ONG, gigantesque machine à lever des fonds, cheval de Troie stratégique, impact invisible : le cas de la RDC
ENQUÊTE DE TERRAIN - Des milliards que les grandes multinationales de la charité collectent, la traçabilité en est souvent compromise du fait du statut d’organisation philanthropique. Les exonérations fiscales les mettent à l'abri des regards inquisiteurs, même si elles lèvent parfois plus de fonds que le chiffre d'affaires de grandes multinationales de l'industrie. Aux États-Unis, cette réglementation fiscale est connue comme l'acte 501. En République Démocratique du Congo (RDC), le statut d’ONG, et l’exonération fiscale qui l’accompagne, est octroyé par le ministre des Finances et validé par le ministre du Plan. L'ONG peut alors agir dans le cadre d'un arrêté ministériel lui octroyant des prérogatives encore plus amples que celles d’un diplomate. Ce modèle peut s’extrapoler à presque toutes les nations aux métriques similaires à celles de la RDC. Une fois l’arrêté ministériel signé, le droit de regard, ne s’exercera dans les faits jamais.
Il est deux axes pour lesquels les "charities" se lâchent : la communication et le marketing portant sur la création de nouvelles stratégies de recueil de dons. Ce n'est pas pour rien que les cadres de ces grandes ONG sortent des meilleures écoles de commerce et non pas des sciences dures ou des sciences humaines. En termes de communication, leur diffusion est forcément celle des titres de plus grande audience. Un article publié sur France 24 constitue l’exemple typique d’une communication aux antipodes de la réalité. Le texte porte sur une des plus grandes réserves du monde (13 000 km²), la Réserve de la Faune des Okapis (RFO), dans la province d’Ituri, au Nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), incidemment une des régions les plus riches en ressources minières du globe. L’article naturellement se termine en faisant appel aux dons, dont la structure bénéficiaire n'est pas citée. RFO est un nom générique, non pas celui d’une entité juridique.
Pour ponctuer son propos, l’article de France 24 fait allusion à une mystérieuse organisation de représentants de la société civile « l'Alerte congolaise pour l'environnement et les droits de l'Homme" (ACEDH) ». Il se trouve que la RFO a été confiée, il y a de cela trente ans, à la fondation américaine Wildlife Conservation Society (WCS), jamais nommée dans l’article, laquelle travaille en étroite association avec USAID. Son compound se trouve dans le village d’Epulu, où nous nous trouvions justement, en personne, il y a trois semaines. Si l’ACEDH est totalement absente du terrain, ce qui y abonde, en revanche, ce sont les manquements graves aux droits de l’homme, les vexations aux populations autochtones, la faim des enfants, la typhoïde et la malaria endémiques, toutes conséquences de la paupérisation à marche forcée des familles, sous le gouvernorat de facto de la WCS. Maladies qui peuvent facilement se prévenir et se traiter en 2022. Pas d’antipaludéens, pas d’antibiotiques distribués.
La grogne s’organise. En échange des sacrifices pour protéger le « poumon du monde », les populations ne reçoivent rien. La dépigmentation des cheveux des enfants est un des signes de la sous-alimentation. Impossible de l’ignorer. Les populations ne disposent pas de groupes électrogènes, et si elles en disposent, il s’exerce sur une fourchette horaire très courte. Il n’y a pas de cabinet médical. En trente ans, WCS n’a pas cru bon de créer sur les dizaines de milliards de dollars recueillis par an, un hôpital en dur. Pas même de campagne. Pas d’infrastructure d’eau potable, aucune possibilité de développement économique. La maigre tentative de survivre au travers de l’orpaillage artisanal est souvent criminalisée et de fait sujet à la fréquentation, souvent mortelle, des groupes rebelles qui infestent la province.
Comme si cela ne suffisait pas, le comportement néocolonial de WCS a conduit à bannir la circulation sur le territoire qu'elle « gouverne » d’ONG telles qu’Action contre la faim (ACF), dont le représentant à Mombasa, à 75 km d’Epulu, est considéré persona non grata par les représentants de WCS.
