Syrie : les djihadistes français d'Omar Omsen combattent aux côté des Ouïghours du Parti islamique du Turkestan

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Matteo Puxton, édité par la rédaction
Publié le 19 mai 2017 - 13:28
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Omar Omsen, l'un des principaux recruteurs de djihadistes français, est mort en Syrie.
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©Capture d'écran al-Jazeera
Des djihadistes français d'Omar Omsen combattent dans les rangs du Parti islamique du Turkestan.
©Capture d'écran al-Jazeera
Bras armé d'al-Qaïda en Syrie, les djihadistes ouïghours du Parti islamique du Turkestan accueillent dans leurs rangs des combattants français. Matteo Puxton, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, décrypte en partenariat avec "FranceSoir", l'implication des djihadistes français réunis autour d'Omar Omsen, tristement célèbre recruteur et propagandiste niçois.

Les djihadistes ouïghours du Parti islamique du Turkestan (PIT) sont venus de la lointaine province du Xinjiang en Chine pour fomer l'un des nombreux groupes insurgés affiliés à al-Qaïda en Syrie. Le nombre d'Ouïghours combattant dans le PIT est difficile à apprécier: tout au plus peut-on dire qu'ils sont moins nombreux au sein de l'Etat islamique (qui comprend toutefois plusieurs centaines de combattants ouïghours) qu'au sein du PIT qui évolue avec le front al-Nosra (FAS), branche syrienne d'al-Qaïda, devenu Jabhat Fateh al-Cham (JFC) en juillet 2016, puis au cœur de la nouvelle coalition Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en janvier 2017, à laquelle le groupe est associé.

Daech cherche à débaucher les Ouïghours en lançant des vidéos de propagande les ciblant explicitement à partir de juin 2015. Il y a probablement plus d'un millier d'Ouïghours au sein du PIT, installés près de la ville de Jisr-al-Shughur (village de Zunbaki, à côté de la ville) dans la province d'Idlib qu'ils ont contribué à prendre au régime syrien au printemps 2015 et dans la montagne turkmène dans la province de Lattaquié. Après la prise de Jisr-al-Shughur en juin 2015, les combattants du PIT plantent leur drapeau sur une église, en vandalisent d'autres, exécutent probablement certains habitants désignés comme chrétiens. Pourtant, le groupe reste focalisé sur le combat militaire: selon certaines sources proches des populations locales, il n'est pas aussi scrupuleux que d'autres factions sur la ponction de taxes et l'application de la charia, ce qui lui vaut la sympathie de la population. Les Ouïghours se sont notamment installés dans des maisons abandonnées par des Alaouites qui ont fui.

La présence de ces combattants est utile pour les djihadistes: pour le front al-Nosra, c'est un renfort bienvenu, numériquement parlant; pour l'Etat islamique, c'est l'occasion d'insister, comme il l'a fait encore récemment dans sa propagande, sur le caractère mondial de la Ummah (communauté des musulmans) défendue par l'EI. Pour le régime et ses alliés russes, c'est une aubaine pour dénoncer le caractère étranger, nonsyrien de ses adversaires, en exagérant notamment à la fois les chiffres des combattants ouïghours mais aussi les exactions commises contre la population.

La Turquie a servi de pays d'accueil aux Ouïghours fuyant la Chine depuis le XVIIIe siècle. Le panturquisme développé par la Turquie durant les dernières décennies a conforté l'accueil de cette communauté durant la même période; l'extrême-droite turque fait également pression pour que les Ouïghours soient bien reçus, puisqu'ils sont censés être les "ancêtres" de la nation turque. Erdogan a déclaré que la répression par la Chine des émeutes d'Urumqi au Xinjiang, en juin 2009, était assimilable à un génocide. Pourtant, la Turquie, soucieuse de ne pas se mettre à dos la Chine, a modéré son discours et soutient de moins en moins la cause ouïghoure. Le rapprochement avec la Russie à l'été 2016 et les attentats commis par l'EI sur le sol turc dans les mois suivants ont durci la ligne à l'égard des djihadistes, même ceux venant d'Asie centrale ou du Xinjiang.

