La guerre du Sahel est perdue

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Philippe Simonnot, journaliste pour FranceSoir
Publié le 15 février 2021 - 18:31
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Un soldat français de l'opération Barkhane dans le village malien de In-Tillit, le 1er novembre 2017, au moment du lancement de la force du G5 Sahel
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© Daphné BENOIT / AFP/Archives
La guerre du Sahel est perdue
© Daphné BENOIT / AFP/Archives

Osons le dire ; la guerre du Sahel est perdue. Plus tôt on le reconnaîtra, mieux cela vaudra pour tout le monde.

Cette guerre est perdue, de l’aveu même du général François Lecointre, chef d’état-major des armées françaises. En décembre 2020, n’a-t-il pas déclaré « On a fait le tour du cadran (sic). Dès que je pourrai limiter le niveau d’engagement de mes armées, je le ferai ». Quand on s’attend à gagner une guerre, on ne dit pas qu’on a fait « le tour du cadran » – étrange expression, soit dit en passant - on n’envisage pas de limiter, voire de réduire le nombre de soldats engagés. Les lois de la guerre, que notre général en chef ne peut pas ne pas connaître, imposent de porter l’effort au maximum jusqu'à la victoire. Tant qu’elle n’est pas acquise, toute parole évoquant une limitation de l’effort ne peut être interprétée par l’ennemi que comme un aveu de faiblesse ; il ne lui reste plus, alors, qu’attendre que le fruit tombe de l’arbre pour le recueillir.

On se doute que notre grand Manitou militaire a d’autres préoccupations en tête : non la lointaine Afrique sahélienne, mais la toute proche Méditerranée toute bruissante de manœuvres marines, et il nous faut absolument éviter de devoir nous battre sur deux fronts, le second étant autrement plus sophistiqué et dangereux que la chasse aux djihadistes dans les sables du désert sahélien où nos soldats se déshabituent des équipements de combat les plus modernes.

Pour Emmanuel Macron, l’échéance présidentielle approche à grand pas, et il lui faut terminer le plus vite possible une guerre africaine de plus en plus impopulaire en France. Pour ne rien dire de la détestation qu’elle nous vaut sur place, et des inévitables bavures commises, sinon par nos propres troupes, du moins par nos « auxiliaires » africains. Un rapport des Nations unies (ONU), rendu à la mi-2020, considère que l’armée malienne, que nous portons à bout de bras, pourrait être coupable de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité ». Une nouvelle affaire rwandaise en perspective ?

Sans compter que nos soldats ne sont pas eux-mêmes à l’abri d’inévitables erreurs de tir, comme pourrait en témoigner la frappe du 3 janvier dernier à proximité du village de Bounti, dans la zone dite des « trois frontières » (Mali, Burkina Faso, Niger). C’est là que l’opération « Barkhane » concentre ses efforts depuis un an. Selon certains témoins, des bombes françaises se sont abattues sur un mariage et non sur des hommes armés. Ambiance !

Ce qui aggrave la situation, c’est que la France est bien seule dans ce combat désespéré. La force de maintien de la paix de l’ONU, dite Minusma, ne dispose, à l’heure actuelle, pour tout le Mali, que d’une poignée d’hélicoptères de transport. Quant à la force Tabuka (on se croirait dans un jeu de piste pour scouts impubères), elle est censée réunir des forces spéciales estoniennes, tchèques ou suédoises : jusqu'à maintenant, elle a réussi à envoyer sur place 400 soldats.

L’ennemi est en fait insaisissable. Il y a encore un an, en janvier 2020, lors du sommet franco-africain de Pau, Macron désignait l’organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) comme notre ennemi principal au Sahel. Il paraît que « Barkhane » aurait réussi à lui infliger des pertes importantes. Soit ! Mais le relais a été pris par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaida, et ce sont eux, reconnaît-on qui nous causent le plus de pertes aujourd'hui. Quant aux têtes djihadistes dont de temps à autres nous faisons nos trophées, à grands sons de bulletins de victoire trompetés haut et fort, c’est mal connaître ce genre de guérilla pour ne pas anticiper qu’aussitôt coupées, ces têtes repoussent sous d’autres noms, d’autres sobriquets et d’autres acronymes.

Et ne nous parlez pas s’il vous plaît d’un développement économique qui serait généré par notre œuvre de « pacification ». Ce genre de bobard est obsolète depuis la guerre d’Algérie.

Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, n’y va pas de main morte dans son dernier rapport trimestriel sur la situation au Mali, publié le 28 décembre 2020. Il y recense les très nombreuses violences de tous ordres auxquelles sont confrontées les populations civiles. « Les conditions de sécurité ont continué de se dégrader (…) en particulier dans le centre du pays (…). Dans le Nord, les groupes extrémistes violents sont restés actifs », remarque-t-il.

En un mot comme en cent, cette guerre est perdue parce qu'elle n’était pas gagnable. Souvenons-nous de François Hollande, alors président de la République, déclarant en février 2013 à Bamako (Mali) devant une foule en liesse : « "Je viens sans doute de vivre la journée la plus importante de ma vie politique". Saisi par le dieu Mars comme M. Le Trouhadec par la débauche, Hollande s’est laissé manœuvrer par la Grand Muette, en engageant la France dans une guerre une fois encore pour la civilisation, la démocratie, les droits de l’homme, et de la femme, et de l’enfant, sans mesurer la profondeur proprement africaine du piège dans lequel il nous faisait tomber. 

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