Le mot d’ordre est : ne pas aider les communautés. Certes, sur la page WordPress de l’ACHDH, il est question d’identité de genre et d'environnement, mais ce ne sont pas des priorités dans le tissu sociétal et économique de la province. Celui qui serait prêt à interagir avec les communautés, sur des vrais sujets (la situation des enfants, du travail, de la santé) sera sanctionné d'une mesure de confinement au compound. L’auteur de cet article en a fait l'expérience. C’est un monde complètement fermé, avec des règles relevant d’une forme d’extraterritorialité, où tout peut arriver.
La société civile d’Epulu se trouve prise en tenaille entre, d’une part, une fondation américaine, avec un agenda dicté par des donateurs extrêmement politisés, à 80% composé de votants du Parti démocrate et, d’autre part, la métastase de milices paramilitaires, essentiellement Maï Maï. Deux mondes aux antipodes, tout aussi néfastes l’un comme l’autre. La WCS s’est vu retirer en octobre 2020, sous la présidence de Donald Trump, un don de 12 milliards de dollars, tout comme la World Wild Fundation (WWF) du fait des accusations de violations de droits de l’homme, en Asie et en Afrique. Violences perpétrées contre des « braconniers », soit des personnes vivant depuis des millénaires de la chasse. La maltraitance et les traitements dégradants ont, depuis, repris de plus belle, du moins selon les témoignages que nous avons pu recueillir.
Le plus étrange dans tout cela, c'est que ce fanatisme ne se traduit pas en investissement dans ce qui serait leur raison d’être. Nous avons pu constater qu’il n’a été procédé à aucun investissement en matière de conservation. Des milliards collectés par WCS, 13 milliards dans ce qui va de l’année 2022, pas un laboratoire pour enregistrer la biodiversité, pas un spécialiste de la déforestation, pas un botaniste, pas un biologiste, pas un éthologue. Pas un médecin, ne serait que pour la petite équipe d’expatriés composée de moins d’une dizaine de personnes. Il ne pourrait y avoir de recherche scientifique, car il n’y a pas même une base vie. Pas davantage de groupe électrogène, ne serait-ce que pour assurer les communications et la conservation des aliments.
Le turnover de rapatriement médical est d’ailleurs totalement anormal pour un personnel pourtant aguerri aux situations les plus extrêmes. Fièvre typhoïde, méningite, vers de Cayor, la petite compagnie d’aviation, la MAF, seule compagnie autorisée à pénétrer le « territoire de la WCS » est habituée à ramener les épaves du compound. À noter que la fondation se garde bien de faire travailler des Américains dans un tel environnement. Des Européens, Français ou assimilés et des Britanniques, forment l’essentiel des ressources humaines. Le contrat curieusement est établi pour tous à partir de Kigali, Rwanda, malgré le climat de guerre larvée entre les deux nations.
Si la MAF est une compagnie au-dessus de tout soupçon, une autre compagnie intrigue une source de renseignement de Goma du fait de ces atterrissages vers des pistes de brousse, infestées de groupes rebelles. Information que nous n’avons pas pu recouper au moment de la clôture de cette édition. Il est vrai que l’article 39 de la Loi sur les ONG en RDC prévoit « l’exonération de droits sur l’importation des biens et équipement liés à leur mission [les ONG] », mais aussi « le Droit d’utilisation d’équipement et de fréquences-radios et nec plus ultra, l’application de procédures simplifiées à l’Office Congolais de Contrôle. »
Une autre surprise réserve le séjour dans la réserve d’Okapis. Personne n’y a jamais vu un okapi. Les seuls okapis aperçus, sont ceux qui ont été placés en captivité, de sorte qu’ils n’ont pu déguerpir face à la razzia du chef milicien Maï Maï, alias « Morgan », en 2012. Aujourd'hui, pour le besoin de sa communication, la direction du site envisage de faire venir des Okapis prélevés de zoos du monde, pour les placer de nouveau en captivité.