La dernière vidéo du PIT "Terre de ribat (2)" montre à nouveau Ubayd'Allah (avec le bandeau), le converti tué en combattant aux côtés du PIT en juillet 2016.

La place de la petite brigade française Firqatul Ghuraba, menée par Omar Diaby/Omsen, au sein du Parti islamique du Turkestan, est intéressante. Diaby,  recruteur niçois emblématique pour le djihad en Syrie, est arrivé à l'été 2013. Proche d'al-Qaïda et donc du front al-Nosra, il n'avait manifestement pas réussi à se faire coopter par cette organisation, et beaucoup de Français de la brigade avaient fini par rejoindre l'EIIL puis l'Etat islamique à partir de juin 2014. Omar Diaby se retrouvait donc dans une position précaire par rapport au front al-Nosra et l'EI. Menacé par ce dernier, il décide de se faire passer pour mort en août 2015 -lui-même expliquant ensuite que c'était en raison d'une blessure sérieuse qui a nécessité une hospitalisation en dehors de Syrie, le retour s'avérant d'ailleurs particulièrement compliqué. Il est difficile de trancher, mais ce qui est certain, c'est que Firqatul Ghuraba, à partir de l'été 2015, est de plus en plus lié au PIT qui devient un acteur important du conflit cette année-là. Ce rapprochement ancre plus solidement la katiba française à la mouvance des groupes djihadistes gravitant autour du front al-Nosra et de ses deux successeurs (JFS puis HTS). On le voit bien dans la dernière vidéo de propagande 19HH de Firqatul Ghuraba, Comme des lions, mise en ligne en deux parties en février-mars 2017. Cette vidéo exploite les images de l'émission Complément d'enquête de France 2 (mai-juin 2016) où Omar Diaby annonce qu'il est toujours en vie.

Ce qui est intéressant, c'est notamment, dans la seconde partie de la vidéo, l'éloge de six combattants morts au combat de Firqatul Ghuraba en 2015-2016. Le premier, Abu Talha, a déjà été mentionné plus haut: il s'agit de Reda Layachi. Marié, père de deux enfants (dont un né en Syrie), il a été tué d’après la vidéo à Sahl al-Ghab (Zayzoune), dans la province de Lattaquié (en fait de Hama, même si la plaine d'al-Ghab jouxte la province de Lattaquié), à l’été 2015, en combattant avec les Turkistanais (c'est ainsi que le groupe d'Omar Diaby appelle les Ouïghours du PIT). Il avait rejoint la Syrie en janvier 2014. Le communiqué de Firqatul Ghuraba évoquant sa mort début 2016 laissait entendre qu’il avait été tué en décembre 2015, soit plus tard qu’annoncé dans la vidéo.

Dans cette même vidéo, on entend un combattant (à droite) parler en français; avec son voisin, il s'agit probablement de membres de Firqatul Ghuraba.

Le deuxième est Abu Hafs. Le commentaire précise qu’il voulait participer à la bataille de Jisr al-Shughur (juin 2015), mais comme il n’avait pas terminé son entraînement militaire, Omar Diaby lui ordonne de porter seulement une caméra sur la ligne de front. Le 11 avril 2016, il participe cette fois-ci à une offensive dans le Jabal Turkmen (la montagne Turkmène, au nord de la province de Lattaquié), il est blessé à la tête par un éclat d’obus à Burj Beyda. Evacué hors de Syrie, il succombe après 2 opérations. Son corps est ramené en Syrie et le groupe l’enterre le 4 mai 2016 à 20h25. Sa femme était enceinte: son fils Abderrahman naît le 23 novembre 2016.

