Une ONG américaine, proche du Parti démocrate, impliquée dans un dossier de crime de lèse humanité en Afrique

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Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 31 octobre 2022 - 15:20
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Batwa
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World Health Organization
Un rapport de l’ONG Minority Rights Group d'octobre 2020 a documenté trois années d’une campagne de violence consistant à expulser les Batwas de leurs terres.
World Health Organization

ENQUÊTE - Le slogan « Black lives matter » ne semble, pas s'appliquer aux noirs d'Afrique. Du moins pas si la vie de ces personnes est perçue comme un obstacle à la réalisation d'un idéal totalitaire de conservation de la nature, voire une entrave pour la concrétion d'intérêts stratégiques moins avouables. C’est ce qu’il ressort d’un rapport de l’ONG Minority Rights Group (MRG) publié en octobre 2020. Son titre est éloquent : « Purger la forêt par la force, violence organisée contre les Batwa, au sein du parc national de Kahuzi Biega » (PNKB). « Le rapport documente trois années d’une campagne de violence consistant à expulser les Batwas de leurs terres, menée par les autorités du parc, financée par les gouvernements allemand et américain et l’organisation de conservation globale, Wildlife Conservation Society (WCS). Des gardes du parc et des soldats de l’armée congolaise ont tué au moins 20 Batwas, violé en groupe au moins 15 femmes et déplacé par la force des centaines d’autres, après que leurs villages ont été réduits en cendres », résume l’ONG dans un communiqué d’avril 2022.

Étrangement, ce réquisitoire décrivant des scènes dantesques de crimes de lèse humanité a été comme recouvert d’un voile de pudeur par la presse mainstream. Sauf, notable exception, RFI, qui se pose la question dans son édition anglaise du bien-fondé d’une éventuelle contribution financière de l’Agence française pour le développement (AFD) aux ONG complices de ces crimes. Les Batwas sont une minorité pygmée qui vit depuis des millénaires au sein d’une des réserves emblématiques de la République démocratique du Congo (RDC), dans la province du Sud Kivu.

Le rapport est également difficile à trouver au travers des moteurs de recherche. Aucun article négatif n’accompagne d’ailleurs la mention « Wildlife Conservation Society » ni son anagramme, « WCS ». Il est nécessaire de disposer d’une connaissance antérieure de la situation pour retrouver les articles ayant trait à ces faits, ce qui se comprend lorsque l’on connaît l’identité des principaux donateurs de WCS, leur exposition politique et les clés dont ils disposent en matière de censure et de contrôle de l’information.

FranceSoir a déjà fourni une exclusivité sur la réalité de cette multinationale de la conservation dans le cadre d’une enquête de terrain réalisée dans un autre territoire géré par la WCS, la Réserve de la Faune à Okapis (RFO) de la Province d’Ituri. Toutefois, s'agissant de la RFO, si l’asphyxie économique à laquelle est soumise la population, la pauvreté endémique entretenue, l’absence totale d’investissement de la WCS pour justifier les dons reçus, a de quoi troubler, le rapport de MRG sur cette autre réserve située à 400 km plus au sud, évoque un scénario à propos duquel le terme crime contre l’humanité s’impose.

Si le mot Batwa était remplacé par « Ukrainien », les personnes qui ont participé aux faits rapportés par MRG, seraient déférées devant la Cour internationale de Justice. Pour l’heure, la seule instance saisie est la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Le massacre des Batwas a eu lieu en trois phases, selon le rapport de MRG. Une première phase en juillet-août 2019, une deuxième le 23 juillet 2021, et une extension en novembre-décembre 2021.  

« À peu près deux ans après l’opération de juillet-août 2019, le 23 juillet 2021, des gardes forestiers et des soldats ont ciblé et détruit des villages Batwas à l’intérieur du PNKB. L’auteur [du rapport de MRG] travaillait sur la mouture finale de ce rapport, lorsque des appels dramatiques venant de chefs Batwa et de membres de la communauté ont décrit des scènes de carnage. Dans les jours et les semaines suivantes, l’équipe d’investigation était capable de documenter l’assaut conjoint sur trois villages Batwas, au sein du PNKB par des gardes forestiers et des soldats qui ont ouvert le feu ».

Le rapport évoque très souvent le concept de violence organisée : « Les travaux de recherche suivant les attaques de juillet, novembre et décembre 2021 collectent une prépondérance de preuves physiques, démontrant que les autorités ont visé les civils Batwas au sein du PNKB dans le cadre d’une violence organisée au cours de laquelle des Batwas désarmés ont été tués et des villages brûlés, avec un modus opératoire, surprenamment similaire à celui observé en 2019 ». Le rapporteur observe toutefois une escalade dans la brutalité des crimes perpétrés. « Les actes sont devenus plus brutaux et gratuits au cours du temps (…) impliquant plusieurs instances de viols collectifs mutilation des victimes, prenant des parties des corps des Batwa comme des trophées ».

L’objectif ultime de ces violences est l’expulsion des Batwas : « Les preuves physiques collectées par la recherche, les terribles témoignages des survivants, ainsi que les interviews faites aux gardes forestiers qui ont participé des attaques démontrent que le PNKB, malgré les réfutations de la part des autorités du parc (…) consiste en dans un programme d’expulsion forcée visant les Batwa vivant dans sur le périmètre de leur terre ancestrale. » 

« Le support international provenant de l’Allemagne, et d’agences gouvernementales US, d’ONG telles que la Wildlife Conservation Society et d’assistance militaire contractuelle, tel que celle de la société Maisha (israélienne), représente un programme d’expulsion forcée ». La référence à l’Allemagne vise le Kreditantstalt für Wiederaufbau (KfW), une institution de crédit allemande très impliquée dans la conservation en Afrique. Là où se trouve la WCS américaine, la KfW n’est jamais loin. Les deux institutions partagent l’idée que l’humain est une forme de pollution et qu’une bonne conservation passe par son éloignement.