Ce qui intéresse WCS, sa vraie obsession, se trouve à moins de 200 km à l'est. La mine d'or de Muchacha attribuée au Chinois de Kimia Mining Investment SARL, placée sous concession d’un citoyen chinois, Lin Hao. On impute aux Chinois des relations avec les groupes rebelles, mais aussi des relations probablement trop bonnes que pour être honnêtes avec des membres de Forces Armées de la DRC (FADRC). L’usage de machines de drainage interdite par la convention internationale en matière d’exploitation des carrières d’or et, in fine, le rejet du mercure dans la rivière Epulu, visible à l’œil nu, forment un grave cahier de doléances, même si leur standard en matière de traitement du personnel s’est amélioré au fil du temps et est aujourd’hui supérieur à celui de WCS.
Mais là n’est pas la vraie préoccupation de la WCS. D’ailleurs, la fondation n’a jamais cherché à évaluer la qualité de l’eau. Son problème est que ce soient des Chinois qui y soient et non pas des Anglo-saxons. Le communiqué de la mystérieuse organisation de représentants de la « société civile », que personne n’a jamais vu à Epulu, appelle, d’ailleurs "le gouvernement de la RD Congo à révoquer la concession minière accordée à une société chinoise ».
Face à ce tableau, la question qui se pose est la suivante : mais que font-ils de l’argent recueilli au cours de ces grandes messes où giclent les chèques à huit zéros ? L’autre interrogation, non moins importante, les donateurs sont-ils au courant de la situation sur le terrain ? Selon Barrett N. Prinz, associé général du Conseil de la WCS, oui, ils sont au courant. Il nous l’a affirmé. Il ne s’agit donc pas forcément d’une forme de détournement de fonds, mais peut-être de blanchiment d’argent, voire d’usage de la fondation comme véhicule, pour un projet qui n’est pas celui qui figure dans son cahier de charges officiel.
La question de l’opacité des NGO excède le champ de la conservation. C’est un paradigme applicable à beaucoup de multinationales de la bienfaisance. Goma est traversé de jeeps blanches arborant les sigles des plus grandes ONG du monde, celles qui lèvent les fonds les plus spectaculaires, ce depuis des décennies sans que personne ne s’émeuve de savoir ce que devient cet argent. Les habitants de la capitale du Nord Kivu, sont habitués au défilé de ces véhicules transportant souvent des expatriés. Goma est au business de la charité ce que l’Avenue Montaigne est au luxe, la vitrine nécessaire pour vendre. En l’occurrence, la transaction porte sur la vente d’une bonne intention, comme une indulgence. Mais le don va et reste à l’entité. Car ceux que les ONG ont conceptualisé comme « bénéficiaires », ne voient que rarement la couleur de l’argent.
La terrasse du Serena, un cinq étoiles avec vue époustouflante sur le lac Kivu, réunit tous les matins les directeurs régionaux des grandes antennes de la charité professionnelle. Leur dégaine est de celle qui apparente faire preuve de pauvreté et véganisme, mais dans les conversations, les sujets tournent sur les stratégies de sensibilisation pour mieux lever des fonds, et non pas les opérations en accord avec la mission affichée. Celle pour laquelle ils ont obtenu l’autorisation d’opérer.
Les jeeps de l’ONG "Save the Children" sillonnent Goma au milieu de meutes d’enfants en situation de détresse multiple. Entre ces petits « bénéficiaires » aucun ne peut témoigner d’une action concrète qui aurait changé un tant soit peu sa vie, ne serait-ce que d’un acte de générosité personnel, d’un de ces professionnels de la charité. Il est vrai que ces coopérants semblent craindre la rue et descendent très peu de leur 4X4.
Les autorités congolaises ont développé une forme d’insensibilité sous l’effet de l’habitude à la surreprésentation d’ONG. Toutefois, l’utilisation de la marque pays, associée à la pauvreté structurelle, commence à générer certains prurits. Se promener dans ces jeeps soulève parfois une hostilité inquiétante. La carence d’impact sur le terrain pourrait amener à exiger davantage de contrôle sur le rôle de ces entités, sur les facilités fiscales qui leur sont accordées et sur le cadre légal dans lequel elles opèrent.
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