Le troisième est Abu Khalifa. D'après la vidéo, ce cousin d'Omar Diaby était destiné à une carrière de footballeur professionnel avant de tomber dans le djihad. Le groupe prétend qu’Abu Khalifa est tombé le 19 octobre 2015 lors d’une attaque du régime avec drones, des hélicoptères Cobra (qui sont utilisés par les Américains et la Turquie, mais qui à ce moment-là n'ont pas de troupes au sol dans le secteur...) et des troupes d'infanterie. Il a combattu et a été tué, là encore, avec le PIT. Il est mort dans le Sahl al-Ghab (Mansoura), dans la province de Lattaquié (erreur, encore une fois, on est dans la province de Hama), en ribat (monter la garde sur une position).

Le quatrième "martyr", auquel est consacré le plus long passage de la vidéo, est Ubayd’Allah, celui qu'on voyait dans le nasheed (hymne au djihad mis en poésie) vidéo du PIT de novembre 2016. Condamné à trois ans de prison, il se convertit en regardant les vidéos 19HH d'Omar Diaby, et le contacte sur Internet. Une semaine après ce premier contact, il s’évade durant une permission de sortie: Omar Diaby le fait entrer en Syrie. Sa femme et sa cousine arrivent ensuite, cette dernière se convertit à son tour sur place. Ubayd’Allah fait son entraînement militaire. Il veut faire une opération kamikaze, mais Omar Diaby refuse. Pour répondre aux exigences de son émir, d'après la vidéo, il approfondit alors sa conviction religieuse, et lors d’une istikhara (prière d’invocation à Allah), il fait un rêve qui pousse Omar Diaby à le préparer pour une opération inghimasi (troupes d’élite, littéralement "ceux qui plongent dans les rangs ennemis"). Ubayd’Allah fait son opération durant le mois du ramadan 2016. Il est désigné chef du contingent qui va participer à l’attaque dans le Jabal Turkmen (montagne Turkmène) avec le PIT et le front al-Nosra. Effectivement les rebelles syriens, dont FAS et la coalition qu'il dirige alors, l'Armée de la conquête (Jaysh al-Fateh), lancent une opération d'envergure dans la montagne Kurde et la montagne Turkmène à partir de la fin juin 2016. Ubayd'Allah meurt frappé par des impacts de balles dans la torse dans les bras de son camarade Abu Abdullah, le 5 juillet 2016.

Le cinquième est Abou Ishaq. Il est parti pour la Syrie le 18 septembre 2013 avec deux compagnons, Issa et Khalid. Il s’agit du frère cadet d’Omar Diaby, Moussa, qui s’est marié en Syrie et a eu un enfant (leur mère les a rejoint aussi). Moussa était, d'après son frère, un des combattant les plus expérimentés de la brigade: dans la vidéo, on le voit manipuler plusieurs armes dont un fusil de tireur d’élite SVD Dragunov. Il a combattu et a été tué lui aussi avec les Ouïghours du PIT dans les montagnes du Jabal al-Akrad (montagne kurde). Firqatul Guraba a semble-t-il envoyé une équipe de combattants participer aux contre-attaques pour lever le siège d'Alep durant l'année 2016. Dans cette équipe figurait Abu Muslim Sofian, le sixième mort.

Il est tué probablement lors de la contre-attaque rebelle de fin juillet-début août 2016, ou bien lors de celle de fin octobre-début novembre 2016. Au total, quatre des six morts de Firqatul Ghuraba en 2015-2016 sont tombés aux côtés des Ouïghours du PIT. Si l'on rajoute à cela les images à la fin de la seconde partie de la vidéo qui montrent le groupe au combat dans la montagne turkmène (24 juin 2016), près d'un véhicule blindé BMP-1 (dont les Ouïghours possèdent plusieurs exemplaires), et la propagande du Parti islamique du Turkestan qui montre également les morts français, on peut supposer que Firqatul Ghuraba, d'une façon ou d'une autre, a été intégrée dans le PIT et bénéficie de la puissance de ce groupe. Une hypothèse qui se confirme avec la mise en ligne de la dernière vidéo du PIT, "Terre de ribat (2)", le 4 mai dernier: outre des images inédites d'Ubayd'Allah le jour de son opération inghimasi, on peut y voir un combattant français, sans doute de Firqatul Ghuraba, prendre la parole, accompagné probablement d'un autre Français à côté de lui.

Le PIT aligne un canon M-46 de 130 mm.

Présent sur Facebook et Twitter à une époque, le PIT semble désormais privilégier Telegram, bien qu'il ait recréé, par exemple, un compte Twitter pour l'offensive au nord de Hama (mars 2017). Son média de propagande, Islam Awazi, diffuse de nombreuses productions vidéos. Le logo de ce dernier reprend les codes d'al-Qaïda, jusqu'au drapeau.

Le groupe ouïghour a créé des séries de vidéos: l'une d'entre elles s'intitule Appel depuis les lignes de front du djihad où ses combattants exhortent les musulmans à les rejoindre en Syrie pour faire le djihad. Il y a aussi des nasheeds mis en vidéos qui, contrairement aux autres productions, semblent systématiquement sous-titrés en anglais. Parfois, le PIT met également en ligne des montages plus conséquents, comme cette longue vidéo du 18 janvier dernier consacrée à la "vérité à propos des médias chinois". Dans d'autres vidéos, des clercs musulmans apparaissent dans les vidéos de l'organisation, comme le cheikh saoudien Muhaysini, proche de Jabhat Fateh al-Sham, que l'on aperçoit fréquemment avec le Parti islamiste du Turkestan. Une autre série intitulée Les amoureux du paradis est dédiée aux martyrs du PIT sur le champ de bataille. Il livre également les messages vidéos de ses kamikazes avant leurs opérations suicides, et réalise des montages vidéos parfois assez longs sur ses opérations militaires.

Carte montrant le secteur où évolue principalement le PIT. Les chiffres non soulignés avec rectangle ou cercle montrent les batailles remarquables auxquels a participé le PIT : Jisr-al-Shughur (1), Abu Duhur (2), montagne Kurde (3), montagne Turkmène (4), nord de Hama (5). La zone hachurée en jaune représente la zone probable où est installé le PIT. Les numéros soulignés correspondent aux lieux où sont morts les cinq Français de Firqatul Ghuraba présentés dans la dernière vidéo du groupe (un dernier est mort à Alep en dehors de la carte). La légende de la carte montre en vert les secteurs tenus par les rebelles non djihadistes, en vert foncé les secteurs tenus par Hayat Tahrir al-Sham dont es proche le PIT, en rouge le territoire contrôlé par le régime.

Une analyse des dernières vidéos du groupe djihadiste (depuis l'automne 2016) offre un aperçu de ses tactiques et de son équipement militaire. Le groupe aligne des véhicules blindés de prise (BMP-1) de même que des chars (T-55, T-62, T-72). Les moyens d'appui, relativement conséquents (pièces d'artillerie capturées, mortiers artisanaux, roquettes artisanales, canons sans recul, technicals) préparent souvent les assauts, avec les tirs tendus des chars. Les Ouïghours opèrent avec une infanterie assez conséquente, divisée en groupes de combat d'une dizaine d'hommes, où les porteurs d'armes collectives emportent souvent des armes individuelles en plus des PK et RPG-7 par exemple. Il y a aussi des tireurs d'élite sur SVD et des snipers, comme celui sur AM 50. L'infanterie est souvent embarquée dans les véhicules blindés pour être déposée au plus près du champ de bataille. La discipline et les tactiques utilisées en combat urbain confirment que le PIT a reçu une formation de Malhama Tactical, le groupe de conseillers militaires proche de Jabhat Fateh al-Sham qui a offert ses services aux djihadistes proches d'al-Qaïda en Syrie.

> Le Parti islamique du Turkestan est le bras armé ouïghoiurs d'al-Qaïda en Syrie. Pour en savoir plus sur cette faction, retrouvez l'article de Stéphane Mantoux sur ce sujet en cliquant ICI.

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