'éducation tout au long de son mandat.
C’est pourtant l’autre Ferry, le Ferry colonialiste, qui inspirera le même Hollande quand il déclarera en février 2013 à Bamako (Mali) devant une foule en liesse : « "Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique". Cette fois, ce n’était plus le défenseur de l’école laïque et républicaine qui s’exprimait, mais une sorte de César africanisé ivre de son triomphe militaire après seulement trois semaines de combats contre les djihadistes.
Manœuvré par la Grand Muette, Hollande avait pris en quelques minutes, lui le champion de la procrastination, la décision d’engager la France dans une guerre une fois encore pour la civilisation, la démocratie, les droits de l’homme, et de la femme, et de l’enfant – en fait, une aventure dont nous avons toutes les peines à sortir aujourd'hui.
Hollande s’est ainsi révélé comme le digne successeur non seulement de Ferry mais du socialiste Guy Mollet, qui a envoyé le contingent en Algérie en 1956 pour casser du fellagha – pour ne rien dire du cadeau nucléaire fait à Israël pour faire participer l’Etat hébreu à la tentative de destituer Nasser, coupable d’avoir nationalisé le canal de Suez et de soutenir le FLN algérien . Toujours au nom de la civilisation…
Macron se serait bien passé de cet héritage, qui l’oblige lui aussi à s’inscrire dans les pas d’une colonisation qu’il a lui-même qualifiée de criminelle. Avec cette circonstance aggravante : cette aventure doit cesser un jour ou l’autre, l’adversaire le sait et attend tout simplement le moment de ramasser la mise.
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