La violence légitimée contre les populations locales a pris son essor à partir de 2015, lorsque Warren Buffet et son fils Howard G. Buffet ont déclaré la « guerre totale au braconnage en Afrique ». Pour ce faire, Howard a commencé à acheter des hélicoptères et toute une série d’armements lourds pour mettre un terme aux « éco-criminels » en Afrique, dussent-ils s’agir de familles rurales qui survivent grâce à la chasse. Après avoir sévi en Tanzanie, l’attention du deuxième fils de Warren Buffet, s’est vite centrée sur la zone des Grands Lacs, singulièrement la RDC. 2014-2015 marque un avant et un après dans la conservation. À partir de ce moment disparaît la conservation scientifique, pour faire place à la conservation militarisée. La doctrine de l’expulsion de l’humain par la terreur qui en découle imprègne dès lors les multinationales environnementales, d’autant que les chèques se rédigent en centaines de millions voire milliards.

Par ailleurs, tel que révélé dans les colonnes de ce média, ce fanatisme n'est pas complètement désintéressé. WCS-USAID à Epulu est complètement obsédé par la mine d'or de Muchacha. Promise du temps de l'ex-président Joseph Kabila à une entreprise américaine, telle que cela nous a été affirmé par une source autorisée, la mine a finalement été attribuée à une entreprise chinoise. Les Américains s'accrochent depuis à ce qu'ils considèrent comme un dû.

Qui dit militarisation, dit entraînement et armement. « Les gardes forestiers ont vu rafraîchi leur entraînement, par un contingent de ce qu’ils évoquent comme des mercenaires blancs ». Cette formation implique l’usage « d’armements lourds, telles que des mortiers, des semaines avant qu’elles ne soient utilisées pour cibler les civils Batwa des sites du PNKB », reporte MRG.  

Sur l’usage des mortiers, on peut lire : « [Alors que] 300 membres de la communauté Batwa se trouvaient à Bugamanda [ndlr : centre névralgique pour les pygmées du PNKB], l’opération a démarré sous forme d’embuscade avec un grand contingent de garde forestiers et de soldats qui ont ouvert le feu et ont scellé le village avec un nombre estimé de 20 bombes de mortiers. » Un des témoins cités dans le rapport raconte : « Je me souviens de mes enfants, criant alors qu’ils revenaient vers notre maison dévastée. Mais ce n’était pas que notre maison. Ils ont brûlé toutes les maisons. »

Ces armes et cette formation étaient payées et continuent à l’être par WCS. Ceci s’est fait, d’ailleurs, dans le cadre d’une violation internationale de l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de Sécurité (à la demande des États-Unis, justement) sur la vente et l’importation d’armes à la RDC. Ce que ne dit pas le rapport de MRG, mais que nous avons pu constater sur le terrain à Epulu, est que les formateurs militaires de WCS, non seulement s’occupent de l'entraînement militaire, du choix et de l’importation des armes, mais encore de la sélection des rangers. Ces éco-gardes proviennent de l'Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). Il s’agit d’une force spéciale, placée sous la tutelle du ministère de l’Environnement, néanmoins armée.

L’ICCN entretient une proximité fusionnelle avec les grandes ONG de la conservation, dont la WCS, principale gestionnaire des parcs et réserves congolais. Extrêmement corrompue, une source interne à la force nous explique que l’ICCN serait le principal, voire un des rares postes de dépenses de la WCS. En fait, le véritable patron de l’ICCN serait la WCS.

Et WCS n’abandonne pas ses soldats. Le commandant en charge du contrôle des unités d'intervention rapide, l’unité d’élite de l’ICCN, au cours du massacre des Batwa, était Innocent Mburanumwe. Il est arrivé au PNKB après avoir travaillé comme directeur adjoint du Parc National de Virunga (la réserve la plus connue dans le monde, pour ses grands singes, près de la ville de Goma, également sous gestion de la WCS). En 2019, Mburanumwe a été accusé d’avoir violé et laissé enceinte une jeune fille de 15 ans, non sans avoir essayé de l’assassiner par arme à feu. Une plainte a été déposée auprès de la Cour militaire du Nord-Kivu. Il a été jugé plus utile de le déplacer au PNKB en 2020. Concomitamment à son arrivée, mais il peut s’agir d’une coïncidence, dans ce parc, le viol est devenu une arme de terreur récurrente.

Depuis 2022, Innocent dirige l’ICCN dans la RFO. Ses bureaux se trouvent côte à côte avec le chef du site pour la partie WCS, l’ex-lieutenant-colonel Mike Nicholls. Par suite des révélations de FranceSoir, Nicholls a été démis de ses fonctions, le 25 octobre dernier. WCS connaît parfaitement le passé d’Innocent mais soutient qu'« on peut travailler avec lui, car il n’est pas trop corrompu », comme l'affirmé à l’auteur de cet article un des dirigeants de WCS.

En réponse aux allégations, l’ICCN a finalement émis un rapport, figurant sur son site officiel, par lequel elle rejette en bloc les accusations. Les avocats travaillant pour des ONG de défense des droits de l’homme ont depuis fait l’objet de menaces et d’intimidations diverses. La WCS pour sa part s’est enfermée dans le déni, refuse toute forme d’autocritique, maintenant la posture de militarisation de la conservation, se limitant toutefois depuis 2022 à une politique d'étranglement économique. Celle-ci passe par des entraves à l’accès de toutes les ONG apportant une aide aux populations dans les territoires qu’elle considère gouverner. Elle continue à mendier des milliards et le plus formidable, c'est que les amis donnent